Samedi 10 décembre, le Suédois Tomas Tranströmer a reçu à Oslo le prix Nobel de littérature. La consécration d’un poète discret, traduit en plus de soixante-trois langues.
Porté par l’obscurité
J’ai croisé une grande ombre
Dans une paire d’yeux.
Ils ne paient pas de mine, les poèmes de Tranströmer. Quelques vers simples, elliptiques, des amorces d’histoires tirées de petits riens du quotidien : l’océan en hiver, la cloche d’une église, une voiture bloquée dans les embouteillages, les lumières de la ville depuis une chambre d’hôtel…
Simple mais pas simpliste
Pourtant, quand l’académie Nobel annonce son nom le 6 octobre dernier, c’est l’ovation dans l’assistance. Pensez donc, c’est la première fois en quarante ans que l’institution suédoise – par crainte des critiques ? – ose récompenser l’un de ses compatriotes ! Il faut dire aussi qu’en terre scandinave, le poète de 80 ans jouit d’une immense notoriété.
Au contraire de l’Hexagone, où la sobriété de son œuvre, traduite en français par Jacques Outin (installé en Allemagne), lui valent les sarcasmes de certains journalistes. L’auteur Renaud Ego, spécialiste de l’œuvre de Tranströmer, rétorque aux sceptiques :
Ses poèmes sont simples, pas simplistes ! Ils ne sont ni dans l’éloquence, ni dans la posture ; c’est peut-être ça qui surprend et agace".
Certains lui reprochent aussi de ne plus écrire depuis vingt ans. Et pour cause : une attaque cérébrale en 1990 l’a laissé en grande partie hémiplégique et aphasique…
Ode au monde qui nous entoure
Les poèmes du Suédois parlent donc de nature, "forcément présente quand on vit au pays des forêts, de la neige et de la nuit !". Mais pas seulement. Chez lui, tout est prétexte à observation, sensation, réflexion : vie quotidienne, problèmes politiques, questions de société…
Ancien psychologue, Tranströmer est doté de cette formidable capacité d’attention aux choses et aux autres. Il est comme un veilleur qui nous transmet ses états d’éveil. Ses écrits mettent des mots sur ce que chacun vit, si tant est qu’il lui reste un peu de disponibilité intérieure",
estime Ego.
Voire ils aident à se reconnecter à cette disponibilité : lire quelques lignes, en ressentir la résonnance, puis laisser aller son propre imaginaire… "En ce sens, la poésie est un acte révolutionnaire : en donnant des dimensions fortes à l’existence (de la joie, de l’énergie, de la conscience), elle nous rend plus riches, moins soumis aux contingences matérielles et à l’asservissement social".
Alors si vous pensez que la poésie n’est pas pour vous, ou que votre petite nièce pourrait écrire la même chose, faites donc l’effort chaque matin de lire quelques vers et de laisser les mots faire leur œuvre…
Par ses mots, ses métaphores, ses silences, Tranströmer nous fait ressentir le monde, ses vibrations, et ce qui bat derrière. Il introduit une étrangeté, ouvre une brèche sur un mystère ".
Tranströmer, poète mystique ?
"Oui, mais sans rapport avec une quelconque religion", rétorque Ego. "Sa métaphysique n’est autre qu’une attention à l’extraordinaire prolixité du monde, une réflexion sur son sens, le ressenti de son unité".
Le 10 décembre, quand le poète contemporain le plus traduit au monde recevra son Nobel, la cérémonie prendra une dimension singulière, puisque le lauréat ne sera pas en mesure de faire de grands discours protocolaires. Renaud Ego avance :
Peut-être choisira-t-il de jouer du piano. C’est aujourd’hui son moyen d’expression. La musique, comme la poésie, permet de toucher les sens sans s’encombrer de la signification".
Œuvres complètes : Quarante ans de poésie en 300 pages. Ed. Castor Astral
Les souvenirs m’observent : Livre de mémoires, seule incursion de Tranströmer dans le domaine de la prose. Ed. Castor Astral
La grande énigme : Recueil de textes très courts de type "haïku". Ed. Castor Astral