Une nouvelle forme d’épargne est disponible pour les économies des citoyens allemands: le 'protestsparen'. Objectif: "changer le monde". Les investisseurs ne toucheront pas d'intérêts, mais ils ne perdront pas non plus d’argent. Mieux, ils financeront la lutte contre la corruption ou des manifestations anti-nucléaire.
Ne nous épargnons pas la protestation, épargnons pour la protestation.
Tel est le slogan de Jörg Rohwedder, le président de la Bewegungstiftung, la "Fondation du mouvement".
Il a en effet lancé en novembre dernier une forme originale d’investissement: le 'protestsparen', soit l’épargne de protestation. L’idée est très simple. Au lieu de laisser fructifier leur argent dans une banque, les citoyens allemands peuvent le prêter à la fondation pour trois, quatre ou six ans.
La somme sera placée dans une banque "éthique et durable" et tous les intérêts reviendront à cette organisation sans but lucratif pour qu’elle finance des mouvements de protestation. A la fin, l’investisseur récupère sa mise de départ.
Beaucoup de gens ne peuvent pas forcément faire de dons. Ils ont une certaine somme de côté mais ils se disent qu’ils pourraient en avoir besoin plus tard, où qu’ils aimeraient la laisser à leurs enfants. Pour eux ce prêt sans intérêt est une bonne forme de participation"
explique Rohwedder.
En politique, pour arriver à ses fins, il faut des moyens
Sa fondation a été créée en 2002 par neuf personnes, qui avaient eux-mêmes été actifs des années durant dans divers mouvements sociaux. Leur expérience leur a appris à quel point le succès d’une action politique dépend des moyens dont elle dispose.
Ils ont donc décidé de mettre leurs moyens financiers à la disposition de ceux qui veulent changer le monde. Dix ans plus tard, la fondation regroupe 130 donateurs et dispose de presque cinq millions de capital. Au cours de ces années elle a donnée plus de 800.000 euros à 80 projets. Leurs thèmes de prédilection: l’environnement, l’égalité, la paix et la protection des données.
Ces mouvements sont très importants pour la démocratie, c’est pourquoi il faut les soutenir. Ils sont nécessaires pour apporter du changement dans une société. Après la catastrophe de Fukushima, si les activistes anti-nucléaire n’étaient pas descendus dans la rue, les centrales continueraient sûrement de se développer dans notre pays.
Selon Rohwedder, les Allemands seraient nombreux à vouloir soutenir ce genre d’actions. "Le problème c’est qu’il y a une telle diversité de mouvements, que bien souvent ils ne savent pas à qui donner." La Bewegungsstiftung résout donc ce problème pour eux. "Nous avons une certaine expertise. Nous pouvons très bien différencier une bonne d’une mauvaise campagne. Et les gens qui nous donnent de l’argent ont confiance en notre capacité à trouver de bons projets à financer."
Sélectionner les "bonnes protestations"
Mais qu’est-ce donc qu’une "bonne campagne" ?
C’est un projet qui met en place les moyens nécessaires pour arriver à son but. Quand on veut s’opposer au nucléaire par exemple, il est important de savoir avant tout à quel niveau sont prises les décisions, pour savoir comment agir.
Autre avantage de la fondation: une action n’a pas besoin d’avoir un nom déjà célèbre pour obtenir des financements. "Il est parfois très dur pour les groupes de protestataires de se faire connaitre et donc de recevoir des dons suffisants." La Bewegungsstiftung a ainsi joué un rôle décisif dans le lancement de certains mouvements.
Elle a ainsi permis au groupe Lobby control, qui milite pour une plus grande transparence en politique, d’ouvrir son premier bureau. "C’est nécessaire pour travailler sur du long terme, mais aussi pour faire des recherches et établir des contacts", assure son président dans une vidéo sur le site de la fondation.
Professionnalisation du militantisme
Ces financements permettent également une certaine professionnalisation de la protestation. Certains de ses bénéficiaires, comme Cécile Lecomte se définissent ainsi comme des "activistes à temps plein". "La fondation me finance et me soutient, ce qui me permet de continuer mon activité", explique cette militante anti-nucléaire qui escalade arbres et centrales pour sauver l’environnement.
Mais protester est-il vraiment un métier en soi ? "Tout le monde peut militer, mais organiser un mouvement requiert parfois des professionnels, assure Rohwedder. Cela n’est pas obligatoire. Le mouvement Occupy, par exemple, s’en passe très bien. Mais pour des manifestations comme celle contre les travaux de la gare à Stuttgart il faut une réelle action continuelle, et donc des professionnels."
Le 'Protestsparen' sera donc un moyen de financer ces professionnels de la contestation. Pour le moment, deux douzaines de personnes ont déjà souscrit à ce modèle d’épargne peu commun. Pas besoin pour cela d’être très riche. La mise minimum est de 3.000 euros. "Nous avons beaucoup de gens qui ne peuvent pas mettre plus. Mais nous avons aussi des personnes qui déposent 20 ou 30.000 euros. Cela va même jusqu’à 100 000 euros", annonce fièrement le président de la fondation.
En retard sur les Etats-Unis
Ce succès n’est cependant pas une surprise. Une première campagne de 'Protestsparen' avait déjà eu lieu en 2005. "Elle ne s’étendait que sur cent jours, et tous les prêts étaient limités à une durée de quatre ans. Nous avons reçu 160.000 euros, sur lesquels nous avons touché 12.000 euros d’intérêts."
Un succès encourageant qui devrait faire des émules selon le chercheur Dieter Rucht. Interrogé par le quotidien Tageszeitung, il assure que ce mode de financement ne va cesser d’augmenter:
Par rapport aux USA nous avons un grand besoin de rattrapage,
estime-t-il.
Et après tout, en ces temps de crise financière, n’est-il pas plus sûr d’investir dans le changement social que sur les marchés ?