Comment expliquer la propension des mouvements populistes européens à se péoccuper du bien-être animal et de l'écologie? La filiation avec une 'écologie nazie' mise en oeuvre dans les années 30, répondent certains. N'est-ce pas plutôt le énième avatar du rejet de l'autre, métaphorisé par la défense d'un environnement européen purifié.
Si Marine Le Pen dénonce l'abattage rituel et la viande "halal", ce n'est évidemment pas une quelconque préoccupation électorale ou idéologique, encore moins une réaction xénophobe : la candidate du Front National pense avant tout au bien-être animal !
Elle n’est pas la seule. Du Parti pour la Liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas à la Ligue du Nord en Italie, en passant par le Vlaams Belang en Belgique ou les Sverigedemokraterna, les "nationaux-démocrates" suédois, c’est toute la droite radicale – voire néo-nazie – européenne qui se préoccupe du sort des animaux.
Une attitude paradoxale? Un mariage contre-nature? Ou une tradition initiée par Adolf Hitler?
Le mythe d'Hitler ami des bêtes
En 1992, l’année du Sommet de Rio, Luc Ferry, le philosophe libéral, qui n’est pas encore ministre, publie Le Nouvel Ordre écologique, ouvrage très médiatisé et couronné du prix Médicis. Il s’attarde longuement sur la "législation écologiste" mise en œuvre en Allemagne dès 1933, en faisant de ces lois allemandes un corpus précurseur, non seulement de la défense des animaux, mais surtout une des racines de "l’écologie profonde" et des idées du philosophe allemand Hans Jonas.
A partir du livre de Ferry se développera un véritable mythe de la paternité nazie de la protection animale. Or, s’il est indéniable que l’écologie profonde hérite d’idées romantiques et conservatrices sur l’homme en tant que partie de la nature, la thèse d'Hitler père du bien-être animal ne résiste pas à l’examen de l’histoire.
L’historienne française Élisabeth Hardouin-Fugier, dans un texte publié aux éditions Tahin Party, relativise la portée de cette législation nazie : promulguée le 24 novembre 1933, la loi sur la protection animale précise "qu’il est interdit de tourmenter inutilement un animal ou de le maltraiter brutalement".
Pourtant, les nazis n’hésiteront pas à exterminer les chats, chiens et autres animaux de compagnie des Juifs, perpétrant en marge de la Shoah, un massacre systématique d’animaux domestiques dont peu d’historiens ont rendu compte.
Alors que Ferry présente cette loi comme émanant d’Adolf Hitler "qui en faisait une affaire personnelle", l’historienne rappelle qu’en réalité, les nazis ont simplement repris à leur compte un travail législatif antérieur, effectué par l’ensemble des sociétés de protection animale sous la coordination du juriste Fritz Korn. Hitler, à son habitude, a signé la loi après en avoir lu un bref résumé…
L’historienne replace cette législation dans son contexte historique : elle faisait partie d’un "torrent législatif" visant à contrôler tous les aspects de la société. Le cabinet d'Hitler fournit à lui seul pour les onze mois de pouvoir 2839 pages de textes législatifs ! La propagande de Goebels se charge ensuite de présenter ces travaux comme "une preuve du haut degré de civilisation de l’Allemagne nazie", selon le mot de Heinrich Himmler, lui-même ancien éleveur de poulets en batteries…
En France, une législation dès 1850
En France, les vrais amateurs d’animaux n’ont pas attendus l’avènement du nazisme pour se préoccuper du sort de leurs compagnons : le 25 décembre 1845, le docteur Etienne Pariset crée la Société Protectrice des Animaux. Au même moment, Victor Hugo est le président de la Ligue antivivisectionniste française.
Dès 1850, le député Jacques Delmas de Gramont, fait voter une loi punissant d'une amende de un à quinze francs, ainsi que d'une peine de un à cinq jours de prison, "les personnes ayant fait subir publiquement des mauvais traitements aux animaux domestiques".
Quant à la notion de "bien-être animal", il semble qu’elle soit mentionnée pour la première fois dans la législation européenne, notamment dans le Traité d’Amsterdam qui contient un "Protocole sur la protection et le bien-être des animaux".
Une " hideuse cruauté "
Petit tour des partis et mouvements des droites radicales en Europe. Le Fremskrittspartiet (Parti du Progrès) norvégien, dont Anders Behring Breivik, le tueur d’Oslo, a été membre, n’a rien à dire sur le sujet. Pas un mot sur le bien-être animal dans son programme. Par contre, l’abattage "halal" est décrit dans l’un des articles du site comme "un mauvais traitement bestial" destiné "à satisfaire les musulmans". Ceux-ci, bien entendu, veulent imposer la charia en Norvège!
Le PVV de Geert Wilders (Pays-BAs) consacre une page sur 60 de son programme à la protection animale. Ceux qui maltraitent les animaux doivent être sévèrement punis. Le programme précise : "pas d’activisme pro-animaux, mais un amour sain des animaux" – p. 53).
Cette préoccupation est sans doute due à Dion Graus, député PVV dont l’amour des animaux est quasiment légendaire aux Pays-Bas. La journaliste Karen Geurtsen, qui a enquêté en sous-marin au sein du PVV pendant plusieurs mois, raconte dans son livre qu’elle devait ouvrir la vitre de la voiture de Graus tellement l’odeur de ses innombrables animaux était irrespirable.
Les Sverigedemokraterna – Démocrates suédois, parti d’extrême-droite pur et dur, contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, et qui revendique 6.000 membres – sont-ils en prise directe avec le QG de campagne de Marine Le Pen ? On pourrait le penser à la lecture de l’article qui figure en tête de leur site Internet : "Stoppa kött från medvetet djurplågeri" qu’on pourrait traduire par "Stopper la viande produite avec une cruauté consciente".
Il s’agit d’un article consacré à l’abattage halal qui expose la souffrance et l’angoisse vécue par l’animal au moment où on lui tranche la carotide. Il s’agit d’une "hideuse cruauté", une "attitude dégoûtante très éloignée de la conception générale suédoise du bien-être animal". Et le parti de proposer la création d’un corps de police spécialement dédié à la maltraitance animale. Il faut préciser que depuis quelques années, les mutilations sauvages d’animaux, des chevaux en particulier, ont connu une augmentation spectaculaire, ce qui en fait un sujet particulièrement sensible pour les Suédois.
Ecologie nationaliste et islamophobe
Et en France ? La France a aussi ses droites radicales écologiques, notamment la droite identitaire, représentée par exemple par le Bloc identitaire ou la Maison commune. Cette dernière est une "organisation politique naissante présidée par Laurent Ozon" comme le précise le tout nouveau site de l’association.
Or, Laurent Ozon, a été pendant 7 mois le pilote du comité d'action présidentielle (CAP) "Ecologie" du Front National de Marine Le Pen. Avant de claquer la porte et de s’en aller créer un nouveau mouvement correspondant mieux aux aspirations d’un intellectuel qui se dit "néo-païen, essentialiste et européen".
Mais "européen" selon l’idéologie du GRECE, ce think-tank de la nouvelle droite dont Alain de Benoist est le représentant le plus connu. Un héritage dont se revendiquent les partis populistes de droite comme le Parti du Peuple Danois ou le PVV de Geert Wilders : une conception de l’Europe comme entité culturelle qu’il s’agit de préserver contre les influences extérieures.
Durs, mais si bons et si respectables
Pour Maison commune, l’écologie est une dimension de la préservation du territoire national ou européen. Marine Le Pen et les autres populistes européens sont, sans doute, plus proches de cette conception de l’espace national, y compris culturel, que de la vision de la SPA ou d’un Victor Hugo…
L’instrumentalisation de l’amour des animaux à des fins de propagande ne doit pas non plus être négligée : tous ces partis consacrent évidemment davantage d’espace et d’énergie aux thèmes sécuritaires et au durcissement des politiques migratoires qu’à la souffrance animale.
Celle-ci peut ne constituer qu'un attrape-électeur de plus dans un arsenal destiné à lisser l’image de respectabilité de ces partis. Un argument que la posture de "victime de la diabolisation par les médias" vient compléter merveilleusement. "Nous sommes si bons et pourtant, les médias ne nous aiment pas", peut-on lire en filigrane des discours lepénistes, père et fille confondus…