Les différences de prix de l’immobilier ou de systèmes fiscaux font que des milliers d’Européens jouent chaque jour à saute-frontières. Un jeu qui peut relever de la bonne affaire ou de l’arnaque pure et simple. Petit tour des réalités transfrontalières en Europe.
Le marché unique européen est un en réalité un grand bazar: selon l’état-membre dans lequel vous vous trouvez, les prix, les salaires, les politiques sociales et fiscales, tout change.
Qui peut m’expliquer pourquoi la même bouteille d’une célèbre eau minérale française coûte deux fois plus cher à Chimay, commune belge, qu’à Hirson, municipalité française distante de 25 km ?
Le vendredi soir et le samedi, les Néerlandais de Sittard ou de Venlo connaissent un exode massif non pas vers la terre promise, mais vers les grandes surfaces de l’autre côté de la frontière allemande.
De plus en plus de néerlandais, d’ailleurs, choisissent l’Allemagne comme lieu de résidence: le coût de la vie moins élevé, l’immobilier nettement plus accessible et un fisc sensiblement moins vorace expliquent pourquoi le pays de Goethe est devenu la première destination des émigrants néerlandais. Selon le Bureau central des statistiques, en 2009, ils étaient 10 402 à s’installer chez le cousin germain, pour 9564 en Belgique, 6 880 en Grande-Bretagne ou 3 369 en France.
Oiseaux migrateurs
On assiste d’ailleurs depuis quelques années à une prolifération de sites Internet vantant les mérites de la résidence en Allemagne à destination des Néerlandais, réputés travailleurs sérieux et qualifiés: services d’immigration ou de déménagement, maisons de rêve Allemagne, c’est à qui fera montre de plus d’imagination pour attirer le Hollandais chez lui !
Mais entre la résidence permanente et le déplacement outre-frontière pour alléger son ticket de caisse hebdomadaire, la construction européenne a également encouragé un autre type de "migrant": le travailleur transfrontalier.
Qu’est-ce qu’un travailleur transfrontalier ? Selon l’European industrial relations dictionary, "un frontalier est quelqu'un qui est employé dans un Etat membre de l'Union européenne mais qui réside dans un autre, et qui revient dans ce pays au moins une fois par semaine".
Chômeur en France et travailleur en Suisse
Ce retour hebdomadaire obligatoire peut prêter à sourire, pourtant, il se révèle capital dans le cas de certains travailleurs français qui ont opté pour la Suisse. Si un Français travaille dans le canton de Genève ou de Zurich, il paiera ses impôts en Suisse. Et s’il travaille dans le canton de Vaud ? Dans ce cas, il paiera ses impôts en France s’il rentre chez lui tous les jours et en Suisse s’il ne revient au pays qu’une fois par semaine…
Compte tenu du taux de taxation français du travail et de la légèreté de l’imposition suisse, ce retour hebdomadaire constitue plus qu’une nuance sur le compte en banque du travailleur… En effet, le transfrontalier français peut compter sur un salaire supérieur de 50 % plus élevé dans le Jura suisse, voire de 75 % dans la région de Genève.
Pourtant, certains ont du mal à s’en contenter. Comme cette jeune femme qui a "oublié" de prévenir Pôle Emploi de son embauche comme serveuse à Genève… Et qui a finalement lâché son emploi de peur de perdre ses allocations de chômage en France ! Ce serait loin d’être un cas isolé. Et entre Pôle Emploi et le service de l’emploi suisse, on se renvoie gentiment la balle…
Double taxe
Le risque existe bel et bien pour le travailleur transfrontalier de se faire imposer deux fois ! Car même si les institutions européennes travaillent à leur harmonisation, les règles qui fixent le sort des travailleurs transfrontaliers se négocient toujours par conventions bilatérales entre pays.
Et dans certains cas, les avantages sociaux disparaissent, comme les allocations familiales de travailleurs français en Suisse… Les remboursements d’impôts indûment perçus sont longs et difficiles. Les travailleurs sont parfois victimes de discrimination, comme des impôts injustifiés. Enfin, il est parfois très difficile de se procurer une information complète et intelligible sur la fiscalité.
Faux frontaliers, vraies arnaques
Pourtant, certains petits malins arrivent pour le moins à lire entre les lignes de ces textes législatifs réputés difficiles. Tel Jean-Luc (prénom modifié pour des raisons évidentes). Cet ingénieur d’une entreprise de la région de Chimay m’accueille dans sa villa dans un petit village champêtre non loin de Fourmies. Souriant, la cinquantaine bien sonnée, il n’hésite pas à me confier qu’il a émigré ici pour des raisons essentiellement fiscales.
Combien représente le différentiel fiscal entre la Belgique et la France ? Il ne me donne pas de chiffre, seulement une indication qui me laisse bouche bée: "De quoi payer ma villa". En combien de temps ? "Une dizaine d’années…" Il est vrai que l’immobilier dans ce coin de l’Hexagone est plutôt bon marché, mais tout de même…
Et que dire d’Éric ? Directeur des ventes dans la même entreprise pendant 5 ans, Éric a été un faux travailleur frontalier, mais un vrai arnaqueur. Domicilié en France dans une maison où il n’a jamais résidé, il vivait en réalité avec sa femme et leur quatre enfants. Son salaire de directeur était taxé en France. Le loyer de l’habitation sociale de la famille était calculé exclusivement sur… les allocations de chômage de madame! A présent, ils habitent tous dans une somptueuse résidence du Brabant Wallon, une des régions les plus huppées du pays où Éric est désormais consultant. En fiscalité ? Non, en organisation des entreprises…
A Bruxelles, roulez luxembourgeois !
Si l’existence d’un paradis fiscal extra-communautaire au cœur de l’Europe, comme la Suisse, peut poser question, que dire du Luxembourg ? Ce petit état-membre affiche une santé financière insolente… et un niveau de taxation inversement proportionnelle à son attractivité !
Et qui suscite des vocations: en témoigne ce courtier qui suggère aux conducteurs belges ou français d’immatriculer leur Porsche Cayenne au Luxembourg afin d’épargner 5000 euros de taxes diverses. Il suffit d'une domiciliation chez un ami qui habite le Duché. Est-ce légal ou non ? C’est une polémique entre les institutions européennes et la Belgique depuis plus de dix ans. Ce qui n’empêche pas de croiser au cœur de Bruxelles des dizaines de voitures de leasing louées par des sociétés luxembourgeoises dont les actionnaires sont des Belges pur jus !
Mais dans la capitale de l’Europe, on ne va pas chicaner pour si peu…