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A Berlin, une retraitée chasse les graffitis nazis

mardi, 6 décembre, 2011 - 10:39

Depuis 25 ans, Irmela Mensah-Schramm parcourt inlassablement les rues de Berlin pour enlever graffitis et autocollants nazis. Ni les menaces, ni les remontrances de la police ne peuvent arrêter cette enjouée retraitée de 65 ans. Alors que l'Allemagne redécouvre avec stupeur le terrorisme d’extrême droite, Irmela a arraché 48 140 autocollants en cinq ans.

Irmela Mensah-Schramm est infatigable. Qu’il neige, qu’il pleuve ou qu’il vente, cette retraitée de 65 ans ne cesse de sillonner les rues de Berlin pour combattre les néonazis. "Même avec une jambe cassée, j’y allais !", s’exclame la petite dame en souriant. Ses armes: un racloir, du vernis à ongle et une bombe de peinture noire.

Évidemment, elle ne s’attaque pas directement à de grands gaillards au crâne rasé. Juste à leurs graffitis ou à leurs autocollants.

Je me promène presque chaque jour dans la ville pour enlever les inscriptions racistes et les stickers des groupes d’extrême-droite,

raconte Irmela. Entre le matériel divers et les cartes de transport, elle dépense environ 300 euros par mois.


C’est en 1986 qu’Irmela a commencé son combat.

J’allais à mon travail, et j’ai vu un sticker nazi sur mon arrêt de bus, avec une photo de Rudolf Hess [bras droit d’Hitler]. Je n’ai pas pu l’enlever avant que le bus n’arrive, et cela m’a travaillé toute la journée. J’avais honte de moi-même. Du coup, quand je suis rentrée, dix heures plus tard, je l’ai retiré. Et j’ai ressenti une réelle satisfaction.

Elle enlève jusqu’à 719 autocollants par jour

Du coup, elle ne s’est jamais arrêtée: "Depuis janvier 2007 j’ai enlevé 48 140 autocollants". Il faut dire que peu importe où elle passe, les graffitis et les affiches racistes finissent toujours par réapparaitre. Un vrai rocher de Sisyphe. Mais Irmela ne se décourage pas. "Je veux avant tout combattre l’indifférence. Montrer aux gens que les nazis sont toujours très présents, et que l’on peut tous faire quelque chose contre eux. Je sais bien que ce que je fais n’est pas le seul moyen, et que cela ne résoudra pas tout, mais c’est déjà quelque chose."

Et pourtant, les actions de cette petite dame à lunettes ne sont pas toujours très bien accueillies.

J’ai déjà eu des réactions de gratitude et des remerciements. Mais certains passants qui me voyaient faire m’ont dit que j’étais pire que les nazis. Et les nazis eux-mêmes m’ont déjà menacée directement. Ils avaient affiché ma photo dans une rue avec l’inscription 'Schramm on t’aura'.

Plus d’un aurait pris peur, rangé racloir et bombe de peinture au placard. Mais pas elle: "J’ai rencontré un groupe une fois. Ils m’ont dit qu’ils allaient me traquer. Alors je leur ai dit: 'allez-y je suis là'. Mais ils sont juste partis. Ce ne sont que des lâches !"

La police non plus n’est pas particulièrement bienveillante à son égard: "ils considèrent ce que je fais comme de la dégradation de biens. J’ai déjà eu quatre plaintes contre moi !"

"La haine contre la haine ne sert à rien"

Irmela Mensah-Schramm anime également plusieurs ateliers et rend compte de son combat au travers d’expositions qui montrent la propagande qu’elle a supprimée. "J’aimerais inciter les gens à faire comme moi", explique la retraitée.

Mais attention, elle ne veut surtout pas appeler à un combat violent contre les nazis. "La haine contre la haine ne sert à rien. Écrire qu’il faut détruire les nazis sur des murs n’arrangera pas les choses."

Et pourtant, malgré son pacifisme, elle a bien du mal à exposer. "On me dit souvent non, parce que mon travail dérange. Je mets le doigt là où ça fait mal. Je montre des choses que les gens ne veulent pas voir." Selon elle, les gens préfèrent juste ignorer le problème.

La découverte mi-novembre d’un commando de trois néo-nazis soupçonnés d'une dizaine de meurtres (une policière et neuf étrangers, dans des restaurants de kebab) a choqué tout le pays. Les autorités n'auraient rien vu venir ; l'extrême droite parlementaire est en perte de vitesse. Mais, les groupuscules radicaux n'ont pas disparu. En  témoigne le regain d'antisémitisme, et les autocollants que traque Irmela.

Elle tente ainsi depuis longtemps d’amener son exposition au Parlement européen de Strasbourg. Sans succès. "J’ai vraiment du mal à comprendre ce manque de soutien", soupire Irmela. Pour la première fois au cours de l’entretien, on croit sentir une pointe de fatigue dans la voix enjouée de la retraitée. Et pourtant, la voilà qui reprend son racloir, et repart sillonner les rues de Berlin.

Tant que je peux marcher, je ne m’arrêterai pas !,

lance-t-elle en souriant.




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