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Belgique: un gouvernement et une grève générale

lundi, 30 janvier, 2012 - 14:22

Une grève de tous les paradoxes. Après 540 jours sans gouvernement les Belges se réjouissaient d'avoir un gouvernement prêt à prendre des mesures pour faire face à la crise économique. Mais aujourd'hui, 58 jours seulement après l'arrivée au pouvoir du socialiste Elio di Rupo, la Belgique est dans la rue. 

Premier paradoxe de cette grève: les syndicats se mobilisent contre un gouvernement dirigé par un socialiste. C’est d’ailleurs un des arguments de l’un des opposants les plus farouches de ce mouvement populaire, le populiste flamand Bart De Wever (N-VA):

Les syndicats, et surtout les syndicats rouges, jugent nécessaire de provoquer de graves dégâts économiques à notre pays. C’est irresponsable, et même incompréhensible, puisque c’est leur ami qui siège au 16, rue de la Loi [Adresse officielle du premier ministre, Ndlr].

Mais le président du parti indépendantiste flamand est sans doute borgne en se focalisant uniquement sur l’aile socialiste de cette manifestation. Car cette grève générale a été appelée par les trois grands syndicats belges confondus : la FGTB (socialiste), la CSC (Chrétien) et la CGSLB (libéral). Un front commun comme la Belgique n’en a plus connu depuis 1993!

Une grève très suivie dans tout le pays

Autre paradoxe: si un Belge sur deux s’est dit opposé à une grève, elle est pourtant très suivie aussi bien en Flandre qu’à Bruxelles ou en Wallonie: ni trains ni bus depuis dimanche soir, y compris le Thalys de et vers Paris ; des professeurs qui se croisent les bras ; l’aéroport national désert, au point que des participants au sommet européen ont dû transiter par l’aéroport militaire de Beauvechain.

Tandis que certaines compagnies affrètent des autocars pour permettre à leurs passagers de rejoindre les aéroports de Cologne ou Maastricht.

Sur les autoroutes, peu de véhicules: des barrages filtrants ne laissent passer les automobilistes qu’au compte-gouttes. Les postes-frontières avec l’Allemagne, les Pays-Bas et la France sont également ralentis par des barrages. Le secteur non-marchand se croise les bras, les bureaux de poste et les banques sont fermées. Les grandes entreprises comme Coca-Cola, Bombardier ou Inza sont à l’arrêt. Des piquets de grève bloquent l’entrée des grands centres commerciaux.

Des mesures prises dans l’urgence 

Troisième paradoxe: les mesures impopulaires sont pourtant moins dures que celles adoptées dans les pays voisins. Mais, même si elles résultent de projets de loi datant parfois de plus d’un an, les mesures prises ou prévues par l’actuel gouvernement le sont dans l’urgence. Et elles tentent souvent de concilier les extrêmes, de contenter tous les interlocuteurs sociaux et qui, finalement, frustrent et fâchent de l’extrême-gauche à l’extrême-droite.

Des mesures qui, souvent, touchent au portefeuille des plus faibles, comme la suppression de la "pension de survie" pour les veuves, remplacée par une allocation temporaire, puis… le chômage.

Le plan d'"assainissement budgétaire" d'Elio Di Rupo est ambitieux, mais l’effort principal sera essentiellement supporté par les moins fortunés: gel de l’évolution des soins de santé (2 % par an au lieu des 4,5 % actuels) et des rémunérations des fonctionnaires (bloquées pendant deux ans).

Des fonctionnaires qui voient aussi leurs pensions calculées non plus sur les 5 dernières années, mais sur les 10 dernières, ce qui les oriente fortement à la baisse. Les dotations publiques et les frais de fonctionnement des administrations sont également gelées pendant deux ans. Symboliquement, les ministres ont diminué leur rémunération de 5 %.

Du côté des recettes, le gouvernement prévoit aussi une harmonisation de la taxation des dividendes à 25% et à 20% des intérêts.

La lutte contre la fraude fiscale est également au centre de ses préoccupations. La loi sur les intérêts notionnels, qui permettait à des grands groupes industriels comme Arcelor-Mittal d’échapper presque totalement à l’impôt sera modifiée. 

Fin de l'indexation des salaires

Mais ce qui a fait voir rouge les militants syndicaux et une grande partie de la population, c’est la discussion sur la fin de l’indexation des salaires. Ce mécanisme lie automatiquement l’augmentation des revenus du travail à l’indice des prix. Cette suppression, évoquée par l’aile droite du gouvernement, a aussitôt été contestée par les socialistes.

Notamment par Johan Vande Lanotte, ministre de l’économie qui s'insurge contre l'indexation du prix du gaz sur celui pétrole et explique que:

C’est comme vendre des pommes et en augmenter les prix parce que les poires sont devenues plus chères. Cela ne peut pas continuer. Tant qu’un tel mécanisme existe, ce que je ne peux plus tolérer, on ne peut pas enlever l’indexation aux gens".

Ou encore Laurette Onkelinx, fille de syndicaliste et vice-premier-ministre qui a carrément menacé de quitter le gouvernement: "on peut le faire mais sans le PS ! "

Les bénéfices engrangés par de grandes entreprises qui licencient, tel le géant de la brasserie AB Inbev, déchaînent, par ailleurs, la colère au sein des partis de gauche comme au cœur des syndicats. Trois sénateurs PS ont proposé une nouvelle loi obligeant les entreprises qui licencient tout en faisant des bénéfices d’indemniser les travailleurs. Celles qui ont reçu des subsides de l’Etat devraient en outre les rembourser.

Le droit de grève a même été remis en question par les libéraux, flamands comme wallons, faisant encore monter la tension des grévistes…

Un sommet en otage?

L’Europe et sa politique ultralibérale, sa gestion chaotique de la crise grecque, et ses propositions en matière de limitations du droit de grève constituaient évidemment une cible de choix pour les syndicats.
Ce n’est donc pas un hasard si la paralysie du pays correspond aujourd’hui à la tenue du sommet européen consacré à la "sortie de la crise".

Même si Anne Demelenne, la secrétaire générale de la FGTB déclarait ce matin que le but des grévistes "n’est pas de bloquer le sommet européen", personne n’est dupe ! Claude Rolin, le leader de la Confédération des syndicats chrétiens, évoquait la nécessité d’étendre le mouvement à l’Europe lors d’une "journée d’actions au niveau européen le 29 février"

Mais d’autres craignent que cette coïncidence entre le sommet européen et la grève nationale n’ait des conséquences négatives pour le pays. Ainsi pour Piet Timmerman, le directeur général de Fédération des Entreprises de Belgique :

Tout le monde est perdant ! (…) J'ai eu fin de semaine plusieurs contacts avec des médias étrangers. Il y aura clairement un impact sur l'image du pays. Nous allons devoir rectifier cette mauvaise perception dans les semaines qui viennent.

Le VOKA [Vlaams netwerk van ondernemingen, Réseau flamand des entreprises, organe représentatif des PME du Nord du pays, Ndlr] déclarait pour sa part que la grève avait un impact limité sur les entreprises, que seules 1.000 d’entre elles seraient vraiment touchées.




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