La Kalachnikov va être rénovée. Plus qu'un simple fusil d'assaut, c'est un symbôle pour Vladimir Poutine, qui, en passe d'être réélu chef de l'Etat, a annoncé un programme massif de réarmement. Objectifs? Relancer l'économie russe et réaffirmer sa puissance.
Dépoussiérer l’icône "made in USSR". Elle a traversé la Guerre froide sans s'enrailler, et 65 ans après sa naissance, demeure l'arme préférée des armées, guérillas, et mercenaires de tous poils. 100 millions d’exemplaires circuleraient aujourd’hui sur la planète. L’Avtomat Kalachnikova méritait bien une petite mise à jour. C’est ce qu’a décidé Moscou.
Des canons pour une élection
A la veille des élections en Russie, ce dimanche 4 mars, le premier ministre de nouveau candidat à la présidence, Vladimir Poutine, a décidé de réarmer son pays s’il est élu, ce qui ne fait aucun doute. Il en a fait l’annonce mardi, dans le journal officiel Rossïïskaïa Gazeta. A l’image du fusil d’assaut automatique, c’est toute l’armée qui va profiter d’une intense cure de modernisation, lors de la prochaine décennie. Montant de ce coquet investissement? 513 milliards d’euros (20.000 milliards de roubles), soit, grosso modo, le PIB de la Belgique.
Avant les élections, Poutine dégaine donc ses dernières munitions. Et joue sur deux tableaux.
Le premier, de politique intérieure, concerne l’économie. Avec cet investissement massif, l’ancien chef du KGB se fait le champion d'une sorte de relance économique par le réarmement. Une stratégie qui doit profiter aux autres secteurs industriels du pays et doper la croissance et l’emploi.
Bond en avant
Malgré le scepticisme de certains économistes, comme Alexandre Konovalov, président de l'Institut des analyses stratégiques de Moscou, selon qui "l'idée d’un bond en avant dans l'économie grâce au complexe militaro-industriel est dépassée depuis les années 1950", Poutine, lui, y croit:
On prétend parfois que la renaissance du complexe militaro-industriel est un joug pour l'économie, un lest insurmontable qui aurait en son temps ruiné l'URSS. Je suis convaincu que c'est une profonde erreur. Le renouvellement du complexe militaro-industriel va devenir une locomotive pour le développement des secteurs les plus divers."
Second tableau, l’international. Une Russie qui se réarme, c’est une Russie qui gagne en influence. Et répond notamment au déploiement par Washington et l’Otan du bouclier anti-missile en Europe grâce à un "renforcement du système de défense aérien et spatial du pays".
28 sous-marins et 1.000 hélicoptères
L’aviation donc, mais aussi la marine, dont l'ex-président qui va retrouver son poste de chef d'Etat, promet la "renaissance". C’est, cette fois, "l’activité des grandes puissances mondiales autour de l’Arctique" qui justifie que la Russie investisse pour défendre ses intérêts. Un jeu de puissance qui permet accessoirement de réactiver un patriotisme russe vis-à-vis de l’Occident, Américains en tête. L’armement? "Il ne peut y avoir en la matière trop de patriotisme", déclare ainsi Vladimir Poutine.
Et le premier ministre d’annoncer la couleur: 8 sous-marins stratégiques, 20 sous-marins polyvalents, une cinquantaine de navires de surface, une centaine d’appareils spatiaux à fonction militaire, plus de 600 avions dont des chasseurs de cinquième génération, plus d’un millier d’hélicoptères, 400 missiles balistiques modernes, … Bref, Poutine veut en acheter "des courts et des longs, des grands et des petits, à tous les prix", chanterait le marchand de canons de Boris Vian.
AK-12
Au cœur de ce "petit commerce" donc, l’AK-47, le fameux fusil inventé par Mikhaïl Kalachnikov deux ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Devenu entre temps l’AK-74 (plus petit calibre), en 1974, la mitraillette, vieillotte mais simple, robuste et efficace, va bénéficier d’un lifting technologique pour relancer le business. Parce qu’un fusil d’assaut doit savoir, au même titre qu’un iPhone, se renouveler pour continuer à séduire ses adeptes, place à l’AK-12. Les nouvelles applications de la dernière "Kalach" ? Une visée optique et une lampe détachables, annonce le fabricant officiel, le russe Izhmash.
Vladimir Poutine et Mikhaïl Kalachnikov
En septembre dernier, l’armée russe avait abandonné ses commandes de l’AK-74. La nouvelle version pourrait changer la donne, malgré les critiques qui évoquent une mise à jour purement cosmétique. Le vice-premier ministre Dmitry Rogozin, en charge de l’industrie de défense, a ainsi annoncé que les discussions avaient été réactivées avec le ministère concerné par de futures acquisitions.
© Kalachnikov ?
Derrière le réarmement russe se cache cependant un autre enjeu pour la Kalachnikov. Le fusil est, certes, un best-seller, mais il est aussi le plus copié au monde. Les AK-47 ou 74 qui crachent leurs rafales aux quatre coins de la planète, de la jungle colombienne aux contreforts de la frontière afghano-pakistanaise, en passant par les cités marseillaises, comme hier encore, ne sont pas tous de fabrication russe. Cela irrite l’industrie locale. Et le vice-premier ministre Rogozin – également ambassadeur de la Russie auprès de l’OTAN – de prendre fait et cause pour la "Kalach".
Malheureusement, beaucoup de pays n’acceptent toujours pas le copyright russe sur la Kalachnikov, particulièrement en Europe de l’Est [et notamment la Bulgarie, ndlr]. La Kalachnikov n’est pas seulement un fusil, c’est aussi une marque russe. Nous devons aujourd’hui travailler ensemble, avec les forces armées, afin de faire respecter notre droit de propriété."
Selon Izhmash, le producteur de l’AK, seulement 10 à 12% des Kalachnikovs vendues chaque année sont d’origine russe. Soit près de neuf fusils sur dix commercialisés sans licence, et produits dans une quinzaine de pays dans le monde. Un manque à gagner de quelque six milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) pour la Russie, selon les experts. La nouvelle version doit être l’occasion pour la Russie de contrôler davantage ses exportations.