L’euro est mort : vive le neuro !
L’euroscepticisme atteint des sommets historiques aux Pays-Bas. Des économistes préconisent même de scinder l’Europe en deux zones monétaires: un "neuro" pour les pays du Nord et un "zeuro" pour ceux du Sud. Le premier ministre Mark Rutte a commandé une étude sur la faisabilité d’une telle opération. Au-delà de la catastrophe politique, un tel éclatement aurait un coût faramineux pour le club fermé des "bons élèves".
L’euro n’a plus la cote aux Pays-Bas: les Néerlandais étaient déjà confrontés à des économies budgétaires de 18 milliards d’euros. Et à présent, on leur annonce que la crise européenne force leur gouvernement à trouver 4 milliards d’euros de plus… La publication par le Bureau Central de Statistiques d’une contraction du PIB de 0,3 % au troisième trimestre 2011 – la première baisse depuis le deuxième trimestre 2009 – a eu l’effet d’une bombe.
Geert Wilders, le populiste leader de la 3ème formation politique du pays, a déjà présenté ses solutions: arrêter toute aide au développement ! Et retourner à l’ancienne monnaie hollandaise, le florin. Il a confié à l’institut britannique Lombard Street Research la mission d’étudier les coûts et les avantages du retour à la monnaie nationale. Il envisage de demander un referendum, dans le cas où les conclusions du rapport seraient positives.
En dehors de Geert Wilders et des populistes de droite, peu de responsables politiques prennent cette proposition au sérieux. Mais une autre gagne en crédibilité face à la crise européenne: celle du "neuro", une zone monétaire réservée aux pays d'Europe du Nord.
Le neuro: un euro nordique et stable
Martin Taylor, président de la banque Sygenta, a été le premier à évoquer une scission de l’économie européenne en deux blocs: le neuro, au nord et le sudo (pseudo en grec moderne). L’article du Financial Times dans lequel il défendait sa position, le 21 mars 2010, n’avait pas fait grand bruit à l’époque.
Mais la crise européenne et son avatar grec n’ayant fait qu’empirer depuis, c’est un article du journal allemand Die Welt d’août 2011 qui a ranimé la discussion aux Pays-Bas. Un article qui, parmi d’autres propositions, propose l’introduction de deux monnaies au sein de l’Europe: le neuro pour le nord "vertueux" et le zeuro pour le sud "laxiste".
Une discussion qui a soudain pris un tour très politique lorsque le directeur de l’institut scientifique du VVD (parti libéral, au pouvoir), Patrick van Schie, a déclaré dans la presse le 12 novembre dernier qu’il était temps de "réfléchir sérieusement à l’introduction du neuro". Il s’est dit également "fatigué des petits discours de propagande autour de l’euro". Il a ajouté que personne ne lui avait apporté la preuve que l’euro avait apporté la moindre prospérité aux Pays-Bas.
Avec la Flandre, sans la Wallonie
Il n’en fallait pas plus pour que la classe politique s’empare du débat: les ténors du parti travailliste (PvdA), principale formation d’opposition, ont posé des questions au gouvernement toute la journée du lundi au sujet de cette alternative. Le premier ministre Mark Rutte et d’autres poids lourds du parti libéral – comme la commissaire européenne Nellie Kroes – s’y sont montrés farouchement opposés. Tout en acceptant la proposition d’Elbert Dijkgraaf, président du groupe SGP (conservateurs protestants) et professeur d’économie de l’Université de Rotterdam, de commander une étude sur la faisabilité de cette alternative et de son coût réel.
Quels sont les pays qui devraient faire partie du club de la monnaie forte, le neuro ? La liste varie sensiblement selon les auteurs. Certains sont favorables à une version très restrictive incluant, outre les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède et la Finlande. D’autres ont établit une liste plus longue et parfois même flexible, incluant également l’Autriche, le Danemark ou même la Belgique.
Le commentateur d’un article économique en faveur du neuro propose même de couper la Belgique en deux: la Flandre à l’économie solide rejoindrait le club fermé du neuro tandis que la Wallonie, mauvais élève, devrait se contenter du zeuro, comme la Grèce ou l’Italie.
La dette du Sud ne sera jamais remboursée
Et la France ? La France devrait en être exclue, selon tous les commentateurs. Mais, alors que certains la rejettent en raison de ses mauvais résultats économiques, d’autres lui refusent l’entrée pour des raisons d'ordre stratégique: si on accepte la France, disent-ils en substance, celle-ci ne se résoudra jamais à entrer sans l’Italie et l’Espagne et nous nous retrouverons de nouveau avec la "boevenbende", la bande de voleurs…
Si à l’extérieur du pays, l'idée d'une "neuro-zone" peut prêter à sourire ou être totalement ignorée, aux Pays-Bas, elle suscite de féroces échanges entre les tenants et les opposants à cette "solution".
Et en attendant que l’étude commandée par le gouvernement apporte un peu de lumière sur les avantages et les inconvénient de ces deux monnaies, économistes et hommes politiques de droite comme de gauche défendent vivement leur position.
L’un des plus chauds partisans de ce neuro est, sans surprise, Arjo Klamer, professeur d’économie de l’art et de la culture de l’Université de Rotterdam, surnommé "Euro Doctor Doom" pour son euroscepticisme militant. Pour lui, "la situation actuelle n’est pas tenable". Il voit l’euro comme "un cheval de Troye qui est réellement en train de détruire le projet européen. C’est une source de conflits, de désaccord, d’instabilité économique. Les contribuables en ont payé le prix et sont vraiment furieux", déclarait-il récemment à Russian TV [Voir la vidéo, en anglais].
Il est rejoint par des personnalités de poids comme l’ex-secrétaire d’État aux finances et ministre des affaires sociales, qui considère qu’il est impossible de sauver la Grèce. L’économiste Mathijs Bouman, qui ne se déclare pourtant pas vraiment favorable au projet, craint la contagion italienne. "L’Italie est si grande, sa dette est si importante, cela ne peut que nous entrainer vers le bas…" Et lorsqu’on lui parle de l’euro des pays nordiques, il rétorque, enthousiaste:
Là nous avons un territoire monétaire fort, la partie forte de l’économie européenne, et avec l’Angleterre, nous aurions une forte industrie financière, c’est une fantastique perspective !
Pour Harrie Verbon, professeur d’économie publique à l’Université de Tilburg,
L’économie des pays du sud est très en retard sur celle du nord, cela doit changer. Pour l’instant nous essayons de les aider en mettant la pression pour qu’ils tentent des réformes et des coupes budgétaires. Ce qui ne fait qu’accentuer le retard de leur économie.
Il suggère donc que ces pays "disposent de leur propre monnaie et qu’ils puissent mieux entrer en concurrence avec le nord de l’Europe". Il ne croit pas que "ces pays rembourseront un jour leur dette aux pays du nord".
10 à 15 fois la dette grecque
Les opposants ne manquent pas non plus d'arguments. Parmi eux, Nellie Kroes, commissaire européenne aux nouvelles technologies. Pour elle, "cela aurait un impact extrêmement négatif sur notre économie". Elle considère d’ailleurs "que le seul fait de suggérer la scission de l’Europe est dangereux".
Si la zone euro ou l'Union européenne devaient être démantelées, les coûts ont été estimés à jusqu'à 50 % du PIB dans un premier temps. On estime que le PIB de l'Allemagne se contracterait de 3 % et que le pays perdrait un million d'emplois si la zone euro en venait à se résumer à quelques membres,
a précisé Jose Manuel Barroso. Le président de la Commission s'oppose farouchement à toute forme de démentellement de l'Union.
Source : http://www.euractiv.fr/demantelement-zone-euro-tabou-article
Copyright © EurActiv.fr
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Sylvester Eijfinger, professeur d’économie et titulaire de la Chaire Jean Monnet d’intégration financière et monétaire européenne de l’Université de Tilburg est l’un des rares à s’être penché sur les coûts du passage au neuro. Pour lui, il n’y a pas de doute: "le neuro n’est pas tenable !" Il n’est même pas juridiquement possible:
Pour quitter l’euro, les pays du nord devraient également quitter l’Union européenne.
A l'inverse, si ce sont les pays du sud qui sortent de l’Union, les Etats-membres qui y resteront "garderont la Banque Centrale Européenne qui possède une énorme quantité d’obligations d’Etat dans ses comptes".
"Comme la monnaie des pays du sud se dépréciera très vite face à l’euro ou au neuro, ajoute-t-il, ils seront dans l’incapacité de rembourser leurs dettes à la BCE, aux gouvernements nordiques, aux banques et aux fonds de pensions qui feront faillite. Les entreprises qui possèderont des biens dans ces pays verront leur valeur fondre puisqu’ils seront garantis par une monnaie dévaluée".
Qui plus est, "lorsque la valeur de l’euro [ou du neuro, NDLR] aura augmenté suite à la séparation, le secteur de l’exportation des pays du nord connaîtra aussi des dommages énormes, car ces pays seront confrontés à une énorme hausse des prix." Pour Sylvester Eijfinger, cela ne fait aucun doute:
L’introduction du neuro coûterait plusieurs centaines de milliards aux pays du nord. Entre 10 et 15 fois ce que coûterait le sauvetage de la Grèce…
Qu’en pense l’homme de la rue ? Le site de RTL.nl a mis en ligne un sondage "pour ou contre le neuro ?" La réponse est sans appel: 79 % des participants se prononcent pour…