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« Les politiques ne comprennent rien à la monnaie »

lundi, 30 janvier, 2012 - 12:33

Le système monétaire semble marcher sur la tête, mais qui sait donc pourquoi? Positive Money tente de répondre, et décrypte pour le grand public les subtilités d'une mécanique en crise. Approche ludique et premier pas: Positive Money propose "sa" réforme du système. Myeurop a rencontré son fondateur.

L'"action tank" britannique Positive Money tente d’attirer l’attention du grand public sur la manière dont fonctionne aujourd’hui le système monétaire. A l’heure de la crise de la dette, la quasi-totalité de la monnaie en circulation n’est créée que sous forme de dette. La solution? Une réforme ambitieuse mais radicale du système. Pour mieux comprendre la démarche de Positive Money, nous avons interviewé son fondateur Ben Dyson, qui nous révèle son histoire.

Que reprochez-vous au système monétaire actuel?

Très simplement, nous faisons valoir et dénonçons le fait que la vaste majorité de la monnaie en circulation est créée par les banques privées. Concrètement, la monnaie est émise à chaque fois qu’une banque octroie un prêt à l’un de ses clients.

Loin d’être anecdotique, cela signifie que si nous voulons plus de monnaie en circulation pour stimuler l’économie (par exemple lors d’une récession), alors le seul moyen de le faire est de nous endetter encore plus auprès des banques. Et c’est pourquoi nous avons autant de dettes et que la situation économique est telle que nous la connaissons.

Aujourd’hui, ce système est obsolète : le seul moyen pour sortir de la récession est d’endetter encore plus l’économie!

Il n’y a aucun moyen de se sortir de cette situation tant que nous dépendons des banques pour créer la monnaie.

Que proposez-vous donc?

Notre réponse est de reprendre aux banques le pouvoir de créer la monnaie, et ainsi les empêcher de détruire l’économie comme elles l’ont fait ces dernières années en alimentant des bulles.

Nous devons redonner le pouvoir de création monétaire aux organes démocratiques de l’Etat.

Cela dit, il n’est pas question de confier ce pouvoir aux hommes politiques car ils en abuseraient pour se faire élire ou réélire.

Nous demandons plutôt qu'il soit confié à un comité indépendant – la banque centrale par exemple – qui serait responsable de fournir à l’économie la quantité de monnaie dont elle a besoin. Autrement dit, ce comité ne devrait créer de la monnaie seulement si cela ne crée pas d’inflation.

Comment en êtes-vous arrivé là?

Tout a commencé lorsque j’étais étudiant à la School of Oriental and African Studies, de l’université de Londres. A cette époque, j’étais obsédé par les prix de l’immobilier, car je ne comprenais pas pourquoi ils augmentaient aussi rapidement.

Un jour, alors que j’étais à la bibliothèque de l’école, je suis tombé sur un livre intitulé "Grip of Death" (L’emprise de la mort). Il explique comment la monnaie est créée par les banques, à partir de rien, sous forme de dette. Il est d’ailleurs amusant de constater que la racine latine de "mortgage" [prêts hypothécaires] signifie "emprise de la mort"…

Bref, en lisant ce livre, j’ai compris pourquoi l’inflation frappait l’économie et je me suis dit 'Hé bien, si c’est comme cela que le système fonctionne, alors cela ne peut pas tenir très longtemps'. C’était en 2006. L’année suivante, le système commençait à se fissurer… En 2008, tout ce à quoi je m’attendais est arrivé.

A chaque fois que je regardais les journaux télévisés, je me disais 'bientôt, les journalistes vont commencer à expliquer le fonctionnement du système monétaire'. Mais ils ne l’ont jamais fait.

Du coup, en mai 2009, j’ai décidé d’arrêter mon job, de me mettre en freelance et de commencer à écrire sur un blog. Un an après, un certain nombre de gens ont commencé à me suivre avec intérêt, et avec certains d’entre eux nous avons décidé de lancer une campagne. Un de mes fidèles lecteurs a alors accepté de nous donner assez d’argent pour six mois, et nous avons donc pu commencer à travailler, à partir de rien.

Quel est le statut de votre organisation?

Nous voulions être enregistrés comme une organisation caritative, mais parce que nous militons pour un changement très précis de certaines lois, cela nous aurait probablement été refusé. Nous sommes donc une organisation non-lucrative, qui tente d’expliquer aux gens comment le système monétaire fonctionne.

Quelle est votre relation avec les partis politiques?

Nous parlons avec certains partis, mais n’avons aucune affiliation avec eux. En fait, ce n’est pas une question de gauche ou de droite, c’est juste une question de bon sens. Nous essayons donc de leur faire comprendre pourquoi et comment le système monétaire compte, et pourquoi les problèmes qu’ils combattent (la pauvreté, le logement) ne sont que des conséquences de système.

Comment vous y prenez-vous?

Les vidéos sont très efficaces car beaucoup de gens n’ont pas le temps de lire aujourd’hui. Nous en réalisons donc beaucoup, qui présentent les choses de manière simple et rapide. Nous organisons également des événements à travers le Royaume Uni, où nous expliquons aux gens le fonctionnement du système, et discutons avec eux.

[Vidéo 'Consequences of Fractional Reserve Banking', de Positive Money / en anglais]<br />

Enfin, nous avons également écrit "Where does money come from?". Ce livre, publié par la New Economic Foundation, explique précisément le fonctionnement du système bancaire et monétaire. L’objectif était de résumer et certifier ce que nous disions, car beaucoup de manuels d’économie ont vingt ans de retard. Ce livre est le fruit d’intenses recherches académiques et dans les documents officiels de la Bank of England.

Nous n’en avons pas vendu beaucoup, mais le feedback que nous avons reçu est très positif. Même des membres de la Banque d’Angleterre nous ont dit que le livre était très bon et qu’il était important d’avoir un tel ouvrage car beaucoup d’autres livres sur le sujet sont trompeurs.

Vous voulez confier la création monétaire à un comité indépendant. Comment ce comité devrait-il utiliser ce pouvoir selon-vous?

Nous suggérons que le comité verse cet argent d'abord au gouvernement. Celui-ci aurait ensuite plusieurs options :

  • réduire les taxes,
  • augmenter certaines dépenses publiques,
  • rembourser la dette publique,
  • voire donner directement cet argent à tous les citoyens sous forme d’un dividende.

A la manière d’un revenu de base ?

Ce serait probablement un très bon moyen de financer un revenu de base. Mais ce n’est pas l’objet de notre proposition : le revenu de base est une autre mesure qui implique une réforme fiscale, ce qui n’est pas notre domaine.

Nous disons simplement que distribuer la monnaie créée aux citoyens serait certainement la meilleure option.

En effet, confier l’argent au gouvernement pourrait indirectement encourager celui-ci à augmenter inutilement les dépenses publiques. De plus, il faut bien avoir conscience que la quantité de monnaie créée chaque année ne sera pas stable. Le montant sera probablement élevé les premières années puisque nous sommes en récession, mais devra progressivement diminuer les années suivantes. Le gouvernement ne doit donc pas compter sur cette manne financière.

Donner l’argent directement aux citoyens serait le meilleur moyen de relancer l’économie par la base, la consommation et la production.

Votre système implique une réforme bancaire radicale, les banques pourront-elles toujours financer l’économie ?

Oui, vous serez toujours en mesure d’obtenir un prêt de votre banque, mais celle-ci devra de prime abord trouver les fonds qu’elle vous prête. Aujourd’hui, la banque ne se préoccupe pas de savoir si elle a les fonds disponibles pour effectuer un prêt : elle ne fait qu’inscrire le montant que vous empruntez sur votre compte.

Demain, dans notre système, la banque devra prendre cet argent auprès de ses autres clients et le verser "pour de vrai" sur votre compte.

La banque sera ainsi limitée dans sa capacité de prêter de l’argent par le montant qu’elle réussit à rassembler en dépôts.

Ce système n’est pas inconnu des économistes : on l’appelle parfois le "100% monnaie", ou "système de réserves pleines". L’économiste français Maurice Allais défendait par exemple un tel système.

Comment effectuer la transition vers un tel système ?

La transition peut être effectuée par zone monétaire, en deux phases. Dans un premier temps, tous les comptes bancaires doivent être divisés du jour au lendemain, disons 12 mois après la décision d’implémentation de la réforme.

A partir de ce moment, les clients disposeront donc de deux comptes :

  1. Un compte de dépôt, où leur argent sera parfaitement sécurisé, puisque non prêté par la banque,
  2. Un second compte, d’épargne cette fois-ci, dans lequel la banque pourra piocher pour financer des investissements, en contrepartie bien sûr d’une rémunération.

Maintenant, le problème est que les banques ont peut être émis trop de crédit dans l’économie ces dernières années. Du coup, elles manqueront probablement de fonds pour couvrir les en-cours de crédit.

Pour compléter ce manque, la banque centrale pourra alors prêter de l’argent aux banques jusqu’à ce que les banques équilibrent leur bilan par elles-mêmes. L’intervention de la banque centrale rend possible une transition en douceur.

Comment expliquez vous que le système actuel ait subsisté jusque là? Est-ce un complot comme certains le prétendent?

Non je ne crois pas au complot. Les gens ne comprennent pas le système monétaire qu’ils utilisent. Le problème est là. Même les politiciens ne comprennent pas comment est créé l’argent qu’ils utilisent! Il faut dire que le système est complexe, et il est facile de se laisser distraire par certains aspects de celui-ci.

Même lorsque les gens comprennent – à la Banque d’Angleterre ou parmi les politiques – la plupart n’ont jamais étudié l’impact de la dette sur la pauvreté, les inégalités, etc. Ils se concentrent sur des détails et ne voient pas la "big picture", la vue d'ensemble.

Ils n’ont jamais pris le temps d’étudier les alternatives.

Donc non, il n’y a pas de complot. Il y a juste une mauvaise compréhension du système.

Quel est l’impact de Positive Money au Royaume-Uni?

L’événement le plus marquant pour nous, c’est l’organisation d’une conférence au sein du parlement, grâce au soutien et à la participation de deux députés.

Je crois que c’est la première fois au monde que des députés parlent d’une telle réforme du système monétaire!

Nous avons également rencontré la commission bancaire, mais ils n’ont pas vraiment compris, et finalement, ils ont décidé de conserver le système actuel en faisant quelques petits changements.

Avec aujourd’hui plus de 7.000 participants à la campagne, je pense que nous avons fait beaucoup de progrès ces dernières années.

Quelque chose peut-il changer en Angleterre?

Le Royaume-Uni n’est pas dans la zone euro, les choses peuvent donc théoriquement changer plus facilement. Mais dans le même temps, notre système financier est très puissant et proche du gouvernement. Il nous faut donc faire beaucoup de lobbying pour renverser la situation.

Et puis, vous savez, les banquiers sont prêts à tout pour conserver le système actuel…

De plus, en ce qui concerne l’opinion publique, malgré l’échec de la politique monétaire pour relancer l’économie, les gens ne comprennent toujours pas. Les journalistes et la presse financière non plus, d’ailleurs. Donc malheureusement, je ne suis pas très optimiste sur le court terme.

Qu’allez-vous faire à l’avenir?

Ces dernières années, nous avons perdu trop de temps avec les gens du gouvernement et les politiciens. Nous voulons maintenant nous focaliser sur une audience plus large. Nous avons encore beaucoup de travail!

['Pourquoi les banques font autant d'argent?', Positive Money, Sous-titré français]<br />




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