La Pologne garde la foi dans le gaz de schiste: les concessions de forage couvrent déjà 12% du territoire, et l'exploitation doit démarrer en 2014. Une course effrénée vers l'indépendance énergétique, malgré les zones d'ombres. Un rapport scientifique réévalue ainsi à la baisse les ressources réelles, et donc la viabilité de cet investissement massif.
La ruée vers le gaz de schiste continue en Pologne. Le pays aspire toujours à devenir un eldorado énergétique prospère, et enfin indépendant des livraisons de la Russie et de son ogre Gazprom. Les travaux de forage, initiés au mois de septembre 2011, se poursuivent, sous l’oeil vigilant d’une quarantaine de groupes étrangers et polonais détenant une centaine de concessions pour le gaz de schiste.
Trois siècles d'autosuffisance?
Et ce malgré le rapport de l’Institut national de géologie (PIG), publié la semaine dernière. Ce document évalue les réserves polonaises en gaz de schiste à un grand maximum de 2.000 milliards de mètres cubes. De quoi désillusionner les plus optimistes qui voyaient déjà la Pologne devenir une "deuxième Norvège", avec un potentiel de 5.300 milliards de mètres cubes, comme l’estimait l’année dernière l’agence gouvernementale américaine EIA.
Mais pour le PIG, selon un scénario jugé "le plus probable", les ressources réelles exploitables sont de seulement 350 à 750 milliards de mètres cubes. Cela place toujours la Pologne en tête des pays européens, aux côtés de la Norvège, des Pays-Bas et de la France, mais les réserves suffiraient "à peine" à satisfaire les besoins du pays en gaz pendant 60-70 ans. Une peau de chagrin, au regard des trois siècles d’autosuffisance énergétique que faisait miroiter le scénario optimiste américain.
"Frack you!"
Or, c’est bien le bon exemple des Etats-Unis, où les prix du gaz ont baissé de moitié en quatre ans grâce à l’extraction du gaz de schiste, que le gouvernement polonais et, d’une manière générale, toute la classe politique, agite comme argument massue dans sa campagne en faveur de l’exploitation de ce gaz, en dépit des critiques environnementales en Europe.
En Pologne, ces critiques restent pour le moment timides. Le slogan "Frack you!" (dérivé de 'fracking', le néologisme anglais désignant l'extraction par fracturation hydraulique), qui accompagnait un doigt d’honneur ressemblant à un derrick de forage, a, certes, été déployé sur une banderole devant le nez des décideurs mastodontes de l’énergie et des représentant de la Commission européenne, réunis en novembre à Varsovie lors du Shale Gas World Europe 2011. Mais la formule n’a pas vraiment mobilisé l’opinion publique ni les agriculteurs.
Ces derniers sont pourtant de plus en plus nombreux à voir pousser les tours de forage dans le voisinage de leurs exploitations. Les concessions couvrent déjà 12% du territoire national polonais. Dans sa croisade contre le gaz de schiste, José Bové, venu à deux reprises en Pologne l’année dernière, est passé plutôt inaperçu.
Antidote contre le charbon et le chômage?
Le Premier ministre libéral Donald Tusk entend donc toujours démarrer l'exploitation commerciale des gisements de gaz de schiste en Pologne à partir de 2014. Et le vice-ministre de l’Environnement, l’ancien ministre dsce l’Economie Piotr Wozniak, a réaffirmé après la publication du rapport du PIG:
Nous avons trouvé le gaz de schiste, il est temps maintenant de procéder aux investissements".
La perspective de se libérer du joug énergétique russe reste l’argument majeur des partisans du gaz de schiste. La Pologne consomme 14% de son énergie sous forme de gaz dont elle importe près des deux tiers de Russie. Les pro-gaz de schiste font aussi miroiter devant les écologistes et la Commission européenne la sortie du tout charbon polluant, dont provient 95% de l’électricité.
Et les arguments économiques ne manquent pas: le gouvernement envisage même, dès à présent, un système fiscal particulier pour l'exploitation du gaz de schiste, qui alimenterait un fonds spécial de retraite. D’ici là, l’extraction du gaz de schiste continuera à créer de nouveaux emplois. Selon les estimations des experts, cette nouvelle branche du secteur énergétique polonais pourrait bientôt employer jusqu’à 100.000 personnes. Les géants de l’énergie, parmi lesquels Chevron, Total ou le groupe polonais PGNiG, offrent aux experts des rémunérations allant jusqu’à 8.500 euros par mois, dix fois le salaire moyen en Pologne.
La Pologne n'est pas l'Amérique
Dans ces conditions, difficile d’imaginer que la Pologne abandonne ses ambitions en matière de gaz de schiste. Les experts, dont la plupart affirmaient, avant même la publication du rapport polonais, que les prévisions américaines étaient surévaluées, estiment, à l’instar de l’agence de notation Fitch, que le jeu en vaut la chandelle. Tout en ajoutant cependant qu’il est encore trop tôt pour prédire l’avenir du gaz de schiste en Pologne.
Sur le plan des crédits, l’exploitation du gaz de schiste reste risquée et demande une très forte dose de capital"
conclut Fitch, soulignant que l’extraction de gaz de schiste en Pologne ne devrait pas entraîner de baisse des prix du gaz pendant les dix premières années. Conclusion pour l’opinion publique: la Pologne n’est pas l’Amérique. Ce qui n’empêche pas les compagnies détenant les concessions et qui se sont engagées à réaliser au minimum 127 travaux de forage d’ici à 2017, à continuer à investir en Pologne, principalement en dollars américains.