Le taux record d'abstentions au 1er tour des législatives françaises s'inscrit dans un mouvement de fond en Europe. Même si le phénomène est moins marqué qu'en France, l'abstention gagne du terrain lors des élections nationales dans plusieurs pays d'Europe.
En France, depuis la réduction de la durée du mandat présidentiel à 5 ans en 2002 et la décision de Lionel Jospin, en accord avec le président Jacques Chirac, d'organiser l'élection des députés dans la foulée de la présidentielle, la participation à ce scrutin a chuté.
L'abstention aux législatives a ainsi stagné au premier tour à 35,6% en 2002 et à 39,7% au second tour, à 39,6% en 2007 au premier tour et 40% au second, avant d'atteindre le taux exceptionnel de 42,77% au premier tour ce dimanche.
Un taux historique jamais atteint depuis les premières élections de la République française en 1876, qui relance le débat sur le calendrier électoral.
La tenue des élections législatives quelques semaines seulement après le second tour des élections présidentielles, avec l'épée de Damoclès d'une cohabitation gauche-droite entre le chef de l'Etat et le gouvernement, a un effet pervers. Nombre d'électeurs semblent considérer qu'une majorité va entériner une nouvelle fois dans les urnes le choix des présidentielles. Le résultat leur semble joué d'avance, ce qui engendre cette démobilisation civique.
Une démobilisation qui ne s'arrête pas aux frontières de l'Hexagone.
Désenchantement démocratique à l'Est
Vingt ans après la chute du communisme, la Roumanie voit son taux d’abstention augmenter de 10% à chaque élection. En 1992, la première élection présidentielle avait réuni 75% de la population. En 2008, seuls 39,2% des Roumains se sont déplacés aux urnes. La faiblesse des clivages entre les grandes formations politiques, l’absence d’enjeux et la corruption son parmi les facteurs les plus souvent évoqués pour expliquer l’augmentation constante de l’abstention. Pour l'enrayer, le vote pourrait devenir obligatoire.
Le voisin hongrois est plus fidèle aux urnes. L’abstention a oscillé entre 25% et 45% lors des dernières élections législatives qui permettent d’élire les 386 députés nommant le chef du gouvernement. En 2010, le taux de participation de 64,2% au premier tour des législatives est tombé à 46,6% au second tour.
Dans les autres ex-pays de l'Est la participation ne dépasse pas les 60% pour les élections majeures et tombe à moins de 50% pour les scrutins locaux.
En Belgique, un vote obligatoire
En Belgique et au Luxembourg, le vote est obligatoire sous peine d’amendes graduées. Aux élections législatives, principal scrutin, les taux d’abstention sont en moyenne de 9% pour les Belges et entre 0% et 8% pour les Luxembourgeois. Ce chiffre stable depuis vingt ans comprend les votes blancs, dissociés des votes nuls.
En Italie et en Grèce le vote est également obligatoire, mais les sanctions ne sont pas financières. L’absence aux urnes peut réduire ses chances d’obtenir un emploi administratif, un permis de conduire ou un passeport. Ces barrières n'empêchent pas un taux d’abstention de 20% à 25% selon les élections.
En Scandinavie, des élus proches des citoyens
En Scandinavie le taux d’abstention aux élections parlementaires est l’un des plus faibles d’Europe.
En Suède, seul pays au monde à reconnaître le vote blanc, le taux d'abstention est stable depuis des années et se situe entre 15% et 20%. Aux élections parlementaires de 2002, 80,11% des Suédois se sont déplacés, puis 81,99% en 2006 et 84,63% en 2010.
Au Danemark la situation est similaire. En dehors de la Belgique et du Luxembourg, c’est le pays d’Europe où l’on vote le plus. En 2005 84,54% des électeurs sont déplacés pour voter aux élections parlementaires et le chiffre monte à 86,59% pour les élections de 2007 et à 88% en 2011.
Comparés à la France les chiffres impressionnent. Plusieurs éléments permettent d’expliquer le faible taux d’abstention dans ces deux pays. Les Suédois et les Danois votent et élisent leurs députés à la proportionnelle à un tour, ce qui permet à chaque citoyen de choisir son candidat sans être tenté par le vote utile.
De plus, les systèmes politiques reposent sur le compromis et fonctionnent sur une base de coalition entre les partis. Le Premier ministre est choisi à l’issu des élections et après débat entre les parlementaires élus.
Autres explications, les deux pays sont relativement petits, et les élus sont beaucoup proches des citoyens. Le renouvellement de la classe politique étant beaucoup plus rapide qu'en France, les députés et membres du gouvernement restent en contact avec les préoccupations quotidiennes. Ceci d'autant plus qu'ils ne bénéficient pas de privilèges ou autres avantages particuliers. Enfin, le vote est encore considéré comme un devoir civique.
Au Royaume-Uni, un bipartisme démobilisateur
L’abstention au Royaume-Uni a atteint le chiffre record de 40,6% lors de l’élection générale de 2001. La participation électorale est remontée légèrement depuis, atteignant 65,1% lors de la dernière élection de 2010. Ce sont les jeunes qui ont voté le moins, avec un taux d’abstention qui a atteint 66%.
L'une des principales raisons pour cette faible participation est la distorsion de la représentativité engendrée par les système électoral britannique. Le scrutin majoritaire à un tour n’est pas proportionnel et tend donc à favoriser les deux principaux partis, le Parti conservateur et le Parti travailliste.
En 2010, avec 36,1% des voix, les conservateurs ont obtenu 306 sièges au Parlement. Avec 29% des suffrages, les travaillistes en ont remporté 258. Mais les Lib-Dems, avec 23% des voix, n’ont obtenu que 57 sièges.
Ce système qui fonctionne au dépend des petits partis engendre une démobilisation grandissante de l’électorat.
Allemagne : rupture générationnelle
Le système électoral allemand est un système fédéral, mixte et à finalité proportionnelle. Concrètement, cela signifie que les Allemands n'élisent pas le Chancelier au suffrage direct. Ils votent en même temps pour un député et pour un parti politique. Chaque parti a donc un nombre de députés au Bundestag proportionnel au nombre des voix recueillies sous sa bannière, en plus des députés élus directement. Le Chancelier est ensuite désigné par les membres du Parlement, élus directement ou à la proportionnelle.
Reflet de la tendance en Europe, la participation est en chute libre en Allemagne. De 82,2% aux élections du Bundestag de 1998, on est passé à 70,78% aux dernières échéances fédérales en 2009. Soit une multiplication par deux du nombre d'abstentionnistes (de 17,8% à 29,22%).
Une baisse encore plus impressionnante si l'on prend en compte les chiffres de participation de 1972 où 91% des électeurs allemands s'étaient déplacés.
Lors des dernières élections, Richard Hilmer, directeur de l'institut de sondage Infratest Dimap, expliquait à la Deutsche Welle :
Il y a plusieurs cas de figures. Il y a l'abstentionniste notoire qui ne participe effectivement jamais aux élections. A vrai dire, il s'agit plutôt d'une exception. Beaucoup plus typiques : les abstentionnistes qui décident de voter ou non en fonction des cas, selon le type d'élection, les coalitions possibles ou la situation actuelle. Et puis il y a bien sûr ceux qui sont confrontés à un événement exceptionnel – une maladie, une obligation – on les appelle "abstentionnistes facultatifs".
Mais, comme le soulignent les journalistes de la radio internationale allemande, les abstentionnistes ne votent pas pour des raisons, avant tout, politiques. C'est le cas de Patrick, étudiant en informatique, qui se dit complètement désillusionné par l'offre électorale :
La politique qui est menée en ce moment ne me convient pas. Dans mon entourage, les gens de ma génération, je sais qu'ils ne veulent pas aller voter non plus. C'est pareil, ils ne sont pas satisfaits. On pourrait peut-être créer notre propre parti… En tout cas il n'y en a aucun à qui je souhaite donner ma voix".
Si la tendance se confirme en Allemagne, l'abstention va battre un nouveau record lors des prochaines élections de 2013 et le Parti pirate pourrait amplifier sa récente percée.
En Autriche, la participation est également en chute libre : des 96,9% de participation à l'élection présidentielle en 1951, on est passé à un très faible 53% aux dernières présidentielles de 2010. Avec un décrochage particulièrement important entre les deux dernières échéances : 20% de votants en moins entre 2004 et 2010! Dans le même temps, l'extrême-droite s'imposait comme la deuxième force politique du pays. Mais avec presqu'un électeur sur deux ne s'exprimant pas, la question se pose de la véritable représentativité des hommes et femmes politiques …