Loana peut aller se rhabiller. Accouchement et accident de la route en direct, simulation de cannibalisme..., rien n'est épargné aux téléspectateurs néerlandais. Depuis la création de Big Brother en 1999, le succès des émissions de télé-réalité ne se dément pas. Dernière en date, "24 heures entre la vie et la mort" a cependant été annulée: les patients d'un service d'urgence avaient été filmés à leur insu. Provocation ou pédagogie?
Le concept Big Brother – inspiré du roman de George Orwell, dans lequel une société totalitaire surveille ses citoyens en permanence – était né au sein de l’équipe de John De Mol, un producteur néerlandais. Et s’est rapidement révélé un excellent produit d’exportation.
Le principe ? Pendant 100 jours, des candidats étaient enfermés dans une maison truffée de micros et de caméras. Le téléspectateur se transforme en voyeur. Les scènes les plus appréciées sont évidemment celles où les participants se jettent l’un sur l’autre, soit pour se bagarrer, soit pour des étreintes torrides… En France, les ébats de Loana dans une piscine ont laissé un souvenir sans doute plus durable que les soubresauts du Cac 40 à la même époque !
Accouchement en direct
Big Brother allait rapidement devenir le précurseur d’une foule d’émissions plus trash les unes que les autres. Le Bus allait prendre la suite: il s’agit d’un bus à impériale, de 18 mètres de long, dans lequel 11 passagers devaient cohabiter pendant 16 semaines. De Gouden Kooi (La Cage dorée) suit le même principe, mais avec une nuance intéressante: chacun des candidats recevait un compte en banque de 6 millions d’euros avec lequel il pouvait créer une entreprise, s’offrir des objets de luxe ou suivre une formation.
Ces programmes étaient encore très soft par rapport à ce qui a suivi. De bevalling (L’accouchement, en néerlandais) suit les derniers mois d’une femme enceinte ainsi que son accouchement. Rien n’est épargné au spectateur: ni la souffrance, ni les litres d’hémoglobine lorsque cela ne se passe pas comme prévu…
Le "plus mauvais chauffeur des Pays-Bas" soumet de très mauvais conducteurs à une série de tests de plus en plus compliqués. Jusqu’à l’accident réel du candidat en finale !
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"De vraies filles dans la jungle" plonge 10 ex-candidates de reality-shows dans la forêt du Surinam. Elles doivent survivre à différentes épreuves. Mais, la moitié d’entre elles vivent dans un "camp de luxe" tandis que l’autre s’installe tant bien que mal dans un "camp primitif".
La candidate finaliste peut espérer gagner 50.000 euros !
Le Blok (Le bloc) a obtenu un joli succès avec ses candidats bâtisseurs: disposant chacun d’un budget de quelques 33.000 euros, ils doivent rénover toutes les deux semaines une pièce de leur immeuble. Pour y arriver, ils doivent s’allier avec d’autres candidats du même immeuble et espèrent eux aussi engranger la plus-value de leurs travaux.
De Grote Beurt (Le grand tour) mettait en scène deux équipes qui transformaient la voiture poussive d’un parent ou d’un ami en bolide suréquipé, tendance dragster ou Tuning… Le programme a tenu le coup neufs saisons, entre 2002 et 2011 !
La cuisine n’est pas oubliée avec Wie is de chef ? (Qui est le chef ?) qui associe un chef reconnu avec une équipe d’amateurs. Tandis que Grenzeloos Verliefd (Amoureuse sans frontières) met en scène les amours balladeurs d’une jeune et jolie Néerlandaise: du Pérou à l'Égypte en passant par l’Indonésie, les difficultés d’adaptation et le "choc culture" garantis présentent un miroir inversé des problèmes du multiculturalisme maison.
"24 heures entre la vie et la mort"
L'émission "24 heures entre la vie et la mort" ne sera, elle, finalement pas diffusée. Pendant 16 jours, la société de production Eyeworks a mis en place 35 petites caméras dans le service des urgences d'un hôpital universitaire d’Amsterdam, pour le compte de la chaine néerlandaise RTL4. La procédure acceptée par l’hôpital prévoyait que les producteurs filmaient tout ce qu’ils voulaient, y compris à l’insu des personnes concernées. Mais ils devaient ensuite obtenir leur autorisation pour diffuser les images. Les patients étaient également interviewés à leur sortie des urgences. Sur 215 personnes admises, 150 avaient donné leur accord, rappelle la RTBF.
Le financement des hôpitaux depuis les coupes budgétaires du nouveau gouvernement devient de plus en plus difficile et il y a gros à parier que d’autres institutions suivront bientôt…
Au-delà des émissions de téléréalité dont l’objectif est clairement de faire le plein d’euros, les chaînes de télévision néerlandaises ont parfois recours à ce type de programme afin de sensibiliser les citoyens à certaines problématiques.
Sensibiliser aux réalités sociales et médicales
C’était le cas, notamment du quizz Weg van Nederland dont nous avons parlé sur MyEurop et qui mettait en scène des demandeurs d'asile déboutés. La société de production à la base de ce jeu, VPRO, est aussi la créatrice de l’émission de radio Argos, un des meilleurs programmes de journalisme d’investigation du pays et sans doute d’Europe.
Une autre émission avait suscité une polémique: pendant le programme Proefkonijn (Cobaye, ou lapin soumis à l’expérimentation animale) les deux présentateurs-vedette Valerio Zeno et Dennis Storm avaient mangé chacun un petit bout de l’autre. L’un un morceau de fesse et l’autre une lamelle du ventre, cuisinés par un chef en direct sur le plateau. L’acte de cannibalisme qui avait déclenché les foudres du ministre de la justice – sans conséquences judiciaires cependant – était destiné à faire connaître au grand public la pénurie de donneurs d’organes.
Il y a sans doute deux explications à ce type d’émissions-provoc’. Il existe aux Pays-Bas une vieille tradition de la provocation. La liberté d’expression y est beaucoup plus large qu’en France ou en Belgique, par exemple. Théo Van Gogh, le cinéaste et arrière-petit-neveu du peintre, assassiné en novembre 2004, était connu pour ses outrances.
Il ne parlait des musulmans que sous le vocable de "geitenneukers" ("baiseurs de chèvres") et traitait Allah de porc. Et Geert Wilders, qui comptait parmi les amis du cinéaste, ne trahit sans doute pas la tradition avec ses déclarations à l’emporte-pièces.
D’un autre côté, on peut se demander si pour attirer l’attention du spectateur néerlandais blasé par tant d’émissions à sensations gratuites, il ne faut pas en rajouter dans la surenchère perpétuelle. La rencontre de cette tradition de provocation et de l’insensibilité croissante du public explique peut-être pourquoi des producteurs de grande qualité comme VPRO ou VARA exploitent eux aussi la veine "trash TV" pour exprimer des revendications sociales.