Entre une Allemagne confite en orthodoxie monétaire et une France obsédée par sa souveraineté, les compromis sont forcément minimalistes. Pour favoriser un sursaut européen, d'autres partenariats sont souhaitables.
Le sommet européen de Bruxelles vient d'accoucher d'une souris: au lieu d'un projet de traité modifiant les règles de gouvernance économique de la zone euro et jetant les bases d'un fonctionnement plus démocratique de l'Union, c'est un simple pacte budgétaire qui nous est servi. Un pacte purement repressif comportant l'imposition d'une règle d'or plafonnant les déficits et des sanctions automatiques en cas de dépassement.
Dialogue auto-bloquant
Ce bilan a minima est le résultat direct de l'"impulsion conjointe" donnée ces derniers jours par le directoire franco-allemand de l'Europe. Directoire de fait, nullement fondé sur une quelconque règle écrite, qui, loin d'être un moteur de la construction européenne, en est le premier facteur de blocage.
D'un côté, l'Allemagne, première puissance économique européenne qui, pour de bonnes raisons (historiques) ou pas, est obsédée par l'orthodoxie monétaire, la lutte contre l'inflation, la rigueur budgétaire et le gouvernement des juges, des sages ou des techniciens. Conséquence: pas question d'élargir le rôle de la banque centrale européenne en lui donnant pour mission de veiller également sur la croissance et l'emploi ni de lui permettre de refinancer la dette des pays en difficulté; pas question non plus de relever la capacité d'intervention du futur mécanisme européen de sauvegarde (MES).
La mère de toutes les nations
En face d'elle, la France. Un pays qui, depuis les origines de la construction européenne, refuse toute idée de fédéralisme parce qu'il est obsédé par sa souveraineté et rêve constamment d'imposer ses vues aux autres et de se protéger. En 1955, la France torpillait la communauté européenne de défense (CED); en 1966, elle imposait, avec le compromis de Luxembourg, la règle de l'unanimité dans les décisions et la notion "d'intérêt vital" des Etats; constamment, par la suite, elle se fit le chantre de l'Europe des Nations et de la gestion intergouvernementale de l'Union.
Résultat: tous les projets d'Angela Merkel tendant à bâtir une Europe plus fédérale et plus démocratique – renforcement du Parlement, élection du président de la Commission au suffrage universel – n'ont même pas été mis sur la table.
Une Europe répressive et dogmatique
D'où le bilan affligeant du dernier conseil européen et de tous les compromis intervenus depuis plusieurs mois entre Paris et Berlin: une Europe de l'austérité et de la trique édifiée, hors de tout contrôle démocratique, par deux partenaires uniquement préoccupés par la défense de leurs principes intangibles. Au lieu d'une Europe solidaire, coopérative et pragmatique, on se retrouve avec une Europe répressive et dogmatique qui ambitionne seulement de faire coexister les égoïsmes.
Il ne s'agit pas de nier le rôle essentiel qu'a pu jouer, dans le passé, l'entente franco-allemande dans l'édification d'un espace de paix et de sécurité. Mais aujourd'hui, force est de reconnaître que ce tête à tête n'est plus seulement improductif. Il est délétère.
Pour en sortir, pas question bien sûr d'opter pour la confrontation entre les deux anciens adversaires. Il faut simplement ouvrir le jeu afin que d'autres partenaires, les uns proches de la France, les autres proches de l'Allemagne, amènent chacune des deux nations à sortir de ses blocages et de ses obsessions.
Le groupe latin
Pour la France, la bonne voie serait de se rapprocher de l'Italie, de l'Espagne et de la Belgique. Un quatuor pesant, à l'instar de la "Françallemagne", 50% du PIB de la zone euro. Avantage de ces trois nouveaux partenaires: ils sont pro-européens et devraient parvenir à convaincre la France de cesser son obstruction à toute dérive fédéraliste. Cela d'autant mieux que rien ne désunit culturellement ces quatre pays qui n'ont ni la religion de l'orthodoxie, ni celle de la monnaie forte.
De son côté, au sein de la zone euro, l'Allemagne pourrait, avec profit, dialoguer plus intensément non seulement avec l'Autriche, mais aussi les Pays-Bas, la Finlande, l'Irlande, la Slovénie, la Slovaquie….
Nord und mittle…
Ces pays d'Europe du nord et d'Europe centrale, d'un poids équivalent au "groupe latin", forment un ensemble de nations pro-européennes (parfois même fédéralistes), plutôt rigoureuses en matière de gestion mais pas forcément monétaristes.
Bien plus que les deux leaders en tête à tête, ces deux groupes pourraient se parler et s'entendre sur des compromis sans pour autant que l'un où l'autre ait l'impression d'y perdre son âme. Stratégie d'autant plus efficace qu'elle est conforme à la pluralité des cultures et des nations européennes. Sortons vite du "directoire" franco-allemand de Merkozy !