Les deux ex-dirigeants des usines d'amiante Eternit écopent d'une peine de 16 ans de prison ainsi que de lourdes amendes. Ils ont été reconnus coupables par le tribunal de Turin de la mort de plusieurs milliers de personnes. Ce verdict pourrait faire jurisprudence dans d'autres pays.
"Coupables des délits qui leurs sont reprochés". Lorsque le juge Casalbore a prononcé son verdict, les familles des victimes ont éclaté en sanglots. Puis elles ont applaudi longuement. Elles ont applaudi le juge de Turin qui a infligé une lourde peine de prison aux anciens patrons d’Eternit, le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny, ex-propriétaire du groupe suisse, et le baron belge Jean-Louis Marie Ghislain de Cartier de Marchienne. Et les amendes salées que devra payer Eternit à titre de dommage.
Mais les familles des victimes ont surtout salué le courage du magistrat qui a officiellement reconnu à l’amiante le rôle de meurtrier en série.
C'est le plus important. Car de l’autre côté des Alpes, personne n’est dupe. En raison de leur grand âge – respectivement 65 et 90 ans -, les condamnés ne moisiront pas dans une cellule. D’ailleurs, ils vont aussi faire appel et les peines pourraient être revues à la baisse.
Mineurs du nord de la France
Reste donc l’ampleur morale d’un jugement qui va surement faire jurisprudence. C’est du moins le souhait exprimé par les associations environnementales italiennes et le groupe de mineurs venus expressément du nord de la France pour assister au procès du siècle.
Ce jugement est historique car c’est la première fois en Europe et dans le monde entier que des peines aussi lourdes sont attribuées. Nous pensons que cette affaire ouvrira la voie à d’autres verdicts identiques",
a déclaré un mineur français, cité par le Corriere della Serra.
Le juge a également condamné le groupe producteur d’amiante à de copieuses amendes. L’association Medicina democratica et le WWF toucheront chacune 70.000 euros. Les communes de Cavagnolo, dans les environs de Turin, et de Casale Monferrato, sièges de deux établissements, ont obtenu respectivement 4 millions et 25 millions d’euros à titre de dommages et intérêts.
En ce qui concerne les victimes enfin, le juge a octroyé 30.000 euros à chaque famille et 35.000 par malade. En revanche, le dispositif judiciaire a établi la prescription pour les deux autres établissements situés au centre (Emilie Romagne) et au sud (Campanie) de la péninsule.
Une décision très attendue
Plus de 1.500 personnes – dont 900 de Casale Monferrato – étaient venues à Turin pour attendre la décision du tribunal. Au total, une soixantaine de délégations étaient présentes dont plusieurs venues de France et de Belgique. Du coup, le palais de Justice littéralement pris d’assaut avait du ouvrir trois salles supplémentaires pour permettre au public d’assister à la lecture du verdict. Dehors comme dedans, l’ambiance était nerveuse.
"Quelque soit le verdict, le monde entier saura que l’amiante tue", a souhaité à voix haute un représentant des victimes et des anciens salariés d’Eternit quelques minutes avant le verdict, rapporte le quotidien italien. Des mots identiques ont été prononcées la présidente du comité des parents des victimes.
Quelque soit l’issue de ce procès nous remporterons une victoire car tout le monde sait désormais que l’amiante est un tueur",
a affirmé pour sa part par Romana Blasotti Pavesi aux journalistes du Corriere.
Culpabilité manifeste
Pour convaincre les juges, l’équipe du procureur de la République a démontré durant les quelques 62 audiences de ce "maxi procès" qui aura duré quatre ans, que les anciens patrons d’Eternit, au nom du profit, ont fait preuve de légèreté.
Ils connaissaient les propriétés assassines de l’amiante mais les accusés n’ont pas pour autant fermé boutique car ils voulaient continuer à tirer profit de leur entreprise",
a déclaré le procureur de la République Raffaele Guariniello dans son réquisitoire.
Il a aussi souligné l'absence d'application de procédures de sécurité essentielles comme la fourniture de gants et de masques qui auraient permis aux ouvriers de se protéger.
"Ce jugement rend hommage aux victimes"
Ce n’est pas la première fois qu’une décision de justice aussi éclatante est rendue en Italie. En 2007, le directeur de la branche acier de ThyssenKrupp en Italie avait été condamné à une peine de prison identique à la suite du décès de sept de ses salariés dans un incendie.
Mais le dossier Eternit, avec ses 6.392 parties civiles qui représentaient les quelques 3.000 victimes de la fibre assassine, devrait avoir un impact bien plus important encore.
Roberto Cotta, président de la Région du Piémont et membre de la Ligue du Nord, a finalement déclaré :
Ce jugement rend hommage aux victimes. A présent, il faut bonifier le territoire et travailler au niveau de la prévention et de la recherche".