Marisol Touraine a mis en place ce mardi l’Observatoire national du suicide. Il aura pour mission de préconiser des solutions pour réduire le nombre de personnes mettant fin à leur vie. En Europe, les femmes se suicident moins que les hommes. C’est encore plus vrai avec la crise.
Le suicide reste un sujet difficile à aborder et à quantifier. Se donner la mort se heurte à des tabous, non seulement religieux mais culturels et moraux. L’être dans son humanité serait privé de son droit de décider de ne plus être, au nom d’une obligation d’assumer son existence jusqu’à la fin naturelle de sa vie. Ainsi, la prévention du suicide reste trop rare, notamment en France. Rare comme les chiffres sur le nombre de suicidés, en France comme ailleurs en Europe.
Il y a deux ans, un "Appel des 44" avait été lancé sous la houlette du professeur de médecine légale Michel Debout et de Jean-Claude Delgènes, directeur général d’un institut de prévention des risques psychosociaux. Cet appel soulignait la nécessité de faire de la prévention du suicide une cause nationale au même titre que la sécurité routière.
La ministre de la santé et des affaires sociales répond à cet appel en mettant en place cet Observatoire national du suicide. Pour Marisol Touraine, le suicide est un important "enjeu de santé publique".
Les derniers chiffres disponibles au niveau français et européen datent de 2010. En France, 10.400 personnes se sont suicidées cette année là, soit trois fois plus que sur la route.
"Avec un taux de 14,7 pour 100.000 habitants, la France se situe dans le groupe des pays de l'Union européenne à fréquence élevée de suicide", souligne l'Insee.
La moyenne européenne était de 10,2 suicides pour 100 000 habitant selon Eurostat. Le pays où l’on se suicide le plus souvent étant la Lituanie (29,4) puis la Hongrie (21,7).
Décès dus au suicide par pays pour 100 000 habitants (Eurostat)
Mais les femmes se suicident quatre fois moins que les hommes. Dès le début de la crise, en 2008 et 2009, le suicide des hommes a augmenté de 5% par rapport à 2007. Pour les femmes, il n'a pas bougé d'une virgule. Pendant cette période, seulement 4,4 femmes sur 100.000 personnes se sont suicidées chaque année contre 16,5 hommes.
Pendant cette période, certains pays ont vu leur taux de suicide monter en flèche, mais seulement chez les hommes. Au Danemark, par exemple, le suicide chez les hommes a augmenté de 14% alors que dans le même temps, celui des femmes baissait de 22%.
Inégalités des hommes et des femmes face au suicide
Mais Michel Debout, interrogé par Myeurop, souligne un étonnant paradoxe. Si les femmes se suicident moins que les hommes, elles tentent davantage de mettre fin à leur jours. Selon ce psychiatre et enseignant en médecine légale, ce constat est le même depuis plusieurs décennies. Les raisons?
Les femmes utilisent en général un mode suicidaire par médicaments, qui est moins mortel. D'autre part, lorsque les femmes sont déprimées, elles ont plus facilement recours à des soins que les hommes".
La crise économique n'épargne ni les hommes, ni les femmes. Mais, souligne Michel Debout, les hommes ne laissent rien paraître mais "lorsqu'ils craquent, c'est de façon bien plus violente".
Décès de femmes dus au suicide par pays pour 100 000 habitants (Eurostat)
Autre raison avancée par le sociologue Christian Baudelot, la femme est plus intégrée dans la société que les hommes. Un lien social qui atténuerait leur détermination à mettre fin à leurs jours.
La femme a des liens sociaux plus forts. C'est elle qui donne la vie, qui se soucie de la survie de la famille. Quant aux hommes, ils sont moins bien intégrés et ils ont plus de pression au niveau professionnel".
Un syndrome maltais?
Au delà des différences entre hommes et femmes, si le taux de suicide a, avec la crise, augmenté de 4% entre 2007 et 2009, il a baissé de 13% durant la dernière décennie.
Comme Christian Baudelot le souligne, l'augmentation significative des suicides a eu lieu dans les années 70, lors des chocs pétroliers. Mais depuis les années 90, le taux de suicide est en diminution.
Les années 90 correspondent au moment où les généralistes ont eu le droit de prescrire des antidépresseurs en France, par exemple. Cela a peut-être aidé à la baisse du nombre de suicides. Mais les raisons restent difficiles à cerner. Les individus s'habitueraient-ils aussi à la crise? "
Les effets de la crise sur le taux de suicide ne sont pas encore avérés souligne avec prudence le sociologue. Seul sept pays de l'Union européenne, Malte (+25%), Pologne (+19%), Slovaquie et Lettonie (15%), Grèce et Norvège (+14%) ainsi que Irlande (12%) ont vu leur taux de suicide augmenter très nettement entre 2007 et 2009.
Pour le psychiatre Michel Debout, la réalité de la crise va être décalée. Les effets vont probablement apparaître quelques années plus tard.
Il faut encore un peu de temps avant de pouvoir analyser les effets de la crise sur le suicide. Mais il est certain qu'il y aura une augmentation du nombre de passage à l'acte et de suicide."
Une culture du suicide différente
Même si la tendance sur dix ans est à la baisse, les écarts entre les pays ne changent pas. La Lituanie obtient toujours le triste record du taux de suicide. Quant au taux le plus bas, c'est la Grèce qui le détenait jusqu'en 2010! Seul le Portugal va à l'encontre de cette observation, avec une augmentation de 43% de son taux de suicide entre 2000 et 2009.
Pour le sociologue, chaque pays a une tradition différente autour du suicide.
On remarque souvent que les pays Baltes ont les taux de suicides les plus élevés. Tout comme la Hongrie. Ce sont des pays de l'ancien bloc communiste où les habitants ont une façon culturelle de réagir assez différente des autres pays européens".
Et s'il est encore trop tôt pour évaluer les effets de la crise, l'Italie doit faire face à une vague de suicides des petits patrons, mais aussi des salariés licenciés et des retraités qui ont vu leurs retraites fondre. De même en Grèce, plusieurs cas d'immolations par le feu témoignent d'une désespérance collective propice aux suicides. Une manière tragique d'exprimer un mal-être économique.
(1) Étude sur les 27 pays de l’Union européenne, parue le 23 mai 2012.
Article initialement paru le 1er juin 2012 et actualisé le 10 septembre 2013.