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Le carnaval de Patras, exutoire à la crise pour les Grecs en colère

lundi, 27 février, 2012 - 13:02

Le Carnaval de Patras bat son plein. Merkel, Sarkozy, Papandréou et le gouvernement sont les rois de la fête et de la dérision. C'est le moment où l'on peut "dire franchement tout ce que l’on pense". Sans limites. La virulence des caricatures témoigne de la désespérance des Grecs.
 

Cette année, ce ne sont pas le Roi et la Reine qui ont ouvert hier le défilé du Carnaval de Patras, le plus célèbre de Grèce. Mais, une centaine d’Indignés, criant des slogans hostiles aux nouvelles mesures de rigueur et portant un énorme panneau, avec un seul mot : "Résistance".

Juste derrière, une banderole, faisant référence aux moments les plus sombres de l'histoire européenne, claque comme un avertissement :

Les sonneurs de cloche de la ville martyr de Distomo [non loin de Patras, ndlr] et de celles de toute l’Europe qui ont été rasées les nazis allemands, lancent, forts du sang des victimes, l’alarme pour que leurs descendants sans remords prennent conscience de la gravité de leurs actes".

L’Allemagne en prend lourdement pour son grade. Mais la Grèce aussi. Tout juste près la fanfare de la mairie, une magnifique Acropole sur un char, tout en colonnes et en dorures, s’avance majestueusement voulant prouver que tout n’est que beauté, lauriers et gloire.

La foule acclame avec force cris et clameurs le passage du char. Mais éclate un immense éclat de rire: derrière le beau décor de carton-pâte, tout n’est que baraquements, graviers et désolation. A se demander comment tout cela tient encore debout? Que ce soit le pays ou son allégorie.

Au cœur de l’hiver, le Carnaval fêté dans toute la Grèce comme un appel au printemps frémissant, permet toutes les libertés avant que la vie ne reprenne son cours: changer de peau, de sexe ou de personnage, se moquer de soi-même et des autres, boire et manger sans fin et autres voluptés… Viendront ensuite les quarante austères jours du carême qui durera jusqu’à Pâques.

"Le monstre Troïka", "L’aliénation de la Grèce"…

D’où l’étymologie latine du mot carnaval, qui signifie l’adieu à la chair, de carne, chair et levare, enlever, avec la même signification dans le mot grec αποκριές (apo-kries). Mais cette année, la fête dionysiaque issue des anciens rites, et mâtinée d’influence vénitienne à Patras, a pris un tour inhabituel: c’est la crise qui a inspiré la créativité des milliers de ses habitants qui préparent bénévolement toute l’année durant cet évènement. La grande parade du dimanche rassemble plus de 40.000 participants, le plus fort regroupement de carnavaliers de toute l’Europe.

Rassemblons nous tous,
à cette fête du carnaval
pour oser dire franchement
tout ce que l’on pense …

Comme le leur autorise la chanson éternelle du Carnaval, cette année, les Grecs se sont emparés de cette liberté pour crier leur colère. Ils ont détourné de manière subversive et avec un humour caustique toute la manifestation.

Les 138 chars, qui se sont succédés les uns derrière les autres, ont tous des noms très évocateurs: "Le monstre Troïka", "L’aliénation de la Grèce", "L’Europe sans cœur", "C'est comme ça que tout a commencé".

La joie et la participation de la foule à Patras fait plaisir à voir. Plus de 300.000 personnes, venues de tout le pays, se sont donné rendez-vous à Patras, ville sinistrée économiquement, mais qui tenait à honorer fièrement cette année encore son surnom de Carnavolopoli (la ville du Carnaval).

Les visiteurs sont venus aussi nombreux que d’habitude, mais en rognant sur les dépenses. En allant dormir chez des parents ou des amis, plutôt qu’à l’hôtel et en mangeant des sandwiches plutôt que d’aller à la taverne. 

Papandréou en caniche de Merkel

La tribune officielle du défilé, elle, était quasiment vide: les personnalités politiques grecques et les représentants des ambassades étrangères n’ont pas osé venir, sans doute par peur d’être "enyaourtés" ou "entomatés".

Mais leurs avatars ont, eux, défilé. L’ancien premier ministre socialiste Andréas Papandréou en caniche d’Angela Merkel, le nouveau premier ministre technocrate Loukas Papadimos en Arlequin, la ministre de l’éducation en photocopieuse (allusion au fait que, faute de moyens, les élèves n’ont pas reçu de livres cette entrée scolaire), Strauss Kahn en cochon amateur de truffes, et bien d’autres encore…

La parade s’est déroulée dans une ambiance bon enfant, sans que la police intervienne une seule fois. Il n’y a eu à déplorer aucun acte d’incivilité ou de violence. Le Roi du Carnaval a été brûlé sur le port, dans une débauche de pétards et feux d’artifice. Mais cette année, les effigies en papier mâché des Grecs, Papandréou, Venizelos, Papadimos Samaras, et des Européens, Sarkozy, Merkel, Strauss Kahn, Lagarde, Olli Rhen et Barroso l’accompagnaient dans son funèbre destin.

Aujourd’hui, c’est le "Lundi Pur", le jour des enfants. Les cerfs-volants planeront dans le ciel de la capitale de l’Achaïe. Un souffle d’espoir. Mais, de source enfantine, on s’attend là-aussi à ce que les messages qui s’élèveront dans les airs soient lourds de colère. Les enfants, même s’ils sont, par nature, plus insouciants dans ce climat délétère, souffrent de plus en plus dans leur vie de tous les jours, de cette crise barbare qui atteint leurs parents dans leur dignité. 


 

Le Carnaval de Patras, une survivance des rites païens

Comme toutes les fêtes chrétiennes, le Carnaval est une survivance des rites païens, en l’honneur du dieu Dionysos, où tout était permis durant les jours de Bacchanales. Le départ d’une nouvelle année, symbolise l’intrusion du monde sauvage dans le monde civilisé, celle du désordre dans la vie réglée, celle du monde des morts dans celui des vivants. Il marque les festivités de la fin et du recommencement d’un temps cyclique annuel : les hommes inscrivent leur vie dans ce monde qui se reproduit chaque année. L’aspect moderne du Carnaval de Patras date lui du 19° siècle, avec des influences cosmopolites (françaises, anglaises, …) mais surtout italiennes (Venise oblige).

Ce sont les arrivants des îles ioniennes proches, rattachées à la Grèce en 1864, qui ancrent cette coutume dans la prospère Patras de l’époque, capitale mondiale du raisin sec. L’importante communauté italienne catholique de Patras, descendante de refugiés politiques ou de commerçants vénitiens a contribué à maintenir cette tradition vivante. Après des décennies de mise en sourdine, le Carnaval renaît en 1974, malgré l’opposition de quelques groupuscules intégristes chrétiens qui récusent cette fête populaire, en la traitant de Sodome et Gomorrhe.

Cette année encore, l’Eglise a réagi, car une des figures du défilé sera le moine en chef du Mont Athos, impliqué dans un important scandale financier. Mais le maire a tenu bon, se targuant de la nature d’exorcisme social que joue la fête du Carnaval.  




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