Crise grecque : les fausses bonnes nouvelles
L’accord sur la restructuration de la dette publique grecque ne règle fondamentalement rien. C'est une condition nécessaire, mais non suffisante, au redressement économique de la Grèce.
1/ La restructuration ne règle pas le vrai problème de la Grèce, à savoir son manque de compétitivité
La restructuration de la dette grecque, qui était actée depuis juillet 2011 (à l’époque, on évoquait une décote de 21%), a abouti à un accord définitif le 21 février 2012 (décote de 53,5%). Cet accord a été approuvé par plus de 75% des créanciers privés le 9 mars. L’échange de dette va donc avoir lieu, aboutissant à l’effacement de plus de 100 milliards de dette publique (soit 50% du PIB grec).
Ce dénouement était attendu depuis si longtemps. Toutefois, il ne faut pas s’y tromper : la restructuration est une condition nécessaire mais non suffisante au redressement économique de la Grèce.
Rappelons que:
- Le pays est incapable de revenir sur les marchés d’ici 2015
- Son ratio de dette publique sur PIB ne fait que revenir à son niveau de 2007
- Les perspectives de croissance du PIB sont noires
- Le climat social explosif fait le jeu de partis extrémistes qui pourraient percer lors des prochaines élections générales et faire pression pour qu’une nouvelle restructuration s’organise…
La Grèce ne peut renouer avec la croissance à moyen-long terme que si elle se dote enfin d’une véritable administration fiscale, lutte contre la corruption, élimine les rentes et libéralise son économie. Ce sont donc autant les statistiques de finances publiques que les grands indicateurs de gouvernance économique, qu’il faudra surveiller dans les mois et les années à venir.
2/ Le déclenchement des contrats d’assurance sur les CDS grecs par l’ISDA est un trompe-l’œil
Le vendredi 9 mars, dans la soirée, l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association) a décidé que l’accord sur l’échange de dette grecque constituait un "évènement de crédit" déclenchant l’activation des CDS (Credit default swaps). Cette annonce positive devrait logiquement rassurer la communauté des investisseurs. Si une restructuration de dette avec une décote de plus de 50% n’est pas un évènement de crédit, que faut-il alors ?!
A y regarder de plus près cependant, tout n’est pas aussi simple. En effet, la décision de l’ISDA est liée à l’annonce du gouvernement grec de l’activation des clauses d’actions collectives (CAC) qui obligent les créanciers récalcitrants à participer à l’échange de dette. Si la Grèce n’avait pas agi ainsi, il n’y aurait pas eu d’évènement de crédit.
Le marché des CDS souverains ne sort donc pas indemne de cette affaire. Certes, il n’y a pas forcément de regret à avoir, compte tenu du manque de transparence de ce marché. Mais les conclusions que tout investisseur avisé devrait tirer sont les suivantes. Vu que les conditions permettant le déclenchement des CDS sont trop réduites et protègent insuffisamment les détenteurs de CDS souverains, la meilleure façon de "pricer" le risque souverain consiste, tout simplement, à revoir (à la hausse) les taux d’intérêt appliqués aux Etats sur le marché primaire. Joyeuse perspective pour l’Espagne…
Force est de constater que les principaux engagements pris par les dirigeants européens depuis l’hiver 2010 n’ont pu être tenus.
D’abord, la Grèce est bien tombée en défaut de paiement, aussi bien au sens des agences de notation que de l’ISDA. Ensuite, les CDS ont bien été déclenchés.
Enfin, le problème grec n’est en rien résolu : il faut s’attendre à une nouvelle restructuration et/ou à une sortie de la zone euro dans les prochains mois.
Economiste et consultant indépendant, Norbert Gaillard a publié plusieurs articles de recherche sur la notation financière et la dette souveraine. Il est l’auteur de l’ouvrage « Les agences de notation » (collection Repères, éditions La Découverte, 2010). Il vient de publier le livre "A Century of Sovereign Ratings" (Springer, New York, 2011).
Cet article a également été publié sur son blog des Echos.