Les "employées de maison" travaillaient très officiellement sans contrat de travail écrit en Espagne. C'est désormais interdit depuis le 1er janvier. Une révolution dans un pays où l'emploi de "bonnes", généralement immigrées, reste monnaie courante malgré la crise. Témoignage de Fátima.
Des congés payés, des congés maladie, des contrats de travail écrits… Rien que de très normal, sauf pour les "employées de maison", autrement dit les "domestiques" en Espagne. Mais, miracle pour les centaines de milliers de "empleados del hogar", depuis le 1er janvier 2012, ces travailleuses (plus de 90% sont des femmes) bénéficient du régime général de la sécurité sociale. C’en est fini du "régime spécial", bien moins protecteur, auquel elles étaient soumises. Les syndicats et les associations du secteur avaient négocié avec le précédent gouvernement socialiste de José Luis Zapatero, cette amélioration considérable de leurs conditions de travail.
Seule solution pour les immigrées
Ainsi, à partir de 2012, tout contrat de travail domestique devra être écrit, rendant visible tout un secteur resté dans l’ombre. Jusqu’à présent un accord oral était suffisant, propice aux marchandages peu équitables. Un contrat écrit, cela signifie, notamment, des conditions de travail précises: nombre d’heures travaillées, respect du temps de repos, etc. Alors que 700.000 familles espagnoles emploieraient un "domestique", seuls 300.000 de ces employés sont affiliés à la sécurité sociale.
J’étais censée pouvoir prendre mon samedi et mon dimanche, mais ma patronne me demandait de me lever très tôt le samedi pour lui préparer son petit déjeuner, et de rentrer le samedi en début de soirée. Idem le dimanche. Elle ne voulait pas que je dorme ailleurs que chez elle",
raconte Fátima*, Marocaine arrivée en Espagne en 2003.
Fátima a, comme beaucoup de femmes immigrées, trouvé son premier emploi comme "bonne".
"Le service domestique est la seule opportunité d’insertion dans le marché du travail pour la grande majorité des femmes immigrantes qui viennent en Espagne", relevait un rapport sur les immigrées publié par le syndicat Union General de Trabajadores (UGT) en 2001.
J’ai commencé par six mois dans une famille, mais la charge de travail était énorme et la patronne me criait dessus. Je commençais à 8h du matin et terminais à 22h30. Je faisais le repassage le soir et la nuit. C’était trop, je suis partie",
ajoute Fátima. Elle a enchaîné par un remplacement de trois mois dans une autre famille où elle a refusé de nettoyer les escaliers avec un chiffon imbibé d’ammoniaque comme lui demandait son employeuse:
Je lui ai dit que je n’étais pas une esclave".
Pourtant, les conditions du poste qu’elle a occupé ensuite pendant quatre ans, auprès d’une femme âgée, étaient proches de l’esclavage. Fátima esplique que dans "l’immense appartement" d’un élégant quartier madrilène, trois vastes chambres étaient inoccupées, mais la pièce qui lui avait été réservée était d’anciens lieux d’aisance dont on avait enlevé la cuvette. Selon le témoignage de la jeune femme, il y avait à peine la place d’y mettre un lit, plus court que la normale, étroit et dur:
Heureusement, je suis petite. Mais je dormais le plus souvent en chien de fusil sinon mes pieds touchaient le bout du lit".
"Ce sont des exemples extrêmes. La plupart du temps, les ‘internas’ ont une chambre avec salle de bain et télévision. Par ailleurs, la relation est plus proche et plus égalitaire qu’autrefois, entre les employés et les employeurs, qui sont souvent des personnes âgées dépendantes affectivement, ou des jeunes femmes qui travaillent et ne peuvent pas s’occuper de leurs enfants", nuance María Ángeles Durán, sociologue du Centre Supérieur de Recherches Scientifiques (CSIC).
Pour une carte de séjour
"Le vrai problème, c’est la pression migratoire. Les femmes qui arrivent de pays où elles gagnaient moins qu’en Espagne, sont prêtes à accepter des conditions de travail en deçà de ce qu’impose la loi du moment qu’elles peuvent améliorer un tant soit peu leur niveau de vie", estime-t-elle. De fait, si Fátima est restée six mois dans sa première "maison", c'est bien parce que c'était le temps nécessaire pour conserver sa carte de séjour, explique-t-elle. Après quoi, elle est partie.
La normalisation du statut des "bonnes" espagnoles permet une limitation des horaires, toutes les heures dites "de présence" étant des heures travaillées. Ce changement est "indispensable non seulement pour offrir une solution au niveau élevé d’économie souterraine existant dans le secteur, mais aussi principalement pour résoudre le problème de précarité et discrimination, tant en termes d’emploi que de protection sociale, dont souffre cette communauté depuis des années", affirme le syndicat Comisiones Obreras (CCOO).
Toujours pas droit au chômage
Cela pourrait cependant avoir des effets collatéraux: "à long terme, le marché pourrait se segmenter entre les travailleurs très protégés et ceux qui, comme de nombreux jeunes espagnols, adoptent le statut de travailleurs indépendants, pour ne pas avoir de limites d’horaires" explique la sociologue María Ángeles Durán, qui rappelle que ce constat concerne tout le marché du travail et pas seulement celui des travailleurs ‘domestiques’.
Mais surtout, "le principal risque de la loi est de voir de nombreuses familles demander à leurs employées de travailler au noir en menaçant, sinon de s'en séparer", prévient María Ángeles Durán.
Le nouveau régime est donc une arme à double tranchant pour ces travailleuses de l’ombre. Mais c’est tout de même une évolution positive: "ce texte contribuera à rendre plus surannée encore cette tradition espagnole" de l'emploi sans contrat écrit, estime la sociologue du CSIC.
Néanmoins, le nouveau système ne fait pas table rase de toutes les injustices: les employées de maison n’ont toujours pas droit au chômage! Il y aura des propositions en ce sens en 2013. La difficulté est actuellement d’éviter les fraudes. Enfin légalisées ! Mais pas trop quand-même…
*Le prénom a été modifié à sa demande.