La compagnie aérienne Spanair devait être la bannière de la Catalogne. Sa faillite laisse 2.500 personnes sur le tarmac. Une liquidation express bien étrange. Quant au patron de Ryanair, Michael O’Leary, il fait le signe de la victoire devant les ex-salariés condamnés au chômage!
Que s’est-il passé le 27 janvier dernier ? C’est ce que se demandent sans répit les 2.500 employés de Spanair dans les airs ce vendredi-là, pilotant un avion ou servant les collations aux passagers, tandis que les Espagnols apprenaient au journal télévisé la fermeture de la compagnie catalane, laissant un trou béant de 352 millions d’euros de dettes.
Enceinte et en arrêt de travail, Elsa, 31 ans, découvre elle aussi aux infos qu’elle vient de perdre son job d’hôtesse de l’air, après 7 ans de bons et loyaux services. Un mois plus tard, elle s’apprête à porter plainte pour obtenir des indemnités de licenciement qui se font attendre, mais surtout des réponses:
Quatre jours avant la fermeture, le président Ferran Soriano envoie une note aux employés pour dire que ça y est, les investisseurs tant attendus du Qatar vont renflouer la compagnie, que les vols à longue distance vont reprendre. Ce n’est que le dimanche suivant qu’on nous annonce officiellement la fin de la compagnie… Par mail.
Spanair, l’étendard du nationalisme catalan
Ferran Soriano, vice-président économique du FC Barça de 2003 à 2008, avait été désigné en 2009 par les nouveaux actionnaires de Spanair, désireux d’investir dans une compagnie aérienne catalane capable de faire un pied de nez à la madrilène Iberia.
A l’époque, le fleuron de la bourgeoisie entrepreneuriale catalane décide de racheter cette compagnie au bord du gouffre après la mort de 154 passagers lors du crash du vol JK5022, en août 2008, et le retrait d’un de ses actionnaires. La compagnie suédoise SAS, détentrice de 95% du capital, veut se débarrasser de la patate chaude et c’est un autre dirigeant du FC Barça, l’ex-président du club de 2000 à 2003 Joan Gaspart, qui se porte candidat.
Promesses en l'air
Alors responsable de l’office publique Tourisme de Barcelone, il mobilise des entrepreneurs privés des secteurs de l’hôtellerie et de l'immobilier, qui reprennent avec des entreprises publiques catalanes, 85,6% de Spanair sous la bannière de Iniciatives Empresarials Aeronáutiques. Le gouvernement catalan assume le rachat et la presse locale se félicite:
Il faut applaudir cette opération courageuse et risquée, impulsée par Catalana d'Iniciatives et par Tourisme de Barcelone, qui compte avec la participation de divers groupes hôteliers et touristiques. C’est une initiative publique-privée sans commune mesure ces dernières années en Catalogne,
lit-on alors dans La Vanguardia.
Un règlement de compte entre Madrid et Barcelone ?
Mais aujoud'hui, après l’annonce de la faillite de Spanair, la même plume s’interroge: "Jusqu’à quand fallait-il soutenir Spanair avec l’argent des contribuables dans le contexte actuel de coupes budgétaires qui touchent jusqu’à la santé publique ?" Les employés, eux, se demandent surtout pourquoi le retrait du gouvernement catalan, principal actionnaire, s’est opéré de manière si brutale. Et en attendant leurs indemnités, ils traquent le coupable.
Presque tout le monde pense qu’il y a une décision politique derrière cette mystérieuse fermeture éclair de Spanair. Le jour de la fermeture, tous les employés étaient à [leur] postes. On attendait l’arrivée d’un investisseur qatari. Un pilote membre du Conseil d’Administration m’a même affirmé que ces derniers étaient en route le 27 et auraient fait demi-tour. En même temps, les membres du PP (parti conservateur) aujourd'hui au gouvernement ont toujours vu d’un mauvais œil la volonté de Spanair de concurrencer la compagnie espagnole Iberia,
avance avec suspicion Ricardo, 38 ans, employé de Spanair depuis 13 ans et membre de son comité d’entreprise.
Mais au-delà de ces rumeurs de règlement de compte entre Madrid et Barcelone, impossibles à confirmer, les 2.500 employés sans travail de Spanair auxquels s’ajoutent plus de 1.000 employés renvoyés par Newco – une entreprise de service dont 80% de l’activité était destinée à Spanair – sont en passe de porter plainte contre les dirigeants de Spanair, dont la mauvaise gestion serait à l’origine du crash financier:
Comment peut-on expliquer que deux mois avant la fermeture, 35 millions d’euros ont été investis et qu’aujourd’hui, la compagnie ne soit même pas capable d’indemniser ses employés et les passagers ayant souffert de la faillite du 27 janvier ? (…) On ne peut pas mettre 4.000 personnes à la rue comme ça. Fermer la compagnie si elle est en faillite d’accord, mais ça coûte de l’argent: en indemnités, en aide à la reconversion professionnelle…,
s’interroge Ricardo.
La faute aux low cost et à Bruxelles?
Les caisses étaient pourtant bel et bien vides, rétorque-t-on aux salriés médusés: Spanair attendait depuis plusieurs mois un investisseur comme le Messie pour éponger sa dette. Et ce Messie qatari, Qatar Airways, a décidé au dernier moment d’éviter la crucifixion.
Mais alors, si l’argent manquait, pourquoi le directeur général de Spanair, Mike Szücs, s’est-il assuré un parachute doré de 400.000 euros après la faillite ? D’où venait le salaire de 600.000 euros de Ferran Soriano ? Encore des questions qui taraudent leurs ex-employés.
Dernier coupable en vue, les compagnies low cost. La compagnie ibérique Vueling et d’autres low cost venaient, en effet, de porter plainte pour concurrence illégale. "Après la fermeture d’une compagnie hongroise suite à une plainte équivalente, le gouvernement catalan a peut-être retiré ses pions en vitesse pour éviter de payer une amende qu’il ne pourrait pas se permettre", avance Elsa, évoquant le cas de la compagnie Malev, accusée par la Commission européenne de recevoir des aides illégales de la part de l’Etat hongrois.
Mais Ryan Air reçoit bien des subventions publiques. En plus la compagnie irlandaise ne déclare pas ses impôts en Espagne, et personne ne dit rien !
s’indigne-t-elle.
Jogging contre cancer, réaction contre dépression
Michael O’Leary, le patron de Ryan Air, n’a pas hésité à faire le signe de la victoire au milieu des employés déboutés de Spanair mobilisés dans l’aéroport de Bilbao le 14 février 2011.
Capture d'écran d'un reportage publié sur le site eitb.com
Heureux d’avoir tiré une "publicité gratuite" et de pouvoir récupérer le vide laissé par Spanair, le provocateur irlandais aurait été avisé d’écouter ce que les employés de Spanair ont sur le cœur.
Ne pouvant pas s’inscrire au chômage ni chercher d’autre emploi tant que le plan social ne sera pas signé, au risque de perdre leurs indemnités, beaucoup de couples formés par deux ex-employés de Spanair se retrouvent sans aucun revenu depuis janvier,
avertit Elsa, qui, par chance, a pu s’inscrire au chômage grâce à un contrat de travail plus flexible. "Le pire, c’est que l’on versait chaque mois 30 euros pour une assurance vie et nous avons appris qu’elle ne payait plus la compagnie d’assurance depuis avril !" La nouvelle est tombée quand un collègue atteint d’un cancer apprend de l’assurance qu’il n’est plus couvert depuis 10 mois. C’est la goutte d’eau. Un ex-stewart se rend alors de Barcelone jusqu’à la Moncloa (palais du gouvernement) en bicyclette pour faire parler des 2.500 nouveaux chômeurs. Un autre effectue le même trajet, mais en courant. Les fonds remportés en chemin financent le traitement du cancer de leur ex-collègue.
Un "vieux de 38 ans"
Et demain ? "Pour les employés de plus de 30 ans, il sera presque impossible de retrouver un emploi dans l'aérien", craint Elsa. Diplômée en journalisme, elle peut encore rebondir, mais beaucoup risquent de se brûler les ailes en essayant. Pour Ricardo, ce sera "la musique, avec mon groupe, et pourquoi pas British Airways. Eux n’auront peut-être pas peur d’embaucher un vieux de 38 ans !"
Mercredi 22 février, le plan social a enfin été signé et les ex-employés de Spanair vont pouvoir rejoindre les quelques 5,3 millions de chômeurs espagnols.