La success story des fermiers allemands au pays des kolkhozes
Pour redresser son agriculture et produire plus, la Russie attire les agriculteurs d'Europe de l'Ouest, invités à coloniser les 23 millions d'hectares de terres laissées en jachère depuis la faillite des kolkhozes. Les agriculteurs allemands répondent à l'appel, avec succès.
Stefan Dürr pensait reprendre la petite ferme de son grand-père. Quatorze hectares quelque part en Bavière, près d’Heidelberg. Mais le conte familial bavarois s’est transformé en roman russe. Et Stefan Dürr, 47 ans, est aujourd’hui propriétaire de 170.000 hectares de terres cultivables et d’un troupeau de 28.000 bovins au pays des Tsars.
Businessman en jean et pull de laine
La success story de cet ancien membre de l’Association des jeunes fermiers bavarois ne doit pas tout au hasard. Car ce n’est pas lui qui est allé vers la Russie, mais la Russie qui est venue à lui. Il y a près de 250 ans, l’Impératrice Catherine II recrutait des dizaines de milliers de fermiers allemands pour cultiver les terres de l’empire. Aujourd’hui, la Russie recommence. Son objectif ? Ressusciter une industrie agricole en souffrance. Alors, elle courtise les agriculteurs pour qu’ils colonisent ses prés, et pense que son salut passe par l’Ouest.
Mais les recrues ne sont pas les premiers venus. Sous ses allures de conducteur de tracteur – jean et pull en laine – Stefan Dürr est en fait plus qu’un agriculteur. L’épopée russe a fait de lui un businessman. Son empire agricole s’étend sur les régions de Kursk, Voronezh, Orenburg, Novosibirsk et Kaluga, et il emploi 2.800 personnes. Son affaire génère des revenus de 80 millions d’euros, et l’une de ses filiales, EkoNiva, fait partie du top 30 des compagnies agricoles en Russie.
La Russie chouchoute ses Bavarois
Un glorieux parcours qui inspire les autorités russes. Celles-ci comptent en effet sur ces audacieux entrepreneurs agricoles pour exploiter les quelque 23 millions d’hectares de terres arables ne sont pas exploitées en Russie. Après la chute de l’URSS, de nombreux kolkhozes [fermes collectivisées] ont fait faillite, et le pays, pour subvenir à ses besoins, a dû se remettre à importer. Aujourd’hui la Russie met l’agriculture dans ses priorités, et consacre 5 milliards d’euros chaque année pour subventionner le secteur.
Les Allemands ont flairé le bon plan. L’État russe les accueille à bras ouverts, et ne lésine pas sur les subventions. Stefan Dürr a perçu 8 millions d’euros de fonds publics en 2010. Et d’autres avantages, liés au marché, renforcent l’attractivité de ce business russe. Comme le prix du lait: jusqu’à 42 centimes d’euros le litre en Russie, contre à peine 30 centimes en Allemagne. Notre fermier bavarois en produit 180.000 par jour – le calcul est vite fait. Des avantages en cascade, au point que le ministre de l’agriculture en Bavière, de retour d’un voyage en Russie, a pratiquement appelé les fermiers bavarois à quitter le pays.
Gagner les cœurs pour exploiter la terre
Qu’en disent les Russes ? Tous ne sont pas ravis de cette colonisation. Mais les entrepreneurs ont trouvé la parade. Certains reconnaissent financer les campagnes des opposants aux élections locales, lorsque le chef du district leur cherche des noises. Ou investissent dans des infrastructures, pour gagner le cœur des habitants. Stefan Dürr a dépensé 8 millions de roubles (200.000 euros) pour construire une crèche dans le patelin local, Shchuchye. Son entreprise a aussi financé la restauration du dôme de la Cathédrale de Vladimir, ou encore sponsorise un club de foot local, le Lokomotiv Liski.
Les agriculteurs allemands, nouveaux oligarques de Russie ? Non, répond Stefan Dürr au Spiegel.
Je ne spécule pas avec les terres. Je fais pousser mes récoltes, et je crée des emplois".
Dürr fait des émules. Le baron de la viande en Westphalie, Clemens Tönnies, vient d’annoncer un investissement massif dans le voisinage, à Voronezh. Il y construira 10 exploitations porcines, pour une production de 62.500 tonnes de viande chaque année. Nouveau chapitre dans le roman russe.
Repéré sur Spiegel online: German Farmers Seek their Fortunes in Russia