L'étude fait mouche. Une nouvelle expérience, publiée dans la revue Science, révèle que chez les mouches drosophiles, les mâles repoussés sexuellement par les femelles sombrent dans l'alcool. Ces travaux ouvrent de nouvelles pistes - encore lointaines - pour le traitement de la dépendance chez l'homme.
La mouche a raté le coche. Elle n'a pas trouvé de partenaire pour se reproduire, tourne en rond et, mouchée, se met à boire pour noyer sa frustration.
Des scientifiques de l’université de Washington ont réalisé une expérience consistant à placer des mâles dans un récipient où se trouvaient des mouches femelles fécondes, puis dans un autre où elles s’étaient déjà accouplées. Ces dernières refusant toute nouvelle avance. Le résultat de leurs recherches vient d'être publié dans la revue Science.
Les différents mâles avaient ensuite le choix entre deux types de nourriture, l'une habituelle et l'autre avec 15% d'alcool. Ceux qui avaient été repoussés sexuellement se sont jetés sur le liquide alcoolisé, en absorbant de grandes quantités. N'allez plus dire qu'on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre !
Cocktail chimique dans le cerveau
Les drosophiles frustrées présentaient également des taux bien moins élevés d'un neurotransmetteur appelé NPF (neuropeptide F). Or, cette substance présente dans le cerveau de la drosophile augmente et diminue en fonction de la satisfaction que l'insecte ressent.
Cela nous amène à penser que le cerveau de la mouche – et sans doute aussi d'autres animaux ainsi que le cerveau de l'homme – possède une sorte de système pour contrôler leur niveau de récompense interne, et que, quand le niveau de récompense interne est régulé à la baisse, il sera suivi par un comportement destiné à le restaurer [en l'occurence, boire de l'alcool],
explique à la BBC Shohat–Ophir, chercheuse à l'Institut médical Howard Hughes de Virginie (Etats-Unis).
Espoirs de traitement
Fine mouche, les chercheurs ont fait le rapprochement avec un neurotransmetteur similaire, le neuropeptide Y ou NPY, présent chez les humains – ce qui pourrait ouvrir la voie à de nouveaux traitements contre la dépendance à l'alcool ou à d'autres drogues.
Si les neuropeptides Y s'avèrent bien jouer un rôle déterminant dans l'état psychologique conduisant à abuser de l'alcool et des drogues, on pourrait alors mettre au point des thérapies neutralisant les récepteurs de cette molécule"
estime Ulrike Heberlein, professeur d'anatomie et de neurologie à l'Université de Californie à San Francisco et principal auteur de ces travaux. Il précise que des essais cliniques sont en cours pour tester la capacité des neuropeptides Y à soulager l'anxiété et d'autres troubles psychologiques, aussi bien que l'obésité.
Verre à moitié vide
Un tel lien entre le niveau de NPY et la consommation d'alcool avait déjà été établi chez les souris. D'autres études ont également montré que les rats ou les singes boient plus après des périodes d'isolement.
[Cette nouvelle étude] implique que c'est ce système qui se détraque dans la dépendance, et qu'il est très sensible au stress. Par exemple, après avoir perdu un être cher, ou à la fin d'une relation, vous devenez dysphorique, votre taux de NPY descend, ce qui donne une forte envie de boire beaucoup – que vous soyez un mammifère ou une mouche des fruits"
commente pour le New York Times, George Koob, professeur de neurobiologie et d'addictologie au Scripps Research Institute de La Jolla, en Californie.
Toutefois, dans un article accompagnant l'étude de Sciences, Zars Troy, de l'Université du Missouri, écrit que
la tentation d'appliquer à l'Homme les résultats des mouches est difficile à réprimer, mais leur pertinence pour le comportement humain n'est évidemment pas encore établi."