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La Grèce, pays sans lendemain

mardi, 29 mai, 2012 - 16:40

Fraudeurs fiscaux impénitents pour Christine Lagarde et, circonstance aggravante, accusés de mal voter, les Grecs ne savent plus à quel saint se vouer. Personne n'a de solution crédible. Une catharsis collective s'impose probablement, mais dans quel but? Reportage dans un pays sans lendemain.

Depuis les élections législatives anticipées du 6 mai dernier, la Grèce refait la Une des médias du monde entier. Le pays vivait déjà une profonde crise économique et sociale. Une explosion de son système politique s’est donc rajoutée. Les deux partis traditionnels, le PASOK (socialiste) et la Nouvelle Démocratie (conservateur), qui depuis trente ans rassemblaient à eux deux 80 % des voix, se sont effondrés. C’est le Syriza, coalition de la gauche radicale, qui a créé l’effet de surprise en arrivant en deuxième position. Du jamais vu en Grèce. L’autre (mauvaise) surprise a été l’entrée au parlement de l’extrême droite "nazifiante". Signes d’un rejet des politiciens rancis et du besoin vital d’un changement de donne.

Quiconque aurait vraiment observé la Grèce, au-delà des reportages stéréotypés de la plupart des médias français (le restaurateur fraudeur, le jeune refugié dans sa famille, le percepteur débordé devant la fraude, …) aurait vu cette fermentation sociétale du pays. Après cinq années successives de récession, deux années de rigueur drastique imposée par la Troïka (le Fonds Monétaire International, l’Union Européenne et la Banque Centrale Européenne), une montée exponentielle du chômage, la fermeture quotidienne d’entreprises et de commerces, l’application implacable de toute la gamme de la flexibilité du travail (coupes dans les salaires et les retraites, salaire minimum à 500€, encore moins pour les jeunes, fin des conventions collectives, diminution des allocations chômage, …), le pays était exsangue.

Cette médecine de la saignée s’est appliquée sur un pays déjà gangréné par un système clientéliste, une corruption généralisée et une fraude fiscale à tous les échelons.

"On n’a plus rien à perdre!"

Résultat, un pays totalement chamboulé, ayant perdu tous ses repères. Et par ricochet, l’Europe aussi est déstabilisée. La question "Hors de l’euro, ou hors de l’Europe ? " que posent aux Grecs les politiciens nationaux et étrangers en essayant de transformer ces nouvelles élections du 17 juin en référendum pro ou anti-européen, paraît surréaliste à la population. Qu’ont-ils à perdre de plus qu’ils n’aient déjà perdus ? Comme le souligne avec humour, cette retraitée rencontrée sur un marché en plein air de la banlieue d’Athènes :

Que l’on paye en euros, en drachmes ou en serviettes en papier, l’important est d’avoir les moyens de vivre dignement. Or le pouvoir d’achat baisse tous les jours. Avec l’essence à près de 2 €, les produits qui deviennent hors de prix avec l’augmentation de la TVA, les taxes multiples et variées qui nous tombent dessus en rafale, comment y arriver ? ".

Près d’elle, une jeune étudiante, qui vient justement faire ses courses qu’à la fin du marché pour trouver des prix cassés, renchérit :

En 2009, après cinq ans du gouvernement conservateur de Costas Caramanlis, qui avait dilué le pays, scandale après scandale, souvenez-vous de l’été meurtrier des incendies de 2007, nous avions porté au pouvoir le socialiste Papandréou. Nous avons cru à ses promesses de catharsis de toute la corruption, de mise en œuvre des réformes nécessaires, d’une répartition plus juste des richesses. Et c’est tout le contraire qui est arrivé. A la fin, ces deux formations se sont mis ensemble pour nous administrer la pilule de la rigueur ".

Le marchand de légumes, jusqu’alors silencieux, intervient alors:

On n’a plus rien à perdre. Cette fois-ci, pour la première fois de ma vie, je vais voter pour la gauche, la vraie gauche, la radicale. On va voir ce qu’ils ont dans le ventre. Ils ont intérêt à faire ce qu’ils disent, pour le petit peuple. Sinon, la prochaine fois, je voterai Aube dorée (extrême-droite) ".

Crise "civilisationelle"

Cerise sur le gâteau, la déclaration intempestive de Christine Lagarde. La directrice générale du FMI a déclaré au Guardian ce week-end :

Quand je pense à Athènes, je pense aussi à tous ces gens qui essayent d'échapper aux impôts en permanence. Tous ces gens en Grèce qui cherchent à échapper aux impôts. Je pense plus aux petits enfants d'une école dans un petit village du Niger, qui ont cours deux heures par jour, qui partagent une chaise à trois, et qui veulent vraiment avoir une éducation. Je pense à eux tout le temps. Parce que je pense qu'ils ont encore plus besoin d'aide que les gens à Athènes".

Toute la presse grecque s’est enflammée, en écho de la vox populi. Tout le monde politique, tous partis confondus, demandent la renégociation du plan de rigueur. Mais, passé l'indignation, les vraies questions demeurent en suspens :

Qu’adviendra-t-il le 18 juin, au lendemain des élections ? La Grèce arrivera-t-elle à former un gouvernement (de coalition) ? Si c’est la Nouvelle Démocratie, actuellement en tête dans les sondages, les Grecs vont-ils avoir droit à la saison 2 du mauvais feuilleton vécu depuis deux ans.

Et en cas de victoire de l’inconnu d’hier, Alexis Tsipras, dirigeant du Syriza, devenu la coqueluche des médias du monde entier, du Wall Street Journal à Paris Match, sera-t-il à la hauteur de l’enjeu historique ?

Est-ce que les conditions géopolitiques, la crise du système et la pesanteur des inerties grecques ne l’obligeront-il pas, comme les autres, à aller de compromis en compromis ?

Ce serait la porte ouverte aux pulsions populistes et nationalistes les plus exacerbées. La crise sera alors "civilisationelle" (au sens donné par Edgar Morin). Et pour la Grèce, et pour l’Europe.  




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