A situation désepérée, mesure désespérée. Une entreprise espagnole à la dérive tente d’apitoyer les consommateurs en leur demandant d'acheter ses marchandises sous peine de fermeture. Un exemple qui illustre bien la situation dramatique dans laquelle se trouvent nombre de PME dans une Espagne en crise.
"Vente forcée : nous allons perdre notre emploi !". Voilà comment Gestiones de Quiebra y Liquidaciones, une entreprise espagnole spécialisée dans la liquidation d’entreprises faisait récemment sa pub dans ABC, El Mundo et El País, les trois premiers quotidiens espagnols.
"Dès que notre propriétaire aura trouvé un nouveau locataire, nous devrons plier bagage" ; "Nous avons de l’eau jusqu’au cou !" ; "Si nous n’arrivons pas à vendre […] la première conséquence sera que nous devrons licencier nos employés".
Le message publicitaire ressemble à l’énumération d’une série de calamités qui attendent l’entreprise si les consommateurs ne se ruent pas sur le stock de tapis qu’elle doit liquider. La réclame est ponctuée d’une petite touche un brin cynique : "Derrière chaque crise, se cache une opportunité".
A vot’ bon cœur !
Tout est fait pour que vibre la corde sensible du consommateur, l’argument de vente se résumant, finalement, à lui demander de sauver des emplois. Une B.A. bienvenue alors que l’Espagne croule sous le poids de ses cinq millions de chômeurs. L’idée ne semble pas mauvaise, le chômage constituant le premier motif de préoccupation des Espagnols d’après le Centre d’Investigations Scientifiques.
L’appel à la compassion des consommateurs n’est peut-être pourtant pas la meilleure arme.
Avec la crise, les consommateurs changent. Les achats se font plus rationnels et moins émotionnels. Le message de l’entreprise doit répondre à cette nouvelle tendance, en les convainquant de la valeur ajoutée du produit et en évitant de leur faire peur",
explique Alessio Manzan, professeur en Communication de l’IE University. "On doit prendre en considération les difficultés du consommateur en crise et lui apporter des solutions", ajoute cet expert en communication qui reconnaît que c’est la première fois qu’il a affaire à ce genre de message publicitaire.
Quatre fois plus de liquidations qu'en 2007
De fait, la formule ne semble pas avoir fait mouche. Dans le local tout en longueur de Gestiones de Quiebra y Liquidaciones, situé dans un quartier élégant du centre de Madrid, le vendeur, Patrick, semble bien seul au milieu de ses tapis :
Les gens viennent, mais ils veulent acheter à des prix inacceptables. Si dans deux mois nous n’avons pas vendu ces tapis, nous mettrons la clé sous la porte".
Gestiones de Quiebra y Liquidaciones viendrait ainsi grossir les rangs des entreprises disparues sous l’impact de la crise.
Depuis 2008, en effet, le nombre d’entreprises liquidées a été démultiplié. A titre d’exemple, si au troisième trimestre 2007, 247 liquidations étaient déclarées, au troisième trimestre 2011, elles étaient 1 489, soit six fois plus que quatre ans auparavant. Les entreprises du secteur de la construction et du secteur immobilier sont les plus concernées, suivies de l’énergie et l’industrie, et enfin, les services, secteur dont fait partie Gestiones de Quiebra y Liquidaciones. Par ailleurs, la moitié des entreprises créées en 2004 avait disparu en 2009.
L'arroseur arrosé …
Paradoxalement, cette entreprise spécialisée dans la gestion de faillites ne semble pas avoir tiré parti de la situation. Des difficultés à se financer semblent à l’origine de ses problèmes, comme elle l’explique dans la publicité : "La banque ne nous accorde aucun prêt, au contraire, notre prêt a été résilié". Le problème du financement, crucial pour la survie de bon nombre de PME, s’est accentué avec la crise d’autant que les banques elles-mêmes peinent à se financer sur les marchés. D’après les chambres de commerce espagnoles, 88% des PME reconnaissent avoir eu des difficultés pour obtenir des prêts auprès des banques au troisième trimestre 2011 et 13,4% se le sont vu refuser.
Avec cette pub aux allures de grand déballage, Gestiones de Quiebra y Liquidaciones a tiré ses dernières cartouches. Dépité, Patrick conclut :
As-tu idée du prix que coûte la distribution de ce genre de publicité dans les trois quotidiens les plus diffusés en Espagne ? Si ca ne marche pas, nous coulons".
Un triste comble pour une entreprise spécialisée dans la liquidation d'entreprises …