L'amiante en procès, Eternit condamné. Le tribunal civil de Bruxelles a jugé le fabriquant belgo-suisse responsable de la mort d'une femme qui habitait à proximité de son usine. Une première judiciaire qui pourrait bien faire jurisprudence. L’amiante est interdite en Belgique depuis 2005, mais reste encore présente jusque dans les écoles et il faudra au moins 40 ans avant que le pays en soit débarrassé.
Quelques mois avant de mourir en 2000 d'un mésothéliome, un cancer de la plèvre provoqué par l'amiante, Françoise Jonckheere avait fait promettre à sa famille de poursuivre son combat judiciaire contre la société Eternit. Dix ans après, deux de ses cinq enfants ont connu le même sort, emportés par l'amiante.
Ils étaient donc trois, les descendants de Françoise Jonckheere, à écouter ce lundi le verdict du tribunal civil de Bruxelles. Un procès, ouvert fin octobre, et qui se clot en forme d'espoir pour les victimes belges de l'amiante: la firme Eternit est reconnue responsable, et condamnée à verser 250 000 euros de dommages et intérêts à la famille.
"C'est extraordinaire. Justice a été rendue, a réagi Xavier, l'un des fils Jonckheere. On va pousser les gens à aller devant les tribunaux". Et son frère Eric de souligner, que "même si (ses) enfants lui demandent qui sera le 'suivant', (il) est très heureux de cette décision".
L'amiante est partout
Un nouveau chapitre, pour cette famille de Kapelle op-den-Bos, dont l'histoire noire à débuté en 1987, lorsque le père, ancien ingénieur à l'usine Eternit, meurt d'un cancer de l'amiante.
[A Kapel] on meurt 11 fois plus du mésothéliome que dans le reste du pays,"
rapporte la Libre Belgique.
Et pour les victimes de l'amiante en Belgique, le procès était une première. Le groupe belgo-suisse Eternit était accusé d'avoir négligé la nocivité de cette substance utilisée pendant des décennies dans la construction alors que, selon la famille Jonckheere, ses dangers sont connus depuis les années 1960.
Le fabricant belgo-suisse assure qu'il a toujours rempli ses obligations et protégé ses salariés des risques connus. "Nous savons maintenant que les mesures n'étaient malheureusement pas suffisantes", écrivait la société sur son site internet. A l'issue du procès, son avocat a répété qu'il n'y avait "pas eu de faute".
Pour se défendre, le groupe industriel comptait faire jouer le délai de prescription – de 20 ans, en Belgique, pour ce type d'affaire. Or, Eternit soutient que le délai moyen d’incubation du cancer de la plèvre tourne, selon les études scientifiques, autour des 35-40 ans. Las, "les faits ne sont pas prescrits", assène le juge.
Mais, même si la Justice a donné aujourd'hui raison à la famille Jonckheere, l’amiante (interdite depuis 2005) reste un énorme problème de santé publique en Belgique: ce matériau est encore partout, jusque dans les écoles, et il faudra au moins 40 ans avant que le pays en soit débarrassé. Le désamiantage sans risque semble être le cadet des soucis des autorités belges.
(De nos archives) En 1977, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) classait toutes les formes d’amiante comme cancérogènes avérés. Il faudra pourtant attendre vingt-quatre ans de plus pour qu'en 2001, l’État belge interdise toutes les utilisations de l’amiante pour se mettre en conformité avec une directive européenne de 1999.
Le début de l'hécatombe
Du fait de l’emploi massif de l’amiante dans le passé et le lobby de l’industrie de l’amiante particulièrement actif à Bruxelles, les pouvoirs publics ont tergiversé pendant longtemps avant de se résoudre à l'interdire totalement. Pourtant, c’est précisément parce que l’amiante a été tellement utilisée, avec un pic à la fin des années 1970 et au début des années 1980, qu’il y a urgence à l’éliminer.
Tony Mangano, le Directeur général d’une société de désamiantage en Belgique, Beeve Consulting, estime que le problème de l’amiante n’est pas prêt de disparaitre. Et ce tout particulièrement dans le parc immobilier public: où "d’après les statistiques, il y en a encore pour 20 ans [pour tout enlever]"
Dans les écoles "c'est de la folie"
Tony Mangano estime que les bâtiments et les espaces publics sont prioritaires. L’endroit le plus emblématique qui a dû être désamianté est l'immeuble abritant la Commission européenne à Bruxelles. Comme beaucoup de bâtiments construits dans les années 1960, l'amiante a été utilisé à tous les étages du "Berlaymont" pour la protection contre le feu. Ainsi, à partir de 1992, plus d’un millier de tonnes de plaques d'amiante ont été retirées avant que la Commission européenne ne puisse réintégrer le bâtiment en 2004.
Le directeur général de Beeve Consulting refuse de citer des endroits à risque spécifiques en Belgique, mais assure que l’amiante se trouve partout. Dans les hôpitaux, par exemple, où les plafonds ont souvent été recouverts de plaques d’amiante.
Si vous faites le tour des écoles, c’est une folie. Je viens d’avoir un troisième enfant et je ne sais même pas où je vais le mettre à l’école."
Inertie administrative
Les désamianteurs ont du pain sur la planche et pourtant les gouvernements régionaux de Bruxelles et de la Wallonie ne leur facilitent pas la tâche. En effet, avant de pouvoir entamer un chantier de désamiantage, il faut obtenir un permis d’environnement qui n'est délivré qu'au bout de 3 ou 4 mois.
C’est comme si vous aviez un malade auquel vous diriez que l'on va attendre de voir si la mutuelle paie avant d’opérer,"
s’indigne le directeur de Beeve Consulting.
En rajoutant les particuliers, le problème de l’amiante n’est pas prêt d’avoir disparu avant au moins 40 ans. Et c’est là que ça devient le plus inquiétant car l’amiante se trouve sous diverses formes et dans tous les endroits: des tôles ondulées sur les toits aux freins des voitures en passant par les planches à repasser.
Tant que les fibres restent collées ensemble il n’y a pas de danger. Mais si des travaux sont effectués sur ces objets ou qu'ils se dégradent, alors l’amiante peut se désagréger en fibres microscopiques très volatiles qui sont facilement inhalées. Après 20 et 40 ans de latence une asbestose ou un cancer (poumon, mésothéliome et larynx) peut alors se déclarer.
Malgré cela, le désamiantage du parc immobilier privé en Belgique semble être le cadet des soucis des autorités belges. L'installation de panneaux solaires sur les toits passe avant le désamiantage. Zéro subvention, or les coûts du désamiantage sont très élevés.
Comme la maladie se déclare 40 ans après, l’État se dit 'moi je m’en fous, je ne serai plus ministre",
estime M. Mangano.
"Les poussières d’amiante volent partout"
Une simple détection de la présence d'amiante peut coûter entre 400 et 500 euros. Si le diagnostic est positif, le désamiantage d'une chaufferie revient de 3 000 à 5 000 euros. Mais la moyenne pour les particuliers se situe plutôt entre 7 000 et 12 000 euros. Des prix prohibitifs qui incitent certains personnes à ne pas faire appel à des spécialistes et à se retrousser les manches sans mesurer les risques pris.
C’est n’importe quoi parce que l’information sur les dangers de l'amiante ne passe pas bien parmi les particuliers",
s’indigne Eric Jonckheere, de l’Association Belge des Victimes de l’Amiante (Abeva).
La législation du travail, très stricte sur les modalités de traitement de l'amiante, ne s’applique pas aux particuliers et aux indépendants. Ceux-ci peuvent ainsi soit employer des professionnels, soit le faire eux-mêmes en allant dans des parcs à conteneurs. Et c'est bien là tout le problème. En principe, tout doit être fait avec un maximum de précautions mais, selon M. Mangano, c'est loin d'être le cas.
Si vous allez dans n’importe parc à conteneur où on peut jeter de l’amiante vous voyez des poussières d’amiante qui volent partout en l’air",
témoigne le directeur de Beeve Consulting.
Le nombre de victimes est sous-évalué et risque d'augmenter très rapidement. Selon les chiffres officiels, il y a environ 300 personnes victimes de la contamination à l’amiante chaque année.
M. Jonckheere estime qu’en observant les statistiques des pays voisins qui placent le nombre de victimes de l’amiante au-delà de celles de la route, on peut estimer qu’il y a vraisemblablement 900 morts par amiante par an en Belgique. Il prédit également que le nombre de victimes va exploser, atteignant un pic dans les années 2025-2030.
Premiers procès
Après l'issue de cette première action en justice au civil, conclue en faveur de la plaignante Françoise Van Noorbeeck, les procès pourraient s'enchaîner. En Italie, la filiale d'Eternit est visée par les plaintes de plus de 6 000 parties civiles. A l'issue du procès (pénal cette fois), le procureur de Turin a requis 20 ans de prison contre deux anciens dirigeants.
En 2009, également pour la première fois de l'histoire de la Belgique, le parquet de Bruxelles a décidé de renvoyer en correctionnelle un entrepreneur, un agent immobilier et une société de Tournai pour avoir fait retirer 4 tonnes d'amiante à mains nues par des ouvriers sur un chantier situé en région bruxelloise en 2007. L’affaire est encore en cours.
Actualisé le 28novembtre 2011 après que le groupe Eternit a été reconnu responsable de la mort d'une femme qui habitait près de son usine de Kapelle-op-den-Bos.