La ville native du dictateur portugais veut lancer une marque de vin nommée "Mémoires de Salazar". Objectif? Promouvoir la région viticole auprès des touristes. Entre nostalgiques du passé et historiens alarmés, la banalisation de la dictature guette le Portugal.
Santa Comba Dão est au cœur du vignoble de l’AOC Dão, un vin, rouge principalement, corsé et tannique. Longtemps, la région viticole a produit du vin en masse, avant de soigner la vinification ces dernières années, et d’élaborer des jus nettement moins rugueux.
Mais, Santa Comba Dão possède une autre spécialité, celle d’être la patrie d’Antonio Oliveira de Salazar, le dictateur qui a gouverné au Portugal entre 1932 et 1968. Sa mort n’empêchera pas la dictature de "l’État Nouveau" qu’il a mis en place, avec son cortège d’arrestations, de tortures, d’emprisonnement, de censures et de persécutions, de se maintenir jusqu’à la révolution des œillets, en avril 1974.
©opyright Salazar?
A Santa Comba Dão, le maire veut ni plus ni moins pouvoir utiliser le nom du dictateur à des fins commerciales. João Lourenço se définit comme un pragmatique:
Ce n’est pas l’idéologie que je veux vendre, mais du vin, seulement du vin.
Et le maire de raconter longuement les usines qui ferment, le chômage qui grimpe en flèche, la misère qui gagne du terrain, et l’émigration à nouveau.
Ce n’est pas la première fois que Santa Comba Dão défraie la chronique avec Salazar. Il y eut d’abord un projet de Centre d’Études de l’État Nouveau, aux objectifs nébuleux. Puis un musée Salazar, à Vimieiro, près de la petite ville, à l’emplacement même de la propriété de la famille Salazar.
Aujourd’hui, les bâtiments sont en ruine, et la propriété en jachère. Dans les dépendances se cachent encore une vieille voiture – la municipalité affirme qu’elle appartenait à Salazar, mais rien n’est sûr – et dans un cellier, quelques bouteilles poussiéreuses. Salazar produisait du vin sur ses terres, pour sa consommation personnelle et celle de sa famille.
Du saucisson aussi
En 2007, l’imminence de la création du Musée Salazar avait failli provoquer une bataille de rue, entre membres de l’URAP, l’Union des Résistants Anti fascistes, et une centaine de CRS dépêchés sur place pour empêcher des affrontements entre quelques nostalgiques et membres de l’extrême droite.
Jõao Lourenço, l’édile de Santa Comba Dão, là encore se défend de vouloir faire l’apologie du dictateur.
Il rappelle l’existence d’autres lieux de mémoire, comme Auschwitz, pour ne prendre que cet exemple. Son problème est autre: trouver l’argent nécessaire pour raser les bâtiments en ruines de la propriété Salazar, exproprier le descendant direct, et construire un centre d’études.
L’agence de développement local, propriétaire de la marque "Mémoires de Salazar", aura pour objectif de vendre les produits régionaux, vin et saucissons, pour faire rentrer l’argent dans les caisses. Une simple opération marketing en somme.
Je ne boirai pas de ce vin là
La promotion de la "nostalgie Salazar" fait grincer les dents de la cellule du Bloc de gauche (BE, extrême gauche) de Santa Comba Dão.
Essayer de créer des pèlerinages consuméristes pour acheter des produits 'Salazar', c’est tout simplement une tentative de blanchir l’histoire. Sans oublier qu’attirer les rumeurs sous les pires prétextes risque de produire une réaction inverse et transmettre une image négative de la région,
déclare le BE dans un communiqué.
Du côté des historiens, derrière l’ironie et le sarcasme, on insiste sur le danger de la banalisation du nom et du personnage de Salazar. Tous, quelque soit leur appartenance politique, souligne la grande différence entre vouloir créer un centre d’études de la période dictatoriale, doté de réels moyens d’investigations, et l’intérêt bassement matériel, feignant d’être à l’abri de toute idéologie, et dont l’objectif serait la dynamique économique d’une région qui se meurt.
Le dictateur mis en bouteille l'été prochain
A Santa Comba Dão, les habitants sont tous déférents à l’égard du chef, né en 1889 à Vimieiro et enterré sous leurs pieds. Le refrain du "c’était mieux avant" – du temps de Salazar -, y est encore très souvent exprimé. Au Portugal, la génération qui a connu l’époque dictatoriale et les guerres coloniales disparait peu à peu, mais cette référence reste encore vivace.
En 2007, un curieux concours intitulé "Les grands Portugais" avait été remporté par… Antonio Oliveira de Salazar, provoquant une nouvelle vague d’indignation. Il suffisait de téléphoner pour indiquer le nom de son choix, un groupe de fanatiques avait su habilement utiliser le téléphone.
Le dictateur devrait être mis en bouteille dès l'été prochain. Pour l'heure, on n'en sait pas plus, et l'on se demande, par exemple, si son portrait figurera sur l’étiquette. Reste à savoir comment un vin doté d'une telle image de marque pourra s'exporter. A Santa Comba Dão, le maire reste imperturbable et hausse les épaules: "l’important est qu’on en parle!".