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L’Allemagne juge ses paumés nostalgiques du IIIe Reich

vendredi, 9 décembre, 2011 - 20:02

Beate Zschäpe, unique survivante du trio de tueurs néonazis, comparait le 6 mai 2013 devant le tribunal de Munich. Elle est soupçonnée d'avoir participé au meurtre de neuf immigrés dont huit Turcs et un Grec. 

Les médias allemands parlent déjà d'un des plus grands procès néonazis depuis l'après-guerre. Beate Zschäpe, seule rescapée du trio de tueurs néonazis, comparait devant le tribunal de Munich. Elle est accompagnée de quatre autres individus jugés pour complicité.

Entre 2000 et 2007, Beate et ses acolytes Uwe Mundloset et Uwe Böhnhardt, auraient causé la mort de huit immigrés Turcs, d'un Grec et d'une policière.

Le procès, initialement prévu le 17 avril, avait été reporté. En cause, l’absence de médias turcs durant l'audience. Le tribunal de Munich, par un curieux hasard, ne leur avait délivré aucune accréditation. À la suite d'une plainte déposée par le journal Shiba devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, la presse turque avaient obtenu gain de cause.

Un T-Shirt "Killer Döner"

Tout a commencé avec la découverte à Zwickau, dans l’est de l’Allemagne, de l’arme la plus recherchée du pays – un Ceska 7,65mm. Cette même arme qui a tué les neuf entrepreneurs de Rostock à Munich. Il a été trouvé dans les décombres de l’appartement de Beate Zschäpe, qui l’avait fait exploser avant de se rendre à la police.

Ses deux acolytes, Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt, se sont donné la mort dans leur camping après un braquage qui a mal tourné. Dans leur véhicule on a retrouvé l’arme de service d’une femme policier assassinée en 2007.

Autre découverte macabre dans l’appartement incendié: un DVD de 15 minutes mettant en scène une panthère rose revendiquant les assassinats. Si la majeure partie de l’Allemagne est restée sous le choc après ces révélations, certains semblent s’en être amusés.

Ainsi, plusieurs activistes ont opté pour l’animal rose pour leur photo de profil Facebook. Tandis que d’autres osaient aller encore plus loin dans le mauvais goût: la marque de vêtements Reconquista, bien connue pour ses motifs racistes, a sorti son propre T-Shirt en honneur des tueurs. Le slogan: "Killer Döner à la mode de Thuringe". Et l’image n’est pas d'un goût meilleur, une broche de Kebab, dont la moitié ressemble au masque de Scream, transpercée par deux sabres. Sans compter évidemment la chanson de Gigi, plus à la mode que jamais.

Les tueurs ne sont donc pas juste un épiphénomène isolé. Ils trouvent des gens pour applaudir à leurs actes. Pire, ils avaient des gens pour les aider.

Une menace sous-estimée

Alors qu’on a cru au début qu’il s’agissait d’une simple cellule isolée, il s’est avéré que le trio infernal bénéficiait de plusieurs soutiens parmi les activistes de la région [la photo montre la "maison brune" à Iéna. Un repère de néonazi où trainaient les trois tueurs dans les années 90 avant leur disparition].

Tino Brandt, ancien chef des néonazis de Thuringe, qui les a bien connu dans les années 1990 l’avoue lui-même: "Les camarades de Iéna avaient encore des contacts avec eux pendant six mois après leur disparition en clandestinité. Nous avons même organisé des concerts pour récolter de l’argent pour eux".

Un important néonazi de Iéna, Ralph Wohlleben, également ancien cadre du NPD [le parti d'extrême droite], a été arrêté pour avoir fourni des armes au trio infernal. En tout, la police soupçonne une vingtaine de personne d’être venues en aide à Beate et ses amis.

Aveuglement

Et dire qu’en juillet 2011, après la tuerie en Norvège, le ministre de l’intérieur allemand affirmait que son pays n’avait pas à faire face à l’extrême droite. Il a du revoir sa copie.

Et pourtant, la violence des néonazis n’est pas une nouveauté en Allemagne, comme l’explique Katharina König, députée de Die Linke au parlement de Thuringe:

Ce qui est terrible, c’est que nous – et avec 'nous' je veux dire les mouvements antifascistes de gauche – nous avons en permanence tenté de rendre publique l’existence de cette violence et de ce militantisme nazis. Et nous avons essayé de faire savoir qu’ils ne se gênent même pas pour tuer. Nous déplorons depuis 1990 plus de 140 morts qui sont à mettre sur le compte de la violence d’extrême droite. 

La fondation berlinoise Amadeu Antonio en compte même 182 depuis la réunification. On est bien loin des 47 annoncés par les autorités.

Les autorités se concentrent sur l'extrême gauche

Mais pourquoi donc cette sous-estimation ? Les autorités ont-elles été "aveugles de l’œil droit", comme le clame la chef des Verts Claudia Roth ? Le politologue Carsten Koschmieder, de l’Université libre de Berlin a un début d’explication:

Depuis dix ans l’attention publique s’est largement concentrée sur le terrorisme islamiste, après le onze septembre. De plus, les conservateurs ont plutôt tendance à minimiser l’extrême droite, pendant qu’ils se concentrent d’avantage sur l’extrême gauche. Donc, depuis qu’ils sont au pouvoir, en 2009, ils ont enlevé de l’argent au combat contre l’extrême droite et ont dit: 'nous devons faire davantage contre l’extrême gauche".

Radicalisation

Alors certes, on ne peut pas nier que certains chiffres pourraient montrer un recul de la scène néonazie en Allemagne. Ainsi, le parti d’extrême-droite NPD serait en perte de vitesse. 

Pour ce qui est de la tendance dans son ensemble, l’Office de protection de la constitution a comptabilisé environ 25.000 personnes d’extrême droite dans le pays en 2010, soit 1 600 se moins que l’année précédente. Mais avant de se réjouir sur ces chiffres, il s’agit d’en citer un dernier, en hausse celui-ci : le nombre de néonazis "prêts à la violence": il est passé de 5.000 à 5.600 en 2011.

Interdire le NPD est-il la solution ?

Et maintenant l’Allemagne en a plus conscience que jamais. Apeurée par le retour d’une "peste brune", la population demande des réponses. Première idée des gouvernants: remettre l’interdiction du NPD sur le tapis. "C’est un signe d’impuissance, analyse Koschmieder. On demande des solutions, et les politiques n’en ont pas encore. Interdire le NPD est la première chose qui leur est venu à l’esprit quand les journalistes leur ont tendu leurs micros."

Sans compter que rayer le NPD du paysage politique allemand ne va pas être si simple. Une tentative dans ce sens a déjà échoué en 2003 devant la cour constitutionnelle. Mais surtout, cela ne résoudra pas forcément le problème.

Non seulement on pourra moins bien surveiller l’extrême-droite, mais il y a aussi un risque de radicalisation des militants si le parti est interdit,

explique le politologue.

Ce qui apparait plus que nécessaire à l’heure actuelle, c’est donc une meilleure surveillance de la scène d’extrême-droite. Mission dans laquelle les services de renseignements semblent avoir échoué jusqu’à maintenant. Sinon comment expliquer que ce trio ait pu assassiner aux quatre coins de l’Allemagne pendant sept ans sans jamais être inquiété ?

Le gouvernement allemand a mis en place une base de données spéciale sur l’extrême droite, et la coopération entre les différents services de renseignement a été renforcée. Reste à voir si cela sera suffisant.




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