« CasaPound veut représenter le fascisme du troisième millénaire »
Gianluca Casseri, qui a tué mardi deux vendeurs ambulants sénégalais à Florence, avant de se suicider, était un sympathisant de CasaPound. Ce mouvement, sous couvert d'actions sociales, est ouvertement néofasciste. Entretien avec le sociologue Antimo Luigi Farro.
Au moins 10 000 personnes ont manifesté samedi 17 décembre contre le racisme à Florence, où un militant d'extrême droite a tué par balles deux vendeurs ambulants sénégalais, et en a blessé trois autres.
Plusieurs membres de la communauté sénégalaise ont demandé la dissolution immédiate de l'organisation Casa Pound, à laquelle appartenait le tireur.
Le ministre italien pour la Coopération et l'intégration Andrea Riccardi a estimé dans une interview publiée par le quotidien La Stampa que ces meurtres, ainsi qu'une attaque contre un camp de Roms à Turin constituaient "un signal d'alarme". Avant d'ajouter:
Nous ne pouvons pas écarter cela comme étant des événements isolés. (…) Et ils montrent que la crise n'est pas seulement économique mais bien plus profonde.
CasaPound revendique environ 4 000 adhérants. Sous couvert d'actions sociales, ce mouvement est ouvertement néofasciste. Antimo Luigi Farro est professeur de sociologie à l'université de La Sapienza à Rome, et chercheur associé à l'EHESS de Paris. Il a préfacé le livre des sociologues Daniele Di Nunzio et Emanuele Toscano, intitulé "Dentro e fuori Casa Pound. Capire il fascismo del terzo millennio" – "Casa Pound, de l'intérieur de de l'extérieur. Pour comprendre le fascisme du troisième millénaire". Il nous explique comment ce mouvement séduit les jeunes et quels sont les moyens d'enrayer le phénomène.
Vos travaux analysent les raisons qui poussent des jeunes à adhérer à CasaPound. Que représente ce mouvement?
CasaPound est un mouvement qui veut représenter le fascisme du troisième millénaire. Pour ces individus, c'est une forme de protestation contre les difficultés de la vie actuelle, au niveau social, politique et culturel. A titre d’exemple, le mouvement défend le droit à l’habitation mais seulement pour les personnes qui font partie de la communauté nationale. D’où un aspect identitaire. CasaPound est aussi un mouvement communautaire au sein duquel, l’adhérent peut se fondre dans la masse. Cela veut dire que l’individu n’est plus considéré en tant que tel mais comme une partie du groupe.
CasaPound refuse l’étiquette de mouvement raciste. N’est ce pas paradoxal puisque ce mouvement a des pulsions identitaires ?
Le mouvement déclare que chaque communauté a le droit d’exister. Ils ne sont pas contre les noirs à cause de la couleur de leur peau. Leur propos est de dire qu’il faut créer des communautés pour que chacun se sente bien et puisse développer son propre moi dans son propre univers en se distinguant ainsi des autres.
La loi italienne considère l’apologie du fascisme comme un délit. Pourquoi cette organisation n’a-t-elle pas été dissoute ?
La loi Scelba adoptée en 1952 interdit l’apologie du fascisme sous toutes ses formes. Par ailleurs, la 12ème disposition transitoire et finale inscrite dans la Constitution italienne interdit la formation d’un nouveau parti fasciste. Il faudrait demander aux politiciens et surtout aux magistrats pourquoi CasaPound n’a pas été dissous sur la base de ces dispositifs.
Toutefois cela ne sert à rien de mettre ce mouvement hors la loi car un autre mouvement identique pourrait surgir. La vraie question est de comprendre comment pousser les personnes qui veulent adhérer à ce type de mouvement à changer d’idée. Voilà le véritable enjeu social, politique et culturel.
Comment s'explique la séduction qu'exerce des mouvements comme CasaPound ?
Il y a un développement en Europe du phénomène de repli sur des valeurs identitaires et communautaires qui se manifeste par une adhésion à des mouvements comme CasaPound ou le Front National en France. Je le répète, la question est de se demander comment agir pour contrecarrer la percée de ces mouvements et développer au contraire une culture démocratique. Les individus doivent s’affirmer comme sujets individuels.
Tout passe d’abord par la mise en place de véritables politiques notamment sur le plan social. C’est là que la classe politique européenne échoue régulièrement car elle place la finance au premier plan. Elle crée par conséquent des espaces dans lesquels des mouvements comme CasaPound peuvent facilement s’insérer. Combler le déficit démocratique pour enrayer ce type de phénomène est la seule et unique solution possible.
CasaPound ne compte que 4 000 adhérents mais jouit d'une importante notoritété. Comment l'expliquez-vous ?
C’est d’abord une affaire médiatique. En m’interviewant sur CasaPound, vous reconnaissez son existence et vous lui donnez de l’importance. Ne faudrait-il pas mieux l’ignorer ? Le mouvement a aussi su se doter d’une bonne communication. Il a un bon circuit culturel indépendant, un groupe musical qui implique des auditeurs. Et il utilise les moyens de communications actuelles comme Internet pour diffuser ses idées et ses projets.
Reste que le mouvement est circonscrit en termes d’inscrits contrairement au Front National en France ou le British National Party au Royaume Uni ou aux expériences scandinaves.
La tuerie de Florence a-t-elle déclenché des inquiétudes et des interrogations au sein de la société italienne ?
Une partie de l’opinion publique est en effet très sensible. Pour autant, il s'agit d'un geste isolé, d'un acte commis par une personne désaxée qui avait des problèmes psychiques.
Avez-vous le sentiment d’une dérive raciste en Italie ?
Il est certain qu’il y a des épisodes racistes en Italie. Ce phénomène s’explique par des raisons culturelles et sociales face à un monde en mouvement. Mais il ne faut pas exagérer. Pour combattre l’intolérance et les mouvements comme CasaPound qui peuvent exacerber la montée de l’intolérance, les institutions devaient commencer par se demander s’il faut financer ou non les projets présentés par ce type de mouvement ou d’association.