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L’Allemagne menacée par Standard & Poor’s devient parano

mardi, 6 décembre, 2011 - 16:30

A Berlin, on ne décolère pas à l'encontre de qui menace de dégrader l'Allemagne. Dans la foulée, ce sont les agences de notation qui sont accusées de comploter contre l'Europe pour le plus grand profit des Etats-Unis. Mais personne ne propose une solution de rechange crédible.

Elles sont accusées de tous les maux, mais pourtant personne ne semble pouvoir s’en passer. Les agences de notation continuent d’être les baromètres incontestés, et pourtant contestables, des investisseurs du monde entier. Lorsque Moody’s fait les gros yeux à un pays, son gouvernement baisse la tête et si Fitch montre du doigt un "mauvais élève" du Cac 40, le "cancre" promet de rentrer dans les rangs…

L’annonce hier soir de Standard & Poor's de placer "sous surveillance négative" les notes d'endettement à long terme de quinze pays de la zone euro, dont la France et surtout l’Allemagne , engendre colère et ressentiments envers ces agences qui exercent leur diktat sur la planète financière et les Etats.

Cartes truquées

Berlin ne s’attendait visiblement pas à une telle annonce. L’hebdomadaire Spiegel parle d’une "attaque de S&P". Le quotidien munichois de centre gauche, Süddeutsche Zeitung, constate pour sa part que "même les élèves modèles ne sont plus à l'abri". Le Financial Times Deutschland est plus critique: 

La dernière chose dont ont besoin des investisseurs déjà nerveux (…), c'est l'impression que l'on joue avec des cartes truquées sur le marché de la dette souveraine"

En France, l’idée de voir la note de la dette publique à long terme baisser de deux crans alors qu’elle profite du statut envié "AAA" depuis… 1975, fait également craindre le pire. Alors, comme souvent depuis quelques mois, les critiques tentent de montrer du doigt le manque de sérieux de ces agences pour tenter de dédramatiser la crise actuelle. D’autres vont même plus loin en agitant le chiffon rouge de la… conspiration.

"Un calcul politique"

Je ne suis pas partisan des théories du complot mais quelquefois il est difficile de se défaire de l'impression que certaines agences de notation et certains gestionnaires de fonds américains travaillent contre la zone euro"

s’est ainsi emporté l’ancien ministre libéral (FDP) de l'Economie, Rainer Brüderle, dans les colonnes du journal économique Handelsblatt. Michael Fuchs un des ténors du parti chrétien-démocrate (CDU) estime, pour sa part, que l’avertissement de S&P est "un calcul d'ordre politique" visant à faire oublier que "la dette des Etats-Unis dépasse celle de la zone euro toute entière".

D’autres analystes jugent, au contraire, que la mise en garde de l’agence américaine est plutôt une bonne nouvelle pour Berlin. En faisant "monter la pression", pense le quotidien Tagesspiegel, S&P pourrait "aider Mme Merkel à atteindre son but" qui consiste à forcer les pays européens les plus endettés à adopter une stricte discipline budgétaire.

"Casser le monopole"

Le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, pense également que la démarche de l’agence de notation représente "la meilleure incitation possible" pour les chefs d'Etats "à tenir leurs promesses et à prendre les décisions nécessaires afin de gagner de nouveau progressivement la confiance des investisseurs dans le monde (…).Je ne peux rien imaginer de plus efficace".

Les avis sont donc pour le moins partagés, pour ne pas dire totalement divergents, sur les conséquences de l’avertissement de S&P. Tous les experts s’accordent toutefois à dire que ces agences ont trop de pouvoir. Le conservateur, Michael Meister, a ainsi appelé, hier, à "casser le monopole" des trois grands spécialistes de ce secteur, à savoir Standard & Poor's, Moody's et Fitch. Cette demande revient comme une rengaine depuis quelques mois.

Ces "spécialistes" ont, il est vrai, commis de sérieuses boulettes récemment. En 2001, S&P et Moody’s se sont décidés à ne plus accorder leur toute meilleure note à Enron quelques jours à peine avant sa… faillite. Les trois agences ont également donné pendant de très nombreuses années leur "AAA" à tous les prêts hypothécaires à risques, plus connus aujourd’hui sous le nom de subprime. Et en 2008, Lehman Brothers a profité de la note honorable "A" jusqu’au jour de sa disparition…

Un juge-arbitre non commercial ?

Tous ces incidents de parcours montrent bien que la parole des agences n’est pas d’Evangile. Les critiques ne manquent pas d’arguments quand ils expliquent qu’un autre système doit être trouvé pour évaluer de manière plus sérieuse les dettes des pays ou les bilans financiers des entreprises. Pourquoi passer par des sociétés privées qui sont payées par les sociétés qui veulent être notées pour influencer les investisseurs du monde entier ? Pourquoi ne pas créer une institution mondiale totalement indépendante et non commerciale pour jouer ce rôle de juge-arbitre ? 

L’idée n’est pas forcément folle, mais personne ne semble travailler sérieusement sur ce projet. Les dirigeants d’entreprises et les gouvernements se contentent de montrer du doigt les "méchantes agences" au lieu de trouver une solution pour mettre fin à leur toute puissance. Dommage… 


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