Plusieurs membres d’une famille hongroise installée en Ontario ont été condamnés à la prison pour trafic d’êtres humains. Cette histoire d'exclavage moderne est inédite par son ampleur dans le pays. Récit.
"Je m’en fiche qu’ils aient présenté des excuses, ce que je veux c’est récupérer l’argent pour lequel j’ai travaillé vraiment, vraiment dur".
Tamas Miko, jeune immigré hongrois victime d’un réseau de trafic d’êtres humains, n'est pas prêt de pardonner les responsables de l'organisation qui l'ont réduit en exclavage pendant des mois.
Une condamnation historique
Ferenc Domotor, le chef de file de ce réseau criminel en place depuis 2008 en Ontario, a été condamné à neuf ans de prison, la condamnation la plus sévère pour une affaire de ce genre au Canada. Il a plaidé coupable pour association de malfaiteurs, trafic d’êtres humains et fraude auprès des services de l’immigration.
Il était jugé en même temps que son épouse et leur fils aînés, qui ont également été reconnus coupables et condamnés à des peines de prison plus courtes.
Le quotidien canadien The Globe and Mail note que le juge en charge de l’affaire a tenu à souligner l’affront que constituaient ces crimes pour le Canada, pays multiculturel et réputé tolérant.
Ce pays a une longue tradition de respect de la dignité humaine, d’assistance à ceux qui en ont besoin et d’accueil des étrangers. L’esclavage moderne est une infamie et un outrage à nos valeurs les plus fondamentales",
a-t-il déclaré pendant le procès.
L’histoire d’un immigré qui a réussi
Ferenc Domotor aurait pu être un symbole d’une intégration réussie. Propriétaire d’une grande maison en banlieue, il dirigeait sa propre entreprise de construction et élevait ses quatre enfants dans son pays d’adoption.
C’est en 1998 qu’il arrive de sa Hongrie natale en tant que réfugié Rom avec sa famille. Il s’installe alors à Hamilton, une ville industrielle de 500.000 habitants située à l’ouest de Toronto.
Dès l’assouplissement des exigences pour les visas accordés aux Hongrois en 2008, les frères et sœurs et la belle-famille de Ferenc Domotor le rejoignent.
Réseau d’esclavage moderne
C’est alors que commence une vaste opération de trafic d’êtres humains. Grâce à l’aide de complices en Hongrie, la famille Domotor recrute des chômeurs dans la petite ville de Papa, en leur promettant des emplois bien rémunérés et une vie meilleure. Une agglomération de 33.000 habitants dont ils sont eux-mêmes originaires.
Pour Tamas Miko, 22 ans à l'époque, l’offre était alléchante. Après des mois passés à chercher un poste suite à la fermeture de l’usine qui l’employait, le jeune Hongrois est mis en relation avec Ferenc Domotor. Celui-ci lui paye son billet d’avion vers le Canada en août 2009.
A son arrivée, l’épouse de Domotor lui confisque son passeport et il est logé dans la cave de la maison avec six autres hommes. Forcés à travailler sur des chantiers dès l’aube et jusqu’à onze heures ou minuit le soir, ils ne sont nourris qu’une fois par jour et leur travail n’est pas rémunéré.
Je dormais par terre, je ne pouvais pas me doucher pendant des semaines. Je ne faisais que travailler, travailler, travailler…",
a confié le jeune Tamas à la chaîne CBC News.
Exploitation et arnaques en série
Comme si le travail forcé ne suffisait pas, il n’est pas rare que Ferenc Domotor ou des membres de sa famille soient violents à l’égard de leurs "employés" qu’ils insultent, menacent et battent régulièrement. Ils les obligent aussi à faire le ménage dans la maison.
Pour que l’organisation fasse le plus de bénéfices possible, les captifs sont également forcés à réclamer des aides sociales et à ouvrir des comptes bancaires. Leurs cartes de crédits sont alors confisquées par le groupe criminel.
En plus de l’exploitation de leurs esclaves, les Domotor ont un autre passe-temps : retourner les boîtes aux lettres de la Poste canadienne pour voler et encaisser des chèques destinés à d’autres.
La combine mise à jour
En décembre 2009, Tamas Miko dénonce les agissements illégaux de l’organisation à l’un des entrepreneurs pour lequel Ferenc Domotor le force à travailler. Il contacte la police et plusieurs victimes sont emmenées en lieu sûr. Mais ces futurs témoins à charge doivent être déplacés constamment, les Domotor parvenant systématiquement à les retrouver.
Jusqu’en Hongrie, des membres de la famille Domotor font pression sur les proches des victimes, proférant même des menaces de morts pour que les travailleurs forcés ne témoignent pas.
Depuis les inculpations en octobre 2010, douze membres de l’organisation criminelle ont été jugés, et huit ont été reconnus coupables de trafic d’êtres humains.
Les Nations Unies estiment qu’il y a plus de 2,5 million de victimes de trafic d’êtres humains dans le monde, qui sont le plus souvent originaires d’Asie, d’Europe de l’Est et d’Amérique du Sud. Dans un rapport datant de 2010, l’ONU indiquait que les trafiquants européens à eux seuls amassaient quasiment deux milliards d’euros par an.