La crise économique, le retour des Albanais immigrés de Grèce et la dureté de la politique de Bruxelles à l'égard des pays en faillite, rien n'y fait. L’Albanie veut toujours rejoindre l’Union Européenne. Reportage à Tirana.
Dans la Rruga Murat Toptani, des bornes customisées aux couleurs de l’Union européenne décorent le passage piéton du centre de Tirana. Dans les nombreux bâtiments institutionnels de la ville aussi, le drapeau albanais est toujours accompagné du drapeau européen.
Au centre de la ville, il est difficile de ne pas voir la bannière bleue étoilée qui recouvre le bâtiment de l’EU Info Centre (photo). On s’y croirait presque. La ville est prête à être candidate, et ce, depuis avril 2009 lors du dépôt de candidature.
Pourtant, l’Albanie aurait quelques bonnes raisons d'abandonner ce long processus d'intégration européenne. Son voisin, la Grèce, n’est pas un modèle de réussite. La crise économique a dévasté le pays. Et depuis quelques mois, la majorité des Albanais quittent le navire pour retourner sur leur terre natale, preuves de l'échec de l’Etat grec et de l’Union européenne. Mais rien n’y fait, l’Albanie se bat toujours pour obtenir le statut de candidat officiel.
La Grèce sous le joug de Bruxelles pour modèle
Car, selon Gjergi Filipi, directeur du centre d'études des politiques publiques Agenda Institute, l'Albanie ne sait toujours pas se gouverner. Après des dizaines d'années de communisme, Gjergi Filipi estime que sans l’aide de l’Union européenne, son pays n’arrivera pas à se sortir de la situation politique actuelle.
L’Albanie fait face à un vrai défi, celui de la construction de sa société. C’est justement parce que l’Albanie n’a pas d'expérience de gouvernement, qu’il est nécessaire pour notre pays d'accéder au statut de pays membre."
explique-t-il.
Quand ce chercheur regarde du coté de la Grèce et voit les stricts directives de Bruxelles imposées au pays pour lancer des reformes, il souhaite paradoxalement encore plus faire adhérer l’Albanie à l’Union européenne.
C’est cela qu’il faut pour l’Albanie, des directives de gouvernance qui nous aideront à sortir le pays de sa faible démocratie",
explique le chercheur, un europtimiste invétéré.
Intégrer l'UE pour pouvoir partir
Mais cette candidature aide également les politiques albanais à se déculpabiliser de la situation économique et sociale du pays. Pour Blerina Berderi, directrice d’un restaurant à Tirana, "le gouvernement albanais s’excuse de la situation du pays en expliquant qu’une fois dans l’Union européenne, la situation évoluera pour le mieux".
Selon une étude de 2009 menée par l’Albanian Institute for International Studies (AIIS), 32.1% des personnes interrogées pensent que les Albanais accéderont à un niveau de vie plus élevé. Les hommes politiques engendrent ainsi l'espoir d'une vie meilleure qui est loin d'être réalisable pour les années à venir.
Les hommes politiques nous donnent de l’espoir en laissant croire à la population albanaise que tout ira mieux pour le pays une fois que nous serons dans l’Union Européenne. Mais quand est-ce que cela va arriver ?,
s'énerve-t-elle.
Mais pour cette jeune albanaise, si ses compatriotes veulent absolument intégrer l’UE, c’est pour une autre raison: l'envie de partir. Dans la même étude entreprise par l’AIIS, la liberté de circulation de circulation vient en tête des attentes des albanais (36.5%).
Les Albanais ne veulent plus être discriminés. Ils veulent être reconnu européens avec un passeport qui permettra de voyager et de travailler comme ils le souhaitent,
commente Blerina Berderi, soulignant le fort sentiment d’exclusion qu'éprouve la population albanaise face aux autres pays membres.
L'Europe, argument de campagne pour les présidentielles
L'élection présidentielle devrait se tenir en Albanie au cours du mois de juillet 2012. Et quelle meilleure nouvelle à annoncer pour le premier ministre albanais Sali Berisha, que celle d'un bilan positif sur le processus d’obtention du statut de candidat officiel ?
Le gouvernement annonce déjà une prochaine victoire avec l’acquisition du statut de candidat officiel. Pour le journaliste du Tirana Times, Ervin Lisaku, le gouvernement pense d’abord à son bilan avant de penser aux avantages pour l’Albanie.
S’il arrive à obtenir le statut de candidat officiel, le parti démocrate au pouvoir pourra l’utiliser comme argument, démontrant les efforts du gouvernement, et faciliter sa victoire aux prochaines élections,
souligne le journaliste, spécialiste des questions politiques et économique.
Selon lui, l’Albanie n’est pas prète de rentrer dans le cercle fermé des 27. Le pays devra atteindre au moins 2020, voir quelques années de plus. Mais avant cela, il faudra que l’Albanie fasse de nombreux efforts, et pas seulement dans le cadre de la lutte contre la corruption.
Alors que le gouvernement du premier ministre Sali Berisha annonce un bilan positif sur le dossier de la candidature du pays, il fait en même temps subsister une loi qui donne la possibilité d’acquérir la nationalité albanaise à partir du moment où l’on investit plus de 100 000 € dans le pays.
On peut ainsi douter de la sincérité du gouvernement. Mais pas celui de l’espoir de la population.