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Le calvaire des enfants dans les mines ukrainiennes

vendredi, 27 avril, 2012 - 15:09

En Ukraine, les enfants travaillent dans des mines illégales pour un salaire de misère. Mais il ne fait pas bon réaliser une enquête sur ce sujet tabou. La réalisatrice estonienne Marianna Kaat nous explique comment le gouvernement ukrainien censure son documentaire "Pit n° 8".

"Une mise en scène mensongère": la réalisatrice estonienne Marianna Kaat est tombée des nues en apprenant que son documentaire "Pit n° 8" (titre anglais, "La fosse n° 8") – l'histoire d'un jeune garçon travaillant dans une mine illégale dans l'est de l'Ukraine – avait inspiré ce commentaire peu flatteur. D'autant plus que la remarque venait d'Olena Fetisova, coproductrice ukrainienne du projet. Non seulement elle l'avait critiqué, mais elle voulait qu'on le retire du programme du festival Docudays UA, qui allait commencer sous peu à Kiev.

La polémique autour de cet incroyable acte de censure est vive en Ukraine. "C'est du jamais vu", confirme Marianna Kaat, de passage à Bruxelles à l'occasion du Festival du documentaire Millenium.

Une histoire qui dérange

Mais qu'a donc de si dérangeant ce documentaire tourné a Snijne, dans l'oblast (région) oriental de Donetsk? En 2008 Marianna Kaat est allée dans cette ville minière avec l'idée de raconter la lutte quotidienne des habitants contre la misère. En parcourant ses rues, elle tombe sur Youra, un garçon de quinze ans qui vit seul avec ses deux sœurs, Ioulia, la cadette, et Ouliana. Les trois jeunes ont quitté la maison de leur mère alcoolique et du beau-père violent. Ils vivent de ce que gagne Youra en travaillant dans les mines illégales.

 

Après la chute de l'Union Soviétique, de nombreuses mines dans la région ont été fermées car peu rentables. Abandonnés à eux-mêmes, les habitants ont dû s'arranger, et pour beaucoup la seule source de subsistance est restée le charbon. Hommes et jeunes garçons ont continué à plonger dans ces "fosses" devenues dangereuses pour en extraire le précieux combustible. En 2005, l'Organisation internationale du travail dénonçait l'emploi massif d'enfants dans ces mines illégales, ou kopanki. Trois ans après, et pendant l'année et demie qu'a duré le tournage, Marianna Kaat et son équipe ont fait le même constat.

En suivant l'histoire de Youra et de ses soeurs, qui tentent de garder le cap malgré la détresse et l'abandon, "Pit n° 8" montre un aspect de la réalité ukrainienne que certains, à Kiev, préfèrent passer sous silence – du moins depuis février 2010, date des dernières élections présidentielles. "Le gouvernement a changé pendant notre tournage", explique Marianna Kaat. "Du coup, le nouveau ministre de la culture a refusé de nous verser les financements promis". A-t-il aussi menacé de retirer son soutien à la société de production d'Olena Fetisova? Difficile à prouver, mais le soudain volte-face de la coproductrice ukrainienne le laisse penser.

Promotion inespérée

Une chose est certaine: Marianna Kaat n'aurait pu rêver d'une campagne de promotion plus efficace.

En interdisant la diffusion du film, ils ont obtenu l'effet contraire. La version russe du documentaire a déjà été vue plus de 100.000 fois sur YouTube!",

se réjouit-elle.

Une projection est aussi prévue au Parlement européen après l'été (c'est-à-dire juste avant les prochaines élections législatives en Ukraine…). Entre-temps, les Ukrainiens ont pu constater que Marianna Kaat n'avait rien inventé: la chaîne de télévision "1+1" est allée a Snijne et a réalisé un reportage confirmant que la situation est effectivement tragique, "même plus que dans mon documentaire, où j'ai essayé de transmettre un peu d'espoir", précise la réalisatrice.

Quant à Youra il est déterminé à tout faire pour sortir de l'enfer. Aujourd'hui il a 18 ans et, même s'il travaille encore dans une mine illégale, il veut commencer des études. Il vit avec sa mère, qui a arrêté de boire. Invité par une chaîne de télévision de Kiev, il a pris le train pour la première fois de sa vie. La rue où il habite a été, comme par magie, goudronnée et sa maison soudainement reliée au réseau électrique. Le maire de Snijne lui a même proposé un boulot dans une usine qui fabrique "des cuillères, des casseroles et des avions" (!). Le salaire était de misère, même par rapport au niveau des salaires locaux. Prudent, Youra a décliné l'offre.

"J'ai toujours préféré réaliser des documentaires plutôt que films de fiction", explique Marianna Kaat.

Avec la fiction, il faut tout programmer à l'avance, et ensuite prier pour que rien d'imprévu n'arrive pendant le tournage. Avec les documentaires c'est le contraire, on prie toujours pour qu'il arrive quelque chose!".

Voilà son vœu largement exaucé.




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