Produire des légumes bios et du poisson en plein coeur de la ville ? C'est le pari un peu fou de trois jeunes entrepreneurs berlinois qui ont décidé d'implanter une ferme sur le toit d'une usine désaffectée. Des aliments "frais du toit" pour large public soucieux de manger mieux et plus écolo.
Entre l’autoroute et l’Ikea, au sud de Berlin, l’ancienne usine de malte n’a rien d’un coin de verdure. Juste un bloc de béton gris en plein cœur d’une zone industrielle. Alors, quand le citadin entend dire qu’en 2013, fruits et légumes pousseront sur le toit de ce bâtiment, il y a des chances qu’il reste quelque peu interdit.
Et pourtant les créateurs du projet sont persuadés qu’il n’existe pas de meilleur lieu pour installer une ferme aujourd’hui. "C’est très pratique, explique Christian Echternacht. Le bâtiment est disponible, relié au réseau d’eau et d’électricité, et en plein milieu de Berlin, donc directement chez les consommateurs."
Manger local
En effet, la plupart de notre nourriture fait bien souvent moult trajets avant d’atterrir dans nos assiettes. Avion, camion, train… Rien de bien écologique. Christian et ses deux acolytes, tous de jeunes trentenaires, sont bien décidés à changer cela. D’où l’idée du projet "Frisch vom Dach" ("Frais du toit").
Dès le printemps 2013, choux, tomates et salades bios pousseront ici sur une surface de 7 000 mètres carrés, soit autant qu’un terrain de football. Et les 22 cuves qui servaient à brasser le malte seront reconverties en bacs à poisson. Une partie sera vendue directement dans l’usine, l’autre dans des commerces de la capitale.
Ces cuves massives étaient autrefois utilisées pour sécher l'orge. En 2013, elles accueilleront un élevage de poissons.
Les trois entrepreneurs ne sont pas inquiets quant à l’écoulement de leurs marchandises.
L’agriculture urbaine est une vraie tendance. Les consommateurs veulent produire leur nourriture 'à la maison', c'est-à-dire qu’ils veulent se nourrir d’aliments produits dans leur voisinage."
Il est vrai que les Berlinois expriment depuis longtemps leur désir de consommer local. Selon un sondage du ministère de l’agriculture allemand, 65% des citoyens de la République Fédérale achèteraient très souvent, voire toujours, des produits de leur région. Et dans la capitale, beaucoup se sont mis à produire leurs propres fruits et légumes. Ainsi, de nombreux jardins urbains se sont développés, comme le Prinzessingarten en plein cœur du quartier de Kreuzberg.
Mais pour Christian, l’agriculture urbaine est plus qu’une mode, c’est une nécessité:
Selon les Nations Unies, 9 milliards de personnes vivront sur la planète en 2050, dont 70% dans les villes. Cela signifie une très grande demande en nourriture, qui nécessairement devra être transportée de la campagne vers les villes. Cela coûte cher et c'est mauvais pour l’environnement. Et qu’y-a-t-il de plus proche et de plus écologique qu’une ferme en pleine ville ?"
Fertiliser les plantes avec les déjections des poissons
Outre l’économie de transport, la ferme de "Frisch vom Dach" aura bien d’autres avantages. Elle utilise en effet une technique très économe en eau et en énergie: l’aquaponie. Il s’agit d’une culture de végétaux en symbiose avec l’élevage de poissons.
Les plantes poussent sans terre, directement dans l’eau. Et les nutriments nécessaires leurs sont apportés par les déjections des poissons. En retour, les végétaux purifient l’eau, qui peut retourner dans le bac à poissons. La boucle est bouclée.
Cela a l’avantage d’économiser beaucoup d’eau et de produire des légumes et des poissons sains, sans ajout de médicaments ou de pesticides."
Un kilo de poisson sera produit avec seulement 200 litres d’eau, contre 1 000 habituellement.
Bientôt des fermes sur les toits du monde entier ?
La technique n’est pas nouvelle, et elle est déjà largement utilisée aux États-Unis et au Canada. D’ailleurs Christian et ses associés n’en sont pas non plus à leur coup d’essai avec l’aquaponie. Ils ont déjà créé une "ferme container", le petit frère en quelque sorte de la ferme sur le toit.
Cette serre à deux étages sert de modèle pour la future ferme. Les excréments des poissons sont utilisés comme engrais pour la croissance des plantes.
Dans une sorte de boite géante, près de l’usine de malte, poissons et légumes semblent très bien cohabiter. "Le processus fonctionne. Nous avons produit de très bons légumes pour nos propres besoins", assure Christian. Et cela marche tellement bien qu’ils comptent commercialiser ce container dès 2012 à des entreprises et restaurants "qui veulent développer une stratégie de développement durable".
La ferme urbaine, un concept exportable ?
Selon les promoteurs du projet, jamais l’aquaponie n’a été utilisée sur une aussi grande surface que celle de la future ferme de "Frisch von Dach". Et Christian espère bien que l’expérience servira d’exemple à l’international. "Nous voulons devenir les interlocuteurs numéro 1 quand il s’agit d’agriculture urbaine. A partir de 2014, nous comptons d’ailleurs commercialiser l’ECF, efficient city farm (ferme urbaine efficiente), basée sur les modules de notre ferme. Une ECF pourra être installée sur des bâtiments existants ou en projet dans le monde entier."
Pour le moment, reste à financer celle de Berlin. Sa mise en place coûtera environ 2,5 millions d’euros. Mais encore une fois, Christian est très confiant. "Nous sommes déjà en contact avec des investisseurs très intéressants et nous en cherchons encore d’autres. Nous en choisirons un en avril 2012."
Les Berlinois devraient donc bientôt pouvoir goûter des tomates "fraiches du toit".