La perte du triple A par la France n'est finalement pas si grave, comparé à ce qui va suivre dans "les prochains jours": la dégradation des banques et des assureurs français. Résultat, la différence du taux de refinancement avec l'Allemagne pourrait atteindre 2% contre 1,3% aujourd'hui. C'est l'analyse de l'économiste Norbert Gaillard, spécialiste des agences de notation.
Comment expliquer que Standard & Poor's dégrade la note de la France alors que les deux autres agences, confirment, pour le moment du moins, son triple A, Fitch se limitant à sa mise sous perspective "négative" et Moody's se contentant d'annoncer une actualisation des notes des pays de l'union européenne au premier trimestre ?
Cela n'a rien de surprenant. Standard & Poor's colle toujours à la réalité du marché. Cette agence est toujours plus agressive et devance le plus souvent ses concurrentes. Elle a été la première à dégrader la Grèce et les Etats-Unis. Standard & Poor's n'a fait que constater que le 'spread' [l'écart entre les taux de refinancement de la dette] entre la France et l'Allemagne ne cessait d'augmenter pour atteindre 130 points [1,3%] alors qu'il n'est, en comparaison, que de 20 points [0,2%] entre l'Allemagne et les Pays-Bas, notés triple A.
Au-delà du symbole et de son impact politique, quel est l'incidence de cette dégradation?
En fait, "triple A" ou pas, ce n'est pas le plus important pour la France et les pays de la zone euro. Ce qui est nettement plus grave c'est la dégradation de deux crans de l'Espagne et de l'Italie. Cela veut dire que Standard & Poor's, et donc les marchés, n'ont pas confiance dans les nouveaux gouvernements de ces deux pays pour relancer leurs économies. Par ricochet, c'est un très mauvais signal pour l'Europe et cela fragilise encore un peu plus la France. [ndlr: lundi soir, S&P n'a d'ailleurs pas hésité à abaisser d'un cran la note du Fonds européen de stabilité pour le mettre au même niveau que la France: AA+]
Mais il y a encore plus grave pour notre pays: c'est l'effet boomerang sur le taux de refinancement de la dette publique française de la dégradation dans les prochains jours des notes des banques et des assureurs français. Cela va accentuer la crise de confiance entre les banques et encore plus assécher le crédit.
Si, en plus, l'Espagne et l'Italie sont contraintes de faire de nouveau appel au FESF [Fonds européen de stabilité financière], dans ce climat de défiance généralisé, le "spead" entre l'Allemagne et la France pourrait atteindre les 200 points [2%].
Vous n'avez pas une petite lueur d'espoir?
Ce n'est pas la question. Analysons la situation objectivement. Que s'est-il passé depuis plus d'un an? Qu'ont fait les dirigeants européens, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy? Ils n'ont fait que des déclarations d'intention qui ont été systématiquement démenties par les faits.
- Ils ont dit qu'ils ne feraient pas appel au FMI, puis ils y ont fait appel.
- Ils ont affirmé qu'il n'y aurait pas de restructuration de la dette grecque.
- Ils ont ensuite laissé entendre que le "haircut" [réduction de la dette d'un pays] de la Grèce serait de 21%. Il sera finalement de 50%.
- Clou de ce feu d'artifice raté, ils ont estimé que tout était réglé.
Avec un tel festival d'engagements à l'emporte-pièce, l'Europe a perdu sa crédibilité et les marchés financiers lui font payer au prix fort ces faux-semblants à répétition.
Mais il y a néanmoins une seule bonne nouvelle: l'Allemagne conserve son triple A avec une perspective stable. Espérons qu'en contrepartie Berlin accepte d'assouplir sa position sur le rôle de la BCE.
Pour le moment la banque centrale européenne écope, au jour le jour, la barque européenne qui prend l'eau de toutes parts. Ce n'est pas tenable. Il faut lui donner les moyens de colmater les brèches.
Norbert Gaillard, consultant à la Banque mondiale, est Docteur en Economie (Sciences Po Paris et Université de Princeton).. Auteur de l'ouvrage « Les agences de notation » (collection Repères, éditions La Découverte, 2010). Son blog: cliquez ici