Face à l'évasion fiscale généralisée des grandes entreprises portugaises, les Portugais utilisent l'arme du boycott. Une chaine de supermarchés qui vient de transférer l'essentiel de son capital aux Pays-Bas pour échapper à l'impôt est particulièrement visée.
L’appel sur Facebook à un boycott des supermarchés "Pingo Doce" prend de l'ampleur au Portugal. D'un coup de baguette fiscale magique l’actionnaire majoritaire du groupe de distribution Jeronimo Martins (JM), propriétaire de l’enseigne "Pingo Doce", vient de céder toutes ses parts dans le groupe au profit de sa filiale… aux Pays-Bas. Le 30 décembre dernier, 353.260.814 actions du groupe JM, soit 56,13 % du capital, ont changé de mains… tout en restant entre les mêmes.
La Société Francisco Manuel dos Santos (SFMS), la holding propriétaire des actions, se défend d’avoir voulu se mettre à l’abri de nouvelles ponctions fiscales sur ses dividendes. Mais la suspicion est totale au Portugal : c’est le même groupe Jeronimo Martins qui, en 2010, avait défié la chronique – aux côtés de deux autres grandes sociétés l’électricien EDP et le papetier Portucel – en anticipant le paiement des dividendes aux actionnaires afin d’éviter une taxation des bénéfices.
"Salaire minimum hollandais"
Sur la page facebook intitulée "Salaire minimum hollandais pour les travailleurs de Pingo Doce", les internautes exigent qu’en contrepartie de l’évasion fiscale qui ne dit pas son nom, le groupe verse le "smic" hollandais à la place du portugais aux employés du groupe : 1500 euros contre 500 euros !
"Pas d’embrouille" se défend pourtant la SFMS. Elle explique que la délocalisation du capital vers les Pays-Bas est destinée à faciliter le lancement de nouveaux projets de développements en bénéficiant des atouts offerts par ce pays pour les opérations de négoces. Jeronimo Martins est sur le point d’investir 400 millions d’euros en Colombie. Mais pour SFMS, cette opération n’aurait aucun lien avec le transfert des actions vers la filiale hollandaise…
Or, aux Pays-Bas, les dividendes reçus des sociétés installées hors de l’Union Européenne ne sont pas imposés. De plus, les Néerlandais ont signé des accords avec plus d’une centaine de pays permettant de choisir son lieu d’imposition afin d'éviter la double taxation. Cette opportunité fiscale n'a pas échappé aux grands groupes portugais.
JM est loin d’être un cas isolé. Selon le journal Público, 19 des 20 holdings cotées à la bourse de Lisbonne possèdent au total 74 sociétés filiales basées dans des pays fiscalement intéressants. Les Pays-Bas sont le pays d’élection de ces sociétés portugaises, notamment les entreprises de télécommunications.
Responsabilité sociale et morale
A Lisbonne, l’affaire a fait grand bruit dans un contexte économique très difficile. On s’interroge sur la responsabilité civile des entreprises prêtes à quitter le bateau quand il coule. L’essayiste et écrivain Eduardo Lourenço n’a pas hésité à souligner que
l’Union Européenne se révèle être un nid de contradictions favorisant la loi de la jungle au sens marxiste du terme".
D’autres analystes mettent l’accent sur la perplexité que suscite cette délocalisation fiscale au moment même où des sacrifices sont demandés aux citoyens qui vont devoir payer la crise. Au-delà de la dialectique, une vraie question morale. Le patron de SFMS, Alexandre Soares dos Santos, n’avait-il pas déclaré avec emphase, jouant le chevalier pourfendeur des crises économiques,
il faut nous interroger et nous remettre en question : qu’allons nous faire pour (sauver) notre pays?"
Il a choisi : il est parti, avec les 4,6 milliards d’euros que représentaient ses 56 % d’actions dans le groupe Jeronimo Martins. Dans ces conditions plus personne ne s’étonne que le parti des Chrétiens Démocrates, le CDS, parti pourtant associé au gouvernement, suggère aux consommateurs portugais de pénaliser "Pingo Doce".
Sombre ironie: "Pingo Doce" peut se traduire par "la petite douceur" !