Le parlement européen va-t-il rejeter l'ACTA ? L'avenir d'un internet libre est en jeu, affirment les associations hostiles à ce traité. La mobilisation des internautes a, au moins, fait prendre conscience aux eurodéputés de l'importance de leur vote.
S'il existait un prix de l'impopularité des traités internationaux, ACTA serait sans nul doute sur le podium. Désormais connu même des internautes les moins engagés, l'Accord commercial anti-contrefaçon tenait la vedette cette semaine au Parlement européen.
Mardi, des représentants de l'organisation internationale Avaaz ont remis une pétition invitant les eurodéputés à "défendre un Internet libre et ouvert et à refuser de ratifier l'Accord commercial anti-contrefaçon qui l'anéantirait". Lancée fin janvier, elle compte déjà plus de 2,4 millions de signatures.
Avaaz espère passer le cap des 3 millions avant le très attendu débat au Parlement, débat qui a été renvoyé dans l'attente du jugement de la Cour européenne de Justice sur la compatibilité du traité avec les droits fondamentaux de l'UE.
"Tsunami" anti-ACTA
Critiquée par les militants anti-ACTA comme une tentative de désamorcer la controverse, la décision de la Commission de saisir la Cour a aussi engendré une opportunité, estime Jérémie Zimmermann, cofondateur et porte-parole de La Quadrature du Net.
A Bruxelles pour cette "semaine ACTA", il s'explique: "On pourra mettre ce temps à profit. La commission ITRE (Industrie, recherche et énergie, chargée de formuler une recommandation sur le traité, ndlr) du parlement aura, par exemple, le temps de faire une étude d'impact économique. Mais surtout, il faudra conserver l'énergie suscitée par ce débat, la canaliser et faire en sorte qu'elle ne se dissipe pas".
Un des aspects les plus frappants de cette affaire est, justement, le degré de mobilisation de l'opinion publique, avec notamment des manifestations anti-ACTA partout en Europe (voir carte). Zimmermann s'avoue surpris:
"Cela fait quasiment trois ans qu'on prépare le terrain – qu'on 'wikifie' ACTA dans l'attente du grand débat – mais, pour être franc, on ne s'attendait pas à cet ordre de magnitude. On est en train de surfer sur un tsunami!"
Ce tsunami, il faudra aussi réussir à le diriger sur d'autres cibles, moins "illustres" qu'ACTA mais dont l'impact sur la vie des européens est bien plus significatif: la directive IPRED (sur l'application des droits de propriété intellectuelle) et la directive "2001/29/CE", mieux connue sous l'acronyme anglais EUCD (European Union copyright directive).
Acta, est "ce qu'un policier est à la loi"
Si la révision de la première a été officiellement annoncée par la Commission, qui vient de publier une nouvelle feuille de route, le sort de la directive sur les droits d'auteur est moins clair. Adopté en 2001, ce texte aurait dû être évalué tous les trois ans à partir de 2004. Évaluation que l'on attend toujours…
Or le 11 janvier, dans une communication concernant le commerce électronique, la Commission s'est engagée à réviser l'EUCD.
C'est "un risque et une opportunité", estime un expert de télécommunications ayant participé aux négociations d'ACTA. Il est aujourd'hui plutôt désabusé. Selon lui, ACTA est aux directives européennes et aux accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) "ce qu'un policier est à la loi".
Décrocher un standard
Tout en jugeant simplifiées et alarmistes les opinions qui circulent sur le traité, il reconnaît que cet accord a représenté un "gâchis de ressources, qui auraient pu être employées dans le débat fondamental: au lieu de donner plus de pouvoirs au policier, il faut adapter la loi à la demande. On continue à renforcer la protection de la propriété intellectuelle, alors qu'il faudrait la rendre plus flexible et l'adapter au monde qui change".
ACTA serait donc inoffensif? "Il ne changerait rien pour les pays signataires, nous assure-t-il, mais aurait des retombées négatives sur les pays non-signataires". Si jusqu'à maintenant les accords internationaux concernant la propriété intellectuelle devaient respecter les principes établis par le traité ADPIC de l'OMC (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), les promoteurs d'ACTA espéraient en faire "le nouveau standard". Or il est beaucoup plus détaillé et pose plus de conditions que l'ADPIC:
En cas d'entrée en vigueur de l'ACTA, tout pays non signataire voulant faire un accord de libre échange avec l'Union européenne devrait remplir beaucoup plus de conditions, car l'ACTA deviendrait le standard à respecter.
"L'arrogance des élus amplifie la réaction citoyenne"
ACTA devrait donc être attaqué sous un angle politique, souligne l'expert, car il s'agit, avant tout, d'un "geste de prévarication" des industries et des gouvernements des pays riches sur les pays en voie de développement et sur des puissances montantes comme la Chine et l'Inde.
Quant à la révision de la directive européenne sur le droit d'auteur, "le risque est qu'elle porte à un nouveau tour de vis" si les grandes industries font prévaloir leurs intérêts. "Mais elle pourrait être aussi une opportunité pour créer une vraie distinction entre usage privé et commercial des œuvres".
C'est là que le "tsunami" décrit par Zimmermann peut jouer un rôle essentiel. "Il est difficile de prévoir ce qui arrivera, les choses peuvent changer cent fois dans les prochains mois", reconnaît-il. "Mais je suis ces sujets de près depuis dix ans, et je constate que l'attention et la prise de conscience sur toute une série de dossiers (neutralité du net, filtrage, droit d'auteur) ne font qu'augmenter.
D'autant plus que les responsables politiques, n'étant pas habitués à être scrutés de si près sur des sujets jugés techniques, se sont jusqu'à maintenant montrés incroyablement arrogants. Et ça, c'est un cadeau des dieux",
se réjouit-il,
car leur arrogance multiplie l'amplitude de la réaction citoyenne. On n'aurait pas pu demander mieux!".