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L’industrie énergétique plombée par la fin du nucléaire en Allemagne

jeudi, 15 décembre, 2011 - 14:17

Les industriels français et allemands de l'énergie ont bien du mal à digérer la sortie du nucléaire. Alors qu'Areva et et le géant Eon annoncent des pertes et des milliers de suppressions d'emplois, Angela Merkel assure que l'abandon accéléré de l'atome créera plus d'emplois qu'il n'en détruira. 

L’industrie énergétique est en crise. Après l'annonce des plans de licenciement chez le français Areva et le numéro deux allemand RWE, c’est au tour du leader allemand d’essuyer des pertes records.

D'après le quotidien économique Handelsblatt, Eon pourrait annoncer des pertes d’au moins 1 milliard d’euro pour l’année en cours, après années de bénéfices compris entre 1 et 9 milliards annuels. L'an passé encore, le groupe avait enregistré 6 milliards d’euros de profits et distribué, comme à son habitude, de fortes dividendes à ses actionnaires.

La décision de la Chancelière allemande en mai ndernier semble avoir changé la donne: les 17 réacteurs nucléaires du pays, exploités par les groupes RWE, E.ON, Vattenfall et EnBW, seront arrêtés d’ici 2022, et 7 immédiatement. L’alliance des Verts et des Socialistes au pouvoir en 2002 avait déjà décidé l'abandon de l'atome à l'horizon 2030.

Angela atomise Eon

Cet été, Johannes Teyssen, le patron d’Eon s’en était pris directement à la chancelière allemande, accusant la sortie précipitée de l’atome en Allemagne de lui coûter 1,9 milliards d’euros. Un chiffre qui n’explique toutefois pas l'écart entre les bons résultats de 2010 et ceux de 2011.

La différence, près de 7 milliards, tient surtout à une politique intensive de rachats en 2008, des acquisitions dont la valeur s’est écroulée avec les marchés. Mais la question de la brutalité de la sortie du nucléaire reste posée.

Plusieurs analystes, cités par le Handelsblatt, chiffrent à 10 milliards d'euros le "coût d’opportunité" – la perte et le manque à gagner – pour le numéro un allemand de l'électricité, en raison de cette sortie de l’atome en 2022 au lieu de 2030. Pour courroner le tout, les agences de notation auraient désormais la note d’Eon dans le viseur, avec les conséquences que l’on sait sur le coût de l’emprunt.

Lundi, c’est RWE, qui annonçait une réduction de 8 000 postes sur un effectif total de 72 000 employés. Le challenger d’Eon a du renoncer à ses deux réacteurs nationaux, et se résoudre à vendre des actifs pour combler le manque à gagner correspondant. Si les bénéfices du groupe atteignent encore 4,3 milliards, ils sont en baisse de 30%.

Enfin EnBW, partenaire du français EDF jusqu’à cet été, a dû renoncer à deux de ses quatre réacteurs. Il a passé une provision de 1,2 milliards d'euros et enregistré une perte d’un demi-milliard à la fin septembre. Ici encore, la sortie du nucléaire est mise en avant par le management. Reste que la provision est aussi due à des prises de participations hasardeuses.

Areva "punit" l’Allemagne

Mardi 13 décembre, c’était le tour du géant français Areva, d’annoncer environ 1,5 milliards de pertes. Areva qui a prévu dans son "Plan d’action 2016" d’économiser 1 milliard d’euros par an d’ici 2015, a annoncé un vague de licenciements… exclusivement en Allemagne. 1 200 sur 5 700 postes Outre-Rhin.

Une manière de se venger d’Angela Merkel ? Ou une façon de mettre la pression en France alors que le débat sur la sortie du nucléaire s’invite à la présidentielle ?

Comme Eon, Areva a beau jeu de renvoyer la faute sur les politiques allemands. L’essentiel de ses pertes viennent en fait des frais de démantèlement et d’entretien de ses sites en France, et plus encore des surcoûts incessants enregistrés sur ses réacteurs de dernière génération (EPR) en construction: la provision passé sur le réacteur d’Olkiluoto, atteint désormais 2,8 milliards d’euros… l’équivalent de son prix de vente !

La chancelière Angela Merkel a malgré tout assuré le même jour que:

Au final, la nouvelle politique énergétique va créer plus d'emplois qu'elle n'en fera perdre.

Elle a jugé que les suppressions d'emplois annoncées par plusieurs poids lourds du secteur étaient "des décisions d'entreprises" mais qu'elles relevaient "d'évolutions de long terme et non d'une seule cause", en l'occurrence l'abandon du nucléaire.

Le salut par les énergies renouvelables

Si l’affranchissement du nucléaire devrait en toute logique passer par les énergies renouvelables, la transition ne semble pas si évidente. Selon l’institut de recherche économique DIW cité par le quotidien Süddeutsche Zeitung, les investissements nécessaires pour développer les énergies renouvelables s’élèveraient à 200 milliards d’euros d’ici à 2020. Des calculs effectués par le Spiegel Online tablent, eux, sur 170 milliards d’euros.

L’Allemagne a un long chemin à parcourir: les énergies vertes n’assurent que 16,3 % de son électricité. 13 % provient de l’éolien et du solaire et 3,3 % de l’hydraulique.

Les producteurs d’énergie ont en réalité investi très peu dans le secteur. Les quatre grands du secteur – RWE, E.on, Vattenfall et EnBW – qui produisent 68 % de l’énergie allemande, ne réalisent que 3,9% de la production totale d’énergie renouvelable. Le reste vient de fournisseurs régionaux, de collectivités locales ou de parcs éoliens financés par des particuliers.

Transition énergétique… au charbon

Dans le cas d’Eon, la firme a d’abord pris du retard avant de s’engager massivement ces dernières années: en cinq ans, les investissements ont atteint 7 milliards d’euros, et la production d’électricité issue d’énergies renouvelables a été décuplée en 4 ans.

Pour les cinq prochaines années, 7 milliards devraient à nouveau être investis. Aujourd’hui pourtant, les capacités de production du leader allemand ne représentent "que" 4 GW, contre 23 GW pour sa branche gaz (qui représente elle-même un tiers du mix énergétique total)…

EnBW, de son côté, espère arriver à 20% d’énergies renouvelables dans son mix énergétique d’ici 2020, alors que chez RWE, la part des énergies renouvelables ne représentait fin août que 3,5% de l’électricité produite totale… Pour combler son retard, l'entreprise a donc annoncé la construction de "la plus grande fabrique de biomasse au monde" (à Waycross, aux Etats-Unis), d’un parc off-shore géant sur la côte allemande (mer du Nord) et d’un grand complexe solaire en Espagne.

Les grands groupes allemands devraient entretemps avoir recours à leurs usines à charbon, très polluantes. Face à la possibilité de rouvrir jusqu’à 30 de ces usines à l'horizon 2020 en Allemagne, l’institut DIW avait chiffré cet été à 170 millions de tonnes de CO² le surplus de gaz polluant rejeté… Soit 20% des émissions allemandes actuelles…




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