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La Grèce se paye son mur anti-clandestins

mercredi, 8 février, 2012 - 10:20

La Grèce a commencé la construction de la clôture à la frontière avec la Turquie, devenue l'une des principales portes d'entrée clandestine en Europe. Athènes est débordée par l'afflux de migrants et sa politique d'asile totalement défaillante. Bruxelles refuse de participer.

Pas un centime de l'Europe pour financer la cloture de 12,6 kilomètres à la frontière greco-turque. La Commission refuse d'apporter son soutien à ce projet, qu'elle juge inefficace, et met en garde Athènes contre toute violation des droits de l'Homme.

J'ai dit non à la demande de financement de la Grèce pour la clôture à Evros, car elle est plutôt inutile"

explique la commissaire Cecilia Malmström, chargée des Affaires intérieures et des migrations dans un commentaire sur son compte twitter. Il serait préférable "de se recentrer sur une réforme structurelle des demandes d'asiles et sur la gestion des frontières".

Les murs et les clotures sont des solutions de court-terme et non pas des mesures à même de résoudre le problème"

ajoute son porte-parole.

La Grèce doit recevoir 90 millions d'euros de l'UE en 2012 pour l'aider à faire face aux problèmes posés par l'afflux de demandeurs d'asile et de migrants, mais ces financements ne pourront pas être utilisés pour construire la clôture à la frontière avec la Turquie.

Un mur réclamé par la France

Il s'agit d'un ouvrage à valeur pratique et symbolique (…) pour décourager la migration clandestine et envoyer le message que l'on ne rentre pas en Grèce comme dans un moulin"

a déclaré lors d'une visite sur place le ministre pour la protection des citoyens Christos Papoutsis, cité par l'agence de presse grecque Ana. Il y a un an, alors ministre en charge de l'immigration, il avait déjà qualifié d'"hypocrisie" les inquiétudes de la Commission européenne, alors que la Grèce est critiquée depuis des années au sein de l'UE pour ne pas avoir suffisamment sécurisé ses frontières.

La construction de cette clôture a ainsi été réclamée par plusieurs Etats, en particulier par la France.

Les mesures qui sont engagées, dès lors qu'il ne s'agit pas de restaurer le Mur de Berlin, vont dans le bon sens et nous les soutenons,

assurait Brice Hortefeux, alors, lui aussi, chargé de l'immigration, en janvier 2011 – au moment de l'annonce de la construction du mur destiné à freiner le flux de migrants qui transitent par la Turquie et entrent illégalement en Grèce pour ensuite gagner les autres pays de l'UE.

Or, la Grèce est débordée par l'afflux de migrants et sa politique d'asile totalement défaillante.

Un tiers des entrées irrégulières recensées dans l'UE

Le chantier, annoncé depuis des mois et chiffré à 5,498 millions d'euros (7,17 millions de dollars) prévoit une double rangée de barbelés de 2,5 mètres de haut surmontée de 25 caméras thermiques. Il devrait être achevé en septembre prochain.

En 2011, quelque 55.000 arrestations de migrants ont été enregistrées dans la zone frontalière d'Evros, en augmentation de 16,77% par rapport à 2010, selon les autorités grecques. Entre 2009 et 2010, le nombre total de passages (par terre ou par mer) entre la Turquie et la Grèce avait explosé de 45%, selon le rapport de Frontex, l'Agence européenne aux frontières.

À un rythme moyen de 300 par jour, ces arrivées clandestines ont représenté en 2011 dernier le tiers des entrées irrégulières recensées dans l'UE, d'après les chiffres de Frontex.

Au cours du mois de janvier 2012, quelques 2.800 migrants ont tenté leur chance, loin des 6.000 passages mensuels pendants les mois d'été. La majorité est originaire du Pakistan et du Bangladesh, et la plupart demandent l'asile ou le statut de réfugiés politique. Les clandestins en provenance de l'Afrique du Nord forment le deuxième groupe le plus important, rappelle le site EU Observer.

Les empreintes des migrants à la frontières greco-turque

 

A passage facile – terrain plat, zones peu habitées des deux côtés de la frontière -, prix moins cher pratiqué par les passeurs: dans la région de l'Evros, les candidats à l'immigration clandestine ne débourseraient qu'entre 500 et 600 euros, une somme qu'il faut multiplier par trois ou quatre pour un passage par la mer. Un passage pourtant autrement plus périlleux – près de 1.500 personnes sont mortes noyées l'an passé en tentant de traverser la Méditérranée à bord d'embarcations de fortunes.

La traversée du fleuve Evros n'est pas sans risque non plus: depuis le début de l'année, une Africaine et un Palestinien sont morts, et six personnes, dont une fillette afghane, ont été portés disparus en tentant de franchir le cours d'eau, rapporte l'AFP.

Le piège des accords de Dublin

Depuis le renforcement des frontières maritimes de l’UE et la signature d’accords de rapatriements par l’Espagne et l’Italie, l’est de la Grèce est devenue la principale porte d’entrée des clandestins en Europe. Cette "route" est d'autant plus attractive que la Turquie a levé la demande de visas pour de nombreux pays: de nombreux candidats prennent désormais un avion low-cost pour Istanbul, et de là rejoignent en deux heures la frontière terrestre du Nord de la Grèce.

Or, le pays n'a absolument pas les moyens de faire face à un tel afflux. Déjà critiquées avant le début de la crise économique, et piégée par les accords de Dublin II – qui prévoient que les demandes d'asile soient traitées dans le premier pays où les migrants posent le pied -, les autorités grecques sont désormais totalement dépassées. Et visiblement peu soucieuses de faire des efforts.

"Crise humanitaire"

Dés septembre 2010, le Haut-commissariat aux Réfugiés (HCR) de l'ONU a appelé l'Union européenne à aider la Grèce, la jugeant confrontée à une "crise humanitaire".

Amnesty international a publié en mars 2010 un rapport accablant sur la question. Un autre rapport, signé Human Rights Watch et publié en septembre 2011, décrit les conditions de détention des migrants dans de nombreux centres en Grèce: "Eaux d’égout répandues sur le sol", "odeur (…) difficile à supporter", surpeuplement, enfants séparés des parents… Liste non exhaustive.

Athènes a déjà été condamnée en juin 2009 pour ses conditions de détention dégradantes par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La Belgique a également été condamnée, le 21 janvier 2011, à verser 20.000 euros – à titre de dédommagement – à un demandeur d'asile afghan renvoyé en Grèce. Les juges européens ont, en effet, considéré que le renvoi du demandeur allait à l'encontre des droits de l'Homme.

Dans la foulée, plusieurs pays européens – mais pas la France – ont suspendu les renvois de réfugiés vers la Grèce.

46 000 demandes d'asile en souffrance

De nombreuses organisations soulignent régulièrement les "défaillances structurelles importantes" de la procédure d'asile en Grèce, pourtant un droit fondamental dans l'Union européenne. Les demandeurs sont systématiquement placés en détention, éventuellement brutalisés par la police, relève la CEDH. Avec, au final, un espoir infime de voir leur demande d'asile aboutir.

D'après les chiffres Eurostat, 16.440 décisions d'asile (en première instance et en appel) ont été prises en 2009 pour… 210 réponses favorables – soit un taux de 1,3%. Avec ses 19% (toutes décisions confondues, en 2010), la France passerait presque pour un eldorado.

En 2010, toujours selon Eurostat, le nombre total de décisions en première instance prises par les autorités grecques est tombé à 3.455 (près de 4 fois moins que l'année précédente), pour 105 réponses positives – soit un taux phénoménal de… 3%.

Mais, la Grèce est accablée et accablante. Idil Atak, de l'université canadienne McGill, a constaté que "les demandes ne sont enregistrées que les samedis à raison de 50 à 60 dossiers par semaine". A ce rythme, il faudrait, au mieux 15 ans rien que pour examiner les 47.000 demandes d'asile en souffrance!




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