Alexis Tsipras a créé la surprise en propulsant son parti d'extrême-gauche en deuxième position lors des élections générales anticipées en Grèce. Pro-UE mais anti-austérité, il a tenté en vain hier de former un gouvernement. Portrait d'un jeune homme qui redéfinit le paysage politique grec.
La coalition de gauche radicale Syriza, devenue lors des législatives du 6 mai, le second parti de Grèce, a tenté hier de former un gouvernement.
Mission vouée à l'échec pour Alexis Tsipras, le dirigeant du Syriza. Il s'est refusé à former un gouvernement de coalition avec des partis qui acceptent le plan européen de redressement de la Grèce. Plan accepté par les socialistes du Pasok et les conservateurs de la Nouvelle Démocratie. Tous deux l'ont payé trés cher aux élections du 6 mai: les deux partis qui dominaient la vie politique grecque depuis près de 40 ans, se sont effondrés. Laissant leur pays dans l'impasse politique et la confusion générale.
La lourde tâche de former un gouvernement revient maintenant à Evangélos Vénizélos, le dirigeant du Pasok. L'enjeu est majeur: en cas de nouvel échec, ce qui est probable, un retour aux urnes des Grecs serait inévitable.
Portrait du jeune militant qui change le paysage politique grec:
Sur l'affiche, un trentenaire à l’allure de Tintin à la houppe, au sourire mi- timide, mi- gouailleur, avec un sac à dos et un slogan: "Aidez-moi à changer Athènes". Voilà comment, lors des municipales de 2006 sur la liste "Athènes, ville ouverte", apparut Alexis Tsipras. Il engrangea alors quelque 10 % des voix, plus du double de la moyenne nationale pour son petit parti d'extrême gauche, né de la scission du parti communiste.
"Alexis", comme tout le monde l'appelle désormais, est devenu depuis le symbole de la rupture générationnelle politique grecque, ouverte aux idées féministes, à l'écologie, au soutien des immigrés, aux revendications des minorités, sexuelles ou autres.
Contrairement aux responsables socialistes ou conservateurs, ce ne sont pas les échéances électorales qui me préoccupent, mais la situation concrète des gens",
ne cesse-t-il de répéter.
Pourtant, en ce lendemain d’élections anticipées en Grèce, Alexis peut être fier de ce qu’il a accompli: faire du Syriza, coalition de la gauche radicale, la deuxième force politique au Parlement, en mettant à mal les politiciens rancis des vieux partis du Pasok (socialiste) et Nouvelle Démocratie (conservateur).
Avec 16,76 % de voix et 52 députés au Parlement, sa formation va jouer désormais dans la cour des grands. Du jamais-vu depuis la fin de la dictature.
ce qu’il y a de plus frais dans le paysage politique grec"
selon les dires même d’un adversaire politique.
Militant depuis le lycée
Né trois jours après la chute de la dictature des colonels, "Alexis" commence sa vie politique dans son lycée d’Ambelokipi, au centre d’Athènes, en prenant la tête du mouvement lycéen contre la réforme du ministre de l’éducation de l’époque. Il acquiert une grande notoriété en participant à un célèbre show télévisé.
Durant ses études d’ingénieur civil, il milite au sein du syndicat étudiant et des jeunesses communistes, prenant une part active à la création du "Forum Social Grec" et participant à toutes les démonstrations internationales contre la mondialisation néo-libérale.
Il a 33 ans lorsqu'il est élu président du Synaspismos, membre fondateur du Syriza, devenant le plus jeune responsable qui ait jamais été élu à la tête d'un parti politique parlementaire en Grèce.
Un spécialiste du buzz
Alexis Tsipras a chamboulé la façon de faire de la politique, n’hésitant pas à faire des coups médiatiques pour sensibiliser l’opinion. Comme ce 24 juillet 2008, où le trublion arrive à la réception officielle du président de la République pour la fête de la démocratie en tenant par la main la belle Canditza Sango.
La jeune fille, née en Grèce de parents sierra-léonais, parle parfaitement grec et chante "Je vis un rêve", titre à la mode du très apprécié Michalis Hatzigiannis.
Les médias ne cessent alors de passer en boucle les images et l'interview de la jeune fille qui devient emblématique de toute sa génération. Un électrochoc pour la Grèce, qui doit enfin reconnaître qu’elle est passée de pays d’émigration à pays d’immigration.
Mélenchon à la grecque?
Alexis Tsipras a mené cette campagne électorale du Syriza tambour battant, avec une organisation sans faille (porte à porte, meetings en plein air, communication tous azimuts).
En la décrivant comme "un référendum contre la politique d’austérité", le jeune militant a su récolter les fruits d’un long compagnonnage avec tous les mouvements sociétaux qui ont secoué la Grèce au cours des dernières années: la révolte des jeunes de décembre 2008, la génération des 600 euros, le mouvement des indignés etc.
"Dimanche, nous allons créer la surprise" avait-il prédit, déclamant son programme, avec le même talent de tribun que Jean-Luc Mélenchon, dont il partage d’ailleurs les idées: renégocier les accords passés avec Bruxelles et le FMI, parier sur la croissance plutôt que sur une politique ultralibérale de rigueur, tout en restant et dans l’euro, et dans l’UE. La surprise a été plus grande que prévue, même pour les militants.
La nouvelle ère du monde politique grec
Le leader du Syriza n’a eu de cesse durant toute la campagne d’appeler au front commun de toute la gauche, mais les deux autres formations de gauche, le KKE (parti communiste) et le DIMAR (centre-gauche), ont refusé toute alliance.
Il s’est surtout présenté non seulement en force d’opposition mais aussi en possible alternative gouvernementale, donnant de fait une lueur d’espoir à une population grecque au bord de la dépression.
Comme le prévoit la constitution, après la défection de la Nouvelle Démocratie, c’est à lui qu’a été dévolue la responsabilité de former un gouvernement.
"Alexis" a commencé les difficiles négociations mardi matin. Mais même en cas d’échec, prévisible, l’avenir s’annonce radieux: il est assuré d’augmenter son score en cas de nouvelles élections.
En espérant que cette fois-ci, l’autre bonne surprise sera la baisse de son pire ennemi, le groupe néo-nazi Chryssi Avgi (L’aube dorée) qui vient de fait son entrée au Parlement. "Alexis" pourra alors dire "Mission accomplie. Le monde politique grec est entré dans une ère nouvelle".
Article actualisé le 10 mai à la suite de l'échec de la formation d'un gouvernement par Alexis Tsipras.