Nicolas Sarkozy s'est rendu aujourd'hui à Petroplus, où il a confirmé que la raffinerie de Rouen obtenait un sursis, et sera alimentée en brut par Shell pour continuer à tourner et convaincre définitivement un repreneur. Mais Petroplus, ce n'est pas seulement Rouen. C'est également quatre autres raffineries en Europe, elles aussi en lutte pour survivre. Etat des lieux d'un combat qui pourrait gagner Bruxelles.
Shell leur accorde six mois. Six mois pour prouver que leur raffinerie en a encore sous le capot. Six mois pour convaincre que Rouen vaut bien le Qatar, que oui, raffiner en France est rentable. Et tenter un ultime croche-pied à cette désindustrialisation française qui leur sape le moral. Les "550" de Petroplus sont en sursis et ont du pain sur la planche. Ils n’en demandaient pas plus.
Comme si l’histoire tournait en boucle, c’est donc Shell qui repêche la raffinerie de Petit-Couronne au bord de la noyade. "La Shell", comme ils l’appellent encore dans le coin, cette boîte fétiche de la région, opératrice du site depuis 1929. La même Shell qui plaquait la raffinerie en 2008, pour la revendre au suisse Petroplus, et voguer loin d’une Europe où raffiner coûterait trop cher.
La pétrolière néerlandaise propose donc aujourd’hui de relancer la machine de Petit-Couronne, pour 6 mois, le temps qu’un autre repreneur vienne y placer définitivement ses billes. Selon les salariés, il faudra un bon mois pour sortir le site de son "silence de mort" et raffiner de nouveau.
Continuer à raffiner et prouver sa rentabilité
Dans le pétrole ce type de contrat a un nom : le façonnage (ou processing). En un mot, une forme de sous-traitance. Shell va livrer du brut à la raffinerie de Petit-Couronne, qui le transformera pour le lui restituer en produit fini, moyennant paiement. "C'est comme si vous apportiez du tissu à un tailleur pour qu'il vous fabrique un costume sur mesure avec", explique Laurent Patinier, délégué CFDT.
Une raffinerie est plus facile à vendre lorsqu’elle tourne. L’arrêt et la mise en faillite, en janvier, du site de Petit-Couronne et des 4 autres raffineries de Petroplus européen a réveillé le spectre de la fin du raffinage en Europe. La rentabilité n’est plus au rendez-vous, arguent alors certains. Pour les "550" de Petroplus, le contrat de processing avec Shell doit être l’occasion de tordre le cou aux chantres de la délocalisation industrielle, et de montrer que le malheureux épisode Petroplus n’est à leur sens que le résultat d’une mauvaise gestion et d'une concurrence déloyale.
La date du dépôt des offres de reprises a été fixée au 15 mars. Les repreneurs sont là, il faut les convaincre. Trois ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt : le Suisse Klesch, le fonds d’investissement Goldsmith et l’américain Global Emerging Markets. D’autres groupes seraient intéressés, mais préfèrent avancer dans l’ombre.
Petroplus, un naufrage européen
Pour ces repreneurs potentiels, la faillite, c’est surtout celle de Petroplus. Et Petroplus, ce n'est pas que la raffinerie de Petit-Couronne dont les médias et les candidats à l'élection présidentielle ont tant parlé ces derniers mois. Le groupe suisse est le plus gros raffineur indépendant en capacité d'Europe, où il détient cinq raffineries : en France, Belgique, Royaume-Uni, Allemagne et Suisse. Soit autant de dossiers à gérer avant une reprise.
- Pour la raffinerie de Coryton, en Grande-Bretagne, la situation est similaire à celle de Rouen. L'usine tournait en effet en sous-capacité depuis le mois de décembre, date à laquelle un administrateur avait été nommé pour gérer la faillite de Petroplus. Le 15 février dernier, un accord a été trouvé pour un contrat de façonnage avec des investisseurs parmi lesquels figure l'un des cofondateurs de Petroplus, donnant un sursis de trois mois aux salariés de l'usine pour trouver un repreneur satisfaisant.
Cela met fin à la pression incroyable qui reposait sur les travailleurs locaux, qui se demandaient si chaque cargaison ne serait pas la dernière,"
a déclaré Richard Howitt, député européen de la circonscription de l'Essex où l'usine est située. Les investisseurs ont par ailleurs assuré que du pétrole brut serai fourni à l'usine pour y être raffiné.
- La raffinerie d'Ingolstadt, en Allemagne, qui semblait être dans une situation plus favorable, a dû finalement fermer au milieu du mois de février : le site n'avait pas reçu de pétrole depuis la déclaration d'insolvabilité de Petroplus en décembre dernier. Il est aujourd'hui impossible de dire comment la situation va évoluer pour ses salariés, mais le groupe suisse Klesch s'est déclaré intéressé par une reprise de l'usine allemande, avec celles de Coryton et de Petit-Couronne.
- La raffinerie de Petroplus en Belgique était à l’arrêt depuis le début de l’année, et a été rachetée le 2 mars par l'entreprise russo-chypriote Gunvor. Les activités de raffinage devraient donc reprendre. La "BRC" d’Anvers emploie 230 personnes. La mise en faillite de la filiale belge de Petroplus, la Belgian Refining Corporation N.V, avait été demandée le 27 janvier.
- La raffinerie de Cressier, en Suisse, a obtenu un sursis de deux mois afin de poursuivre une activité minimum, en attendant de trouver un repreneur. Elle emploie 260 personnes.
Porter le combat à Bruxelles
Cinq raffineries donc, mais un même combat. Qu’une députée européenne tente de coordonner. L'eurodéputée de la région normande Estelle Grelier (PS) s'est associée avec ses collègues européens Kathleen Van Brempt (Anvers en Belgique), Wolfgang Kreissl-Dörfler (Ingolstadt en Allemagne) et Richard Howitt (Coryton au Royaume-Uni), afin d’obtenir que la Commission Européenne regarde de plus près le dossier et s’atèle au sauvetage du raffinage au sein de l’UE.
Une nécessité, nous a expliqué Estelle Grelier :
Même si les modes d'action sont différents, il est important de souligner que les salariés de tous les sites souhaitent la même chose. Ils ne veulent pas seulement qu'un acheteur recapitalise l'entreprise, ce qui ne serait pas forcément une solution pérenne, mais également qu'une proposition soit faite afin de redéfinir le schéma industriel, pour garantir la viabilité de leur activité."
Faire parler Bruxelles, pour rassurer les repreneurs
Les quatre eurodéputés ont ainsi rencontré le Commissaire européen à l’énergie Günther Oettinger qui s'est engagé à faire avancer le dossier au niveau de Bruxelles. Des rencontres sont prévues avec les Commissaires à l'emploi, à l'industrie, à la concurrence et à la politique régionale pour essayer de trouver une solution viable à l'avenir du raffinage en Europe. L’objectif est donc bien de pousser la Commission européenne à s’exprimer et livrer un message politique, nécessaire pour rassurer les repreneurs potentiels de Petroplus, en quête de garanties.
L’Union européenne doit se positionner dans les meilleurs délais. Nous assistons actuellement à un dumping environnemental résultant des normes que nous appliquons en matière de rejets de CO₂. Il est impératif que la Commission européenne mette en place des gardes fous pour s’assurer que nous n’encourageons pas nos industries à aller émettre du CO₂ ailleurs,"
a déclaré Mme Grelier à ce sujet.
Remettre en selle le brut raffiné en France
Au niveau français, l'intersyndicale (CGT-CFDT-CFE/CGC) de la raffinerie de Petit-Couronne a travaillé avec le sénateur Thierry Foucaud (PCF) à la rédaction d'une proposition de loi visant notamment à instaurer "un visa environnemental et social" pour les importations venant de pays tiers afin d'assurer une "égalité de traitement" des produits. La proposition devrait être débattue au début de la prochaine législature par le Parlement pour entrer en application dans le courant du second semestre 2012.
Pour Yvon Scornet, porte-parole de l'intersyndicale,
C'est une manière de faire du bruit pour que le message soit entendu jusqu'à Bruxelles et qu'on ne nous dise pas que c'est contraire aux règles européennes."
Article actualisé après l'annonce officielle le même jour par Nicolas Sarkozy du contrat avec Shell, puis lors de l'annonce du rachat de la raffinerie d'Anvers par le groupe Gunvor le 2 mars 2012.