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Les Pays-Bas, un modèle plus vraiment idéal

mercredi, 21 décembre, 2011 - 14:53

Sexe, drogue, égalité hommes-femmes, immigration et intégration... Dernier volet de notre enquête sur un modèle néerlandais à la dérive.

La politique de l’immigration et la légalisation de la prostitution illustrent, à eux seuls, la crise du modèle néerlandais.

Les problèmes croissants dans certains quartiers, voire dans certaines villes comme Rotterdam dont les habitants sont majoritairement d’origine immigrée, ont été ignorés, voire niés. Les heurts et les difficultés de cohabitation dans ce qui devenait des ghettos d'immigrés étaient systématiquement minimisés par des autorités ayant peur de prendre des décisions pouvant être assimilées à du racisme ou de l'autoritarisme.

“Contre l’islamisation de notre culture”

Mais un ovni politique allait faire exploser tous les tabous. En 1997, Pim Fortuyn, ancien professeur d’université devenu consultant politique et éditorialiste du magazine de droite Elsevier, publie un petit livre explosif: “Contre l’islamisation de notre culture” (Tegen de islamisering van onze cultuur, Bruna, 1997) dans lequel il affirme que l’identité néerlandaise est menacée par une “culture attardée” incompatible avec les valeurs et la démocratie occidentales. Cette "culture", l’islam, engendre une “société fondamentaliste et totalitaire”.

Le 11 septembre 2001, vécu comme un tremblement de terre aux Pays-Bas, va répercuter ces idées avec une ampleur inouïe. En 2002, Pim Fortuyn entre en politique. Son parti, la Lijst Pim Fortuyn (LPF), construit autour de la personnalité exubérante de son fondateur, prône des valeurs libérales comme la libre entreprise, la défense des femmes et des homosexuels, mais surtout l’arrêt de l’immigration musulmane présentée comme le mal absolu.

A la surprise générale, la liste – bricolée en quelques mois – remporte un succès considérable: les sondages la créditent de 38 sièges sur 150 pour les élections législatives du 9 mai. Du jamais vu pour un nouveau parti tout juste sorti des limbes. (Hans Wansink, De erfenis van Pim Fortuyn, Uitgeverij Meulenhoff, 2004).

Mais le 6 mai 2002, Pim Fortuyn est assassiné par un activiste écologiste de 34 ans, Volkert van der Graaf. Même si le choc est énorme, les élections sont maintenues. Et la liste Fortuyn remporte 26 sièges. La LPF ne participera plus à aucun gouvernement et les dissensions internes ajoutées au manque d’expérience politique de ses représentants mèneront à l’implosion du mouvement.

Geert Wilders, “copier/coller" de Fortuyn

Pim Fortuyn, lui, devient un mythe, comme en témoigne le numéro spécial d’hommage Ter Herinnering Pim Fortuyn (En souvenir de PF) accompagné d’un DVD que vient de publier Elsevier où il figure aux côtés de Charles de Gaulle, Winston Churchill et Ronald Reagan…

Et ses idées lui survivent. Elles seront reprises partiellement par les quatre gouvernements néerlandais entre 2002 et 2010: durcissement de la politique migratoire et les cours de citoyenneté pour les nouveaux arrivants.

Mais, surtout, ces idées forment à présent le fonds de commerce du PVV, le parti de la liberté de Geert Wilders qui a repris à son compte le discours islamophobe initié par le dandy Fortuyn. Geert Wilders est le “monsieur copier/coller” de la politique néerlandaise: il n’a rien inventé, il a tout emprunté à ses prédécesseurs ou à d’autres populistes, mais il assemble le tout en virtuose dans une langue mi-sarcastique, mi-vulgaire qui enchante les foules.

Du multiculturalisme au “fascisme vert”

Avec le gouvernement actuel de Mark Rutte – coalition minoritaire composée de libéraux du VVD et de chrétiens de Christen Unie, soutenue au Parlement par le PVV – la politique migratoire se durcit. Non seulement les cours de citoyenneté seront dorénavant payés par les candidats au séjour mais, en outre, les étrangers résidant parfois depuis plusieurs décennies aux Pays-Bas, doivent s’inscrire à ces cours obligatoires sous peine de retour au “pays d’origine”.

Les problèmes – réels – liés à l’immigration, ignorés pendant des décennies par ceux que la droite appelle “l’église de gauche” (linkse kerk) sont à présent amplifiés, déformés par les populistes qui les lient exclusivement à l’islam, cette “idéologie totalitaire”, ce “fascisme vert” comme ils l’appellent, dans un amalgame absurde mais qui fonctionne pourtant très bien auprès de leur électorat.

Pendant ce temps, le gouvernement Rutte ne règle aucun problème de fond, comme l’exclusion scolaire de jeunes issus de l’immigration, par exemple. Les seules réponses du gouvernement sont d’ordre autoritaire – plus de sanctions contre les jeunes des quartiers difficiles – ou xénophobes, comme l’interdiction de la double-nationalité.

Prostituée, une profession comme une autre

Sexe et prostitution sont un autre domaine faisant fantasmer les tenants du modèle ouvert néerlandais. Depuis 2000, la prostitution est une industrie légale aux Pays-Bas, avec ses patrons nommés pudiquement “exploitants d’entreprise de relaxation”, d’ailleurs rassemblés dans une association professionnelle.  Avec ses “travailleurs et travailleuses du sexe” indépendant(e)s ou salarié(e)s payant des taxes et des contributions sociales. Les 25.000 à 30.000 personnes de cette "industrie" engendrent un chiffre d’affaire d’environ un milliard d’euros.

La profession est ouverte à toute personne majeure de 21 ans au moins, y compris aux ressortissants des Etats-membres de l’Union européenne, à l’exception des Roumains et des Bulgares qui ne peuvent exercer qu’en tant qu’indépendants, en raison du moratoire existant aux Pays-Bas sur le libre travail des personnes originaires de ces deux pays.

La personne – homme ou femme – qui veut se lancer dans ce type d’activité, en tant que travailleur ou employeur, trouvera une mine d’informations utiles sur le site prostitutie.

Mais, en réalité, les patrons du commerce du sexe salarient rarement leurs employé(e)s. Et alors que la loi avait été promulguée afin de casser le lien entre prostitution et criminalité, on ne peut que constater un renforcement de ce lien derrière une “façade légale”.

L’équipe contre le trafic des êtres humains d’Amsterdam compte 7 membres… Et son chef, Harold van Gelder admettait devant les caméras d’Al Jazeera en octobre dernier que “personne ne sait combien de prostituées travaillent à Amsterdam". Il précisait: “c’est une profession légale, si vous suivez les règles, la police ne va pas vous embêter”. Mais il avoue aussi qu’il ne “voit probablement que le sommet de l’iceberg”.

Trafics d’êtres humains  

C’est ce que confirment les organisations de lutte contre le trafic des êtres humains, comme CoMensha, à laquelle les services de police ont l’obligation de communiquer toute victime possible d’un réseau. CoMensha dénonce une augmentation vertigineuse du nombre de victimes de réseaux de trafics d’êtres humains identifiés aux Pays-Bas: alors qu’il était d’environ 200 en 2004, l’association constate qu’il est passé à 1.056 en 2010 ! 

Les pays d’origine de ces victimes sont, par ordre décroissant, les Pays-Bas, le Nigéria, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie, le Sierra Leone, la Guinée, la Chine et le Ghana. Au total, 83 nationalités ont été identifiées par l’association.

Parmi les 1.056 victimes de 2010, 797 travaillaient dans le secteur de la prostitution! Et 49 d’entre elles seulement étaient des hommes. Il est d’autant plus difficile d’identifier ces travailleurs du sexe que certains d’entre eux travaillent dans la rue ou au domicile privé de leur “exploitant”.

15.000 enfants prostitués

La prostitution enfantine a également augmenté aux Pays-Bas. Le site "Pour une société sans prostitution" affirme:

La prostitution enfantine a connu une croissance certaine ces dix dernières années aux Pays-Bas. L’organisation des droits de l’enfant à Amsterdam estime qu’il y a aujourd’hui plus de 15.000 enfants, en majorité des filles, dans la prostitution, soit une augmentation de 11.000 depuis 1996. 5.000 d’entre eux proviendraient de l’étranger, notamment du Nigéria.” 

Et le bénéfice de la légalisation pour le fisc est dérisoire, puisque seuls 5 à 10 % des personnes prostituées ou de leurs exploitants paient régulièrement leurs impôts.

Le site rappelle aussi que la violence est endémique des milieux exploitant la prostitution. Dans une enquête réalisée en 2000 par l’institut sexo-sociologique, 79 % des femmes interrogées faisaient état d’une forme de violence pour les contraindre à se prostituer.

Valse-hésitation

Ce qui ressort de ces échecs, c’est surtout l’absence de cohérence des politiques menées par les gouvernements successifs aux Pays-Bas. La politique de la drogue, marquée par une constante valse-hésitation entre la tolérance et la répression en est une belle expression: après avoir imposé la carte de résident pour l’accès aux coffee shops de tout le royaume, le ministre de la justice, Ivo Opstelten, vient d’autoriser des dérogations temporaires pour Maastricht et d’autres municipalités.

En 1994, lors de l’avènement de la “coalition violette” – gouvernement formé des travaillistes du PvdA, des libéraux du VVD et des centristes de D66 – les espoirs de changement de la population néerlandaise étaient grands. Hélas, les deux gouvernements violets qui se sont succédé de 1994 à 2002, avec leur politique hyper-consensuelle, ont beaucoup déçu. Un terreau favorable pour les populistes après le 11 septembre 2001.

L’actuel gouvernement Mark Rutte déçoit, à son tour, une bonne partie de la population : seuls les libéraux de son parti, le VVD et le magazine Elsevier qui l’a élu “Néerlandais de l’année” semblent apprécier sa politique. Les électeurs chrétiens de Christen Unie sont de plus en plus nombreux à vouloir sortir de ce gouvernement et ceux du PVV s’opposent tant aux coupes budgétaires jugées antisociales qu’à la politique migratoire qu’ils estiment insuffisante. Tous s’accordent pour dire que le premier ministre manque d’autorité.

Un des best-sellers de cet automne est un ouvrage intitulé “Mark Rutte est une lesbienne” (Raoul Heertje, Mark Rutte is lesbisch, Uitgeverij Contact, 2011). Le ton est donné… Mais cela illustre en même temps un des fondements du modèle hollandais qui semble résister à tout: un respect absolu de la liberté d’expression.




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