La proposition de loi visant à interdire l’abattage rituel juif et musulman aux Pays-Bas, massivement approuvée en juin dernier par l'assemblée nationale, vient d'être retoquée par le Sénat. Ailleurs en Europe, du Front National à la Ligue du Nord, le thème de la souffrance animale est instrumentalisé par les partis populistes et d'extrême droite.
En juin 2011, les députés néerlandais avaient voté massivement – par 116 voix pour et 30 contre – en faveur de l’interdiction de l’abattage rituel des animaux. Cette semaine, le sénat, après des heures de débat, vient de bloquer la proposition et propose un de ces compromis dont les Pays-Bas ont le secret. Une majorité de sénateurs estime, en effet, que le projet empiète sur la liberté religieuse et est contraire à la constitution néerlandaise.
La loi impose actuellement l'étourdissement des animaux avant l'abattage, mais prévoit une exception pour les rituels halal et casher. Lors des abattages rituels, tant musulman que juif, on tranche la gorge de l’animal au moyen d’une lame effilée afin qu’il meure rapidement en perdant son sang. Cela avait ému Mariane Thieme, présidente du groupe du Parti pour les Animaux (PvdD) au Parlement et auteur de la proposition de loi.
Selon le PvdA, plus de deux millions d'animaux, principalement des moutons et des poulets, sont abattus chaque année aux Pays-Bas selon les rituels halal et casher. Un chiffre contesté, notamment par Halal Correct, la société délivrant les certificats pour la viande halal aux Pays-Bas. Elle affirme que seuls 250.000 animaux sont abattus chaque année sans avoir été préalablement étourdis.
Tradition de tolérance
Au Sénat, les divisions restent, malgré tout, vives entre les différents partis et le débat a été renvoyé au 17 janvier prochain.
Car, au-delà des querelles internes, cette proposition de loi pose des questions de fond. Elle menace l’existence de nombreuses entreprises pour lesquelles ce type d’abattage constitue l’unique activité ou une importante partie de leur chiffre d’affaire. Mais elle met surtout en cause la liberté religieuse, chère aux Pays-Bas qui lui doivent leur prospérité.
Ce sont des Huguenots français et des protestants d’Anvers – alors sous domination espagnole – qui ont trouvé asile dans les "Provinces Unies Indépendantes" et leur ont non seulement apporté la richesse mais aussi l’esprit d’entreprise qui a fait de la Hollande la première puissance économique durant le long "siècle d’or néerlandais".
Droit des animaux contre liberté religieuse
Lors des auditions devant le parlement, le Grand Rabbin Jonathan Sacks avait fait part de la déception de la communauté juive:
Les Pays-Bas sont le pays où est née la liberté religieuse. Avec cette interdiction de l’abattage rituel, les communautés juives et musulmanes se voient dépouillées de leur droit à vivre librement leur religion. Ceci est une rupture avec la tradition néerlandais de liberté religieuse. Je trouve cela profondément triste et cela marque une décadence de notre état de droit démocratique.
Les pratiquants musulmans sont, eux aussi, d'autant plus anxieux que cette proposition d'interdiction de l'abattage rituel fait suite aux attaques répétées contre l’Islam par le PVV, le parti du populiste Geert Wilders. Le premier ministre turc, Tayyp Erdogan, s’est dit préoccupé "de la radicalisation des Pays-Bas" à l’égard de ses coreligionnaires.
Juifs et musulmans n’étaient pas les seuls à désapprouver cette loi. Divers politiciens néerlandais, pour la plupart protestants, ont également regretté cet amalgame entre le droit des animaux et la liberté de pratique religieuse. Pour Sype Schaap, parlementaire libéral (VDD), la loi a été écrite dans l’urgence, sans tenir compte de ses conséquences sur la liberté de culte.
Mariane Thieme, du Parti des Animaux, les accuse d’ailleurs de s’être livrés à un intense lobbying auprès des membres du Sénat.
Une "pratique humaine"
Esmé Wiegman, députée Christen Unie, est la seule parlementaire à avoir assisté à l’abattage kasher dans le seul abattoir de ce type à Amsterdam. Elle en revient avec une impression plutôt favorable, très éloignée du cliché du "mouton abattu dans la baignoire" trop souvent brandi par les opposants.
"Impressionnée par l’expérience et le professionnalisme avec lequel [l’abatteur] accomplit sa tâche", elle regrette, tout comme Ronnie Eisenmann, président de la communauté juive d’Amsterdam, que ses collègues ne se soient pas rendus sur place pour voir comment cela se passe réellement.
C’est une pratique humaine, respectueuse du bien-être animal
Pour le Parti des Animaux, la publicité des débats de ces derniers jours a engendré un afflux de nouveaux membres. Il prépare d’ailleurs une nouvelle proposition de loi pour le débat de 2012. Et ne lésine effectivement pas sur les techniques de marketing: il offre à tout nouvel adhérent un cadeau de bienvenue: une vache en peluche – nous sommes en Hollande ! – une radio, des livres de recettes végétariennes ou encore les livres de la fondatrice…
Un héritage de l'occupation nazie
L'abattage rituel est interdit en Finlande, en Allemagne, au Danemark, en Norvège, en Islande, en Estonie et en Suisse. Pour la plupart de ces pays, cette législation a été instaurée pendant l'occupation nazie. Certains d'entre eux admettent pourtant l'abattage à la maison pour consommation personnelle. En Finlande et au Danemark, il est toléré si l'animal est préalablement endormi par un choc électrique.
En Allemagne, il est interdit sauf pour les groupes dont la religion impose un tel rituel. C'est le cas du judaïsme. Et de l'islam depuis 2002.
En France, l'étourdissement préalable des animaux est obligatoire sauf pour l'abattage rituel. Il doit alors se conformer à des règles strictes, notamment la contention pour l'immobilisation des animaux, l'habilitation des sacrificateurs et l'agrément des abattoirs pratiquant l’abattage rituel par des organismes religieux.
Un boulevard pour les populistes
L’extrême-droite et les partis populistes européens ont souvent repris le flambeau de l'interdiction de l'abattage rituel, en surfant sur deux vagues à la fois, l’islamophobie et la sensibilité de nos contemporain pour la souffrance animale.
En France, par exemple, le Front National en fait un élément de son programme. En effet, après s’être posée en défenseur de la laïcité, Marine Le Pen endosse le costume de militante du droit des animaux. Et après l’interdiction de la vivisection des primates pour la recherche scientifique, le Front National est, si on en croit Nation Presse, le seul parti de France qui s’oppose à ce qu'il nomme "l’impôt islamique" [qui serait versé aux organismes musulmans de certification].
En Belgique, le Vlaams Belang, le parti d’extrême-droite dirigé par l’Anversois Filip Dewinter qui atteignait encore des scores de 24 % aux élections régionales avant l’arrivée du concurrent populiste N-VA, a manifesté chaque année contre l’abattage rituel, image, selon lui, des valeurs immigrées "incompatibles avec les valeurs occidentales".
En Italie, les populistes de la Ligue du Nord entament le même refrain : "L’histoire de l’Occident, et donc de l’Europe, est toujours liée aux principes découlant de l’éthique et de la culture chrétienne", affirment-t-ils sur leur site Internet. Le parti régionaliste a déjà introduit deux projets de loi visant à interdire l’abattage rituel des animaux.
Il serait dommage qu’à terme, la sensibilité légitime à l’égard de la souffrance animale serve de légitimation à des politiques extrémistes ou – tout au moins – attire vers des mouvements liberticides, de vrais démocrates qui ignorent leurs agendas cachés.
Rendez-vous en janvier 2012 pour savoir si les Pays-Bas rejoignent le club de l’interdiction absolue ou si, soucieux de préserver la liberté religieuse qui leur est si chère, ils vont adopter un compromis à l’Allemande: interdiction sauf pour les personnes dont la croyance religieuse impose ce type d’abattage.