Il ne fait pas bon étudier hors de son pays. Après la Belgique puis la France et sa circulaire Guéant, c’est au tour des Pays-Bas de ne plus vouloir payer les études des étudiants allemands. Amsterdam présente la facture à son voisin.
Le gouvernement néerlandais demande à l'Allemagne de payer pour ses étudiants poursuivant leurs études aux Pays-Bas. Ils sont 24 000 dans les universités des Pays-Bas et leur nombre augmente de 14% par an.
Les Pays-Bas accueillent trop d'étudiants étrangers, surtout d'origine allemande, affirme le secrétaire d'état à l'enseignement, Abe Zijlstra. Dans une lettre au parlement, il admoneste les universités trop laxistes envers "l'invasion" allemande et propose de partager le coût des études avec les lander allemands frontaliers dont la majorité des étudiants est originaire.
En toile de fond, c'est l'Europe du savoir qui est remise en cause, aux Pays-Bas comme ailleurs, notamment en France. En 1999, la "Conférence de Bologne" lançait un processus d’harmonisation des niveaux d’enseignement et des diplômes en vue d’un "espace européen de l’enseignement supérieur". Les institutions européennes initient dans la foulée les programmes d’échanges internationaux – Erasmus, Léonardo, etc. – destinés à stimuler la mobilité étudiante. Mais 13 ans plus tard, crise oblige, la mobilité a du plomb dans l'aile : c'est que l'accueil des étudiants étrangers pèse sur les budgets nationaux.
Les Français en Belgique, aussi
Il y a quelques années, c’était la Belgique qui tentait d’enrayer le nombre d’inscriptions des étudiants français dans les facultés vétérinaires. Il faut dire qu’à Liège, ils représentaient 86% des inscrits.
La Communauté Française de Belgique, l’autorité compétente pour les matières culturelles et l’enseignement supérieur de la partie francophone du pays, avait mis en place un seuil de 30 % d’étudiants étrangers admissibles dans les facultés belges, pas plus. Mais la FEF, la Fédération des Étudiants francophones, avait déposé plainte devant la cour d’Arbitrage (instance qui vérifie la constitutionnalité des lois en Belgique, NDLR).
C’était le début d’une grande saga qui allait se poursuivre jusque devant la Commission européenne pour "violation des articles 149 et 150 du Traité instituant l’Union européenne".
Les populistes néerlandais dans la danse
C’est au tour des Pays-Bas d’entrer en guerre. On sentait depuis quelques mois que le sujet couvait sous la cendre. C’est d’abord la presse de droite qui s’en est emparée, avec un éditorial sur "l’idéal cosmopolite" dans le magazine de droite Elsevier. Chiffres exagérés à l'appui: 42.500 étudiants étrangers. Et un coût moyen par étudiant de 6.000 euros. L’ardoise totale dépasserait les 240 millions d’euros, selon le magazine.
Et puis, l’incontournable PVV de Geert Wilders s’est saisi de l’occasion pour brandir, une fois de plus, son étendard xénophobe. Le parlementaire populiste Eric Lucassen s'est chargé d'interroger le ministre de l’éducation Heins Piet Donner sur ce qu’il comptait faire pour enrayer l’invasion. Entretemps, les chiffres avaient gonflé, puisque Lucassen comptait pas moins de 82.000 étudiants étrangers aux Pays-Bas !
Ce que la politique raciste du PVV n’a pas pu faire, la politique économique de son allié libéral, le VVD, allait y pourvoir. Le gouvernement tente, en effet, de réaliser quelques 23 milliards d’euros d’économies. Puisqu’aux 18 milliards officiels déjà calculés dans la "Note du Million" (présentation du buget annuel), le ministre Hans Kees de Jaeger annonçait un "te kort" (un déficit) budgétaire de 5 nouveaux milliards.
Cadeau de Noël: suppression des bourses d’études
Le gouvernement s’est d’abord attaqué aux budgets sociaux, notamment aux aides aux personnes dépendantes, puis s’est tourné vers les étudiants. "Les Néerlandais d’abord", la devise plairait sûrement à Marine Le Pen. Le 29 décembre, l’Algemene Dagblad, quotidien de droite, annonce que, pour leurs étrennes, le gouvernement offrira aux étudiants une suppression des bourses d’études! Ils devront désormais financer leur parcours scolaire par des prêts octroyés par les pouvoirs publics. Prêts remboursés à la fin de leurs études.
En outre, le transport gratuit des étudiants via le train serait supprimé et remplacé par une carte de réduction. Les deux mesures cumulées sont censées rapporter quelques 800 millions d’euros… Pour bien habituer les étudiants aux nouveaux contrôles, la NS (Nederlandsche Spoorwegen, compagnie des chemins de fers néerlandais, NDLR) diffuse plusieurs fois par heure des messages audio leur enjoignant de scanner leur pass – toujours gratuit à ce jour – à chaque voyage…
Quant aux étudiants étrangers, le secrétaire d’Etat à l’enseignement, la culture et les sciences, Halbe Zijlstra vient d’envoyer un courrier au Parlement, dans lequel il décrit la situation de la "mobilité internationale" des étudiants.
Une situation aussi floue que contrastée
Il y dépeint une situation beaucoup plus contrastée et sans doute moins apocalyptique. Tout d’abord, s’il y a 34.000 étudiants universitaires européens qui étudiaient aux Pays-Bas en 2010, il y avait également 18.900 étudiants universitaires néerlandais qui étudiaient à l’étranger.
Reprenant le coût moyen de 6.000 euros par an et par étudiant, Zijlstra estime donc le coût total à quelque 205 millions dont il faut soustraire les 115 millions d’économies réalisées par les étudiants néerlandais qui font leurs classes à l’étranger. Il en arrive donc à un solde de 90 millions d’euros.
C’est en fait davantage l'inégale répartition de ces étudiants qui saute aux yeux. Et si l’on ajoute les étudiants ou les écoliers de l’enseignement primaire et secondaire, il y a de quoi se poser des questions.
Par exemple, tous niveaux confondus, les Néerlandais sont 30.000 à étudier en Belgique. Alors que les Belges sont à peine 3.000 à traverser la frontière pour s’asseoir sur les bancs des écoles…
Les Allemands sur-représentés… et meilleurs que les nationaux
Ce qui a surtout déchaîné les passions, c’est le taux d’étudiants allemands dans l’enseignement supérieur et universitaire. Ils sont 24.000 à fréquenter les amphithéâtres néerlandais. Et ils ont le plus souvent de meilleures notes que les Néeerlandais. Cela est-il lié au fait que certains universités frontalières assurent une partie des cours en allemand? Beaucoup d’autres cours sont également dispensés en anglais – parfois d’ailleurs du "broken English", voire du Globish, si l’on en croit les témoignages d’étudiants… L'une d'entre elle me confiait récemment qu'elle ne comprenait pas un mot de ce que disait son professeur d'histoire de l'art, alors qu'elle est a vécu deux ans aux Etats-Unis et maîtrise parfaitement l'anglais…
Mais ces étudiants, s’ils coûtent au contribuable néerlandais et sont en partie responsables du coût élevé des logements étudiants aux Pays-Bas, présentent aussi des avantages non-négligeables, souligne Zijlstra.
Ainsi, 30 % de ces étudiants endosseraient des fonctions de managers dans des entreprises internationales au sortir de leurs études. Et lorsqu’ils sont installés, ils font usage de leur réseau néerlandais, ce qui est tout bénéfice pour les exportateurs de fromage et de tulipes…
Le bon niveau des étudiants étrangers et leur motivation supérieure à celle des Néerlandais tireraient plutôt le niveau vers le haut, contrairement à ce qu’affirment les Cassandre populistes !
Un atout pour la recherche
En outre, les étudiants étrangers sont souvent sources d’innovations : ils travaillent dans des centres de recherche universitaires ou industriels et participent de ce fait à l’amélioration des produits et services néerlandais.
Zijlstra conclut cette première partie en affirmant qu’il manque de données pour offrir un panorama plus complet de la situation. Il rappelle aussi que les Traités européens, signés par les Pays-Bas, interdisent la discrimination envers les étudiants originaires d’Etats-membres…
La politique qu’il entend défendre à l’avenir est un mélange de bonnes intentions (maintenir la qualité de l’enseignement) et de pistes-clichés cent fois rebachées, comme assurer un équilibre entre les nationaux et les étrangers dans les classes, garantir la défense de la culture et de la langue néerlandaise contre "l'anglification" – alors que les 15 pages de sa lettre au Parlement sont truffées d'anglicismes comme "counterparts", "governance", etc. Mais il se garde bien d’avancer un seul chiffre quant au financement des étudiants aussi bien locaux qu’extérieurs…
A l'exemple de la Suède et du Danemark
Qu’on se rassure : le bouillant secrétaire d’Etat annonce d’ores et déjà une seconde lettre d'intention dans le courant 2012 avec plus de précisions !
Mais il veut mettre l'Allemagne à contribution. Car, avec la réforme de l'enseignement secondaire prévue chez le voisin, le gouvernement néerlandais s'attend à une hausse spectaculaire du nombre d'étudiants allemands à partir de la prochaine rentrée universitaire.
Prenant comme exemple les accords existants entre la Suède et le Danemark concernant les échanges d'étudiants, il suggère de demander aux Etats allemands frontaliers une contribution financière pour l'accueil de leurs rejetons dans les universités néerlandaises. Il tente aussi, par un lobbying intense auprès de la Commission européenne, d'imposer des conditions de résidence aux candidats-étudiants venus d'ailleurs…
Et si cela donnait l'idée à la Belgique de demander des compensations pour les étudiants néerlandais en Belgique, dix fois plus nombreux que les Belges chez eux? Elio Di Rupo, le nouveau Premier ministre belge, enverra-t-il bientôt une facture à son homologue, Mark Rutte?
Il n'y a pas que la crise de l'Euro qui menace l'intégrité européenne. Les comptes d'apothicaires de certains gouvernants pourraient bien être plus néfastes pour "l'idéal cosmopolite" que les convictions nationalistes des populistes et autres souverainistes…