Les Juifs ne se sentent plus en sécurité en Hongrie. Ont-ils vraiment des raisons de s'inquiéter ? Deuxième partie du reportage de Corentin Léotard sur l'antisémitisme à la Hongroise.
La Hongrie a oublié son passé. Une amnésie qu’avait très brutalement dénoncé l'écrivain Akos Kertész et qui lui vaut aujourd’hui d’être un renégat [lire la première partie de cette enquête publiée hier]. Comme la Hongrie "n'a pas demandé pardon, elle ne recevra pas l'absolution", avait-il écrit.
Après les quatre décennies de blackout mémoriel imposées par le régime communiste post-seconde guerre mondiale, la Hongrie revient peu à peu à elle-même.
L'Holocauste a été "la tragédie de la nation hongroise toute entière", a récemment déclaré le ministre hongrois des Affaires étrangères, János Martonyi, à la cérémonie organisée à Budapest pour le centenaire de la naissance du "Juste parmi les nations" Raoul Wallenberg. Cet homme d’affaires suédois avait sauvé de la déportation plusieurs dizaines de milliers de Juifs hongrois. Arrêté en 1945 par l’Armée rouge, on ne sait toujours pas à ce jour ce qu’il est advenu de lui.
"L'Etat hongrois a été incapable de défendre ses citoyens et, alors qu’il était sous occupation [par l’Allemagne nazie], il a assisté leur mort",
a-t-il ajouté. Les mots sont forts et contrastent avec le peu de contrition dont fait preuve la grande majorité de la population pour le rôle de la Hongrie dans l’Holocauste.
Car si le Suédois Wallenberg mérite le statut de héros, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est encore à ce jour un héros très méconnu. Serait-il le meilleur atout du gouvernement pour balayer toute accusation d’antisémitisme?
Je n'ai pas besoin de prouver que la Hongrie n'est pas un pays antisémite. C’est une insulte. Nous avons un parti d‘extrême-droite qui utilise une rhétorique antisémite. […] Mais ce n'est pas la Hongrie, ce n'est pas l'opinion publique hongroise, et encore moins celle du gouvernement hongrois",
s’est insurgé le ministre des Affaires étrangères, dans The Jerusalem Post, à l’ouverture de la cérémonie."Partout dans le monde, l’holocauste doit faire partie de l’enseignement public", a ajouté M. Martonyi.
"Jour du Souvenir de l’holocauste hongrois"
Mais la Hongrie est loin de donner l’exemple dans ce domaine. La faiblesse de l‘enseignement de l’holocauste est le principal problème pointé par Péter Feldmayer, le président de la fédération des communautés juives de Hongrie.
Il est tout à fait courant de rencontrer des jeunes lycéens et même des étudiants qui ne savent rien, ou presque, de la tragédie qui s’est joué d’octobre 44 à mars 45. Pendant ces quelques mois, l’Allemagne, fatiguée des atermoiements et de la mollesse du régent Horthy sur la "question juive", envahissait le pays et organisait la déportation de plusieurs centaines de milliers de personnes, avec l’aide de ses suppôts hongrois, les Croix Fléchées. Une véritable politique de la "chair brûlée" alors que l’Armée rouge était aux portes de la ville.
Mais cette ignorance a une explication. D'après la politique très libérale qui a prévalu ces dernières années, chaque établissement scolaire a le choix parmi un grand nombre de manuels scolaires d’Histoire. Si certains font de la place à l'étude de l’holocauste, d’autres se contentent d’effleurer le sujet.
Le premier gouvernement Orbán (1998-2002) avait pourtant établi le "jour du Souvenir de l’holocauste hongrois" qui consiste chaque 16 avril, en des programmes éducatifs spéciaux dans les écoles. Il existe également des séminaires pour former les enseignants avec une méthode très performante d’enseignement, mais ils ne sont qu’une minorité à en profiter. Les enseignants préfèrent éviter les sujets sensibles, tout simplement car ils ne savent pas quelle est la "ligne officielle".
"Nous n’avons aucun consensus"
Nous n’avons aucun consensus depuis Trianon, ni sur Horthy lui-même, ni sur notre rôle dans la seconde guerre mondiale, ni sur la révolution de 1956",
déplore János, un jeune de Budapest qui n'a découvert sa judéité qu'à l'âge de 18 ans.
Il rappelle l’antagonisme très profond qu'il existe entre la Hongrie de la terre et une Hongrie des villes. Il s'agit de deux mouvements littéraires qui se sont affrontés dans l'entre-deux guerres pour ressurgir au début des années 1990 dans le débat politique et dont les porte-voix étaient souvent antisémites.
Il se trouve même des gens pour affirmer que le poète hongrois et juif Miklós Radnóti n’a pas été assassiné par les Nazis mais que, bien au contraire, ce sont les bombes soviétiques qui ont empêché les soldats allemands de le conduire à l’hôpital pour y être soigné ! Comment débattre, comment discuter ?",
s’interroge-t-il.
Au lendemain du discours de Daniel Cohn-Bendit au Parlement européen, lui aussi pestait contre les exagérations du député européen. Sans rejeter ses accusations en bloc il s’interrogeait tout de même:
les Juifs ont peur du chemin emprunté par la Hongrie, de ce qu’elle pourrait devenir, c’est peut-être ce qu’il a voulu dire…".
"L’ami juif"
Il a appris à l’âge de 18 ans que la famille de sa grand-mère polonaise avait été décimée pendant la seconde guerre mondiale à cause de son origine juive. "Cela a enthousiasmé le groupe de personnes que je fréquentais à l’époque, Juifs aussi, et j’ai été choqué d’être présenté, suite à cela, aux parents comme 'l’ami juif', car je ne me considère pas comme juif, puisque je ne suis pas religieux et que personne de ma famille ne l’est".
János est représentatif de l’immense majorité des 100.000 Juifs, totalement assimilés, qui portent des noms hongrois, ne parlent pas hébreu et ne sont pas religieux.
Il est à la mode d’être Juif aujourd’hui en quelque sorte. Il existe une petite communauté de jeunes qui réussit très bien, dans les études et au travail et qui essaient d’être de bons Juifs – même si cela ne va pas au-delà de la tradition de Yom Kippour – et surtout qui essaient de le montrer",
ironise-t-il.
Article initialement publié sur le site de Hu-lala.org sous le titre : Les Juifs ont-ils peur dans la Hongrie de Viktor Orbán ? (2/3)