C'est la fin de l'exception politique française. Montée de l'abstention, rejet du gouvernement sortant, percée de la droite radicale et rééquilibrage en faveur des partis progressistes: les législatives française s'inscrivent dans la tendance européenne. Une France désormais politiquement "normale" après les années Sarkozy.
Analyse d'Eddy Fougier, Politologue et chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
La critique de l’Union européenne a été particulièrement vive durant la campagne présidentielle, y compris de la part des candidats censés être pro-européens. Cette campagne a, aussi, souvent donné l’impression à l’étranger que les candidats français ignoraient largement ce qui passait ailleurs, tout comme les contraintes économiques. Ce que l’hebdomadaire britannique The Economist a appelé le "déni" français.
Néanmoins, force est de constater que la séquence électorale qui a débuté avec les primaires citoyennes organisées par le PS et s’est achevée le 17 juin avec la majorité absolue des sièges pour les socialistes à l’Assemblée nationale (on peut y rajouter le basculement du Sénat à gauche au mois de septembre 2011 à l’occasion de son renouvellement partiel) a confirmé certaines évolutions politiques perceptibles ces dernières années en Europe.
Une participation à géométrie variable
En effet, la France ne déroge pas à la "règle" européenne sur trois points-clefs.
Le premier est la montée de l’abstention, qui est un phénomène européen en dehors de l’ "élection reine" qu’est la présidentielle, car jugée la plus décisive par les Français. Le taux d’abstention au second tour des législatives a ainsi atteint son niveau le plus élevé de toute la Ve République avec un taux de 43 %. Il est en progression quasi constante depuis la fin des années 1970, à l’instar de ce que l’on peut voir lors des scrutins locaux.
Aux yeux des électeurs, il semble ainsi exister désormais trois types d’élections bien distincts.
- L’élection présidentielle où la participation est toujours très forte, avec cette année des taux d’abstention aux alentours de 20 %.
- Les élections législatives et municipales où ces taux se situent plutôt autour de 40 %. Ce sont des élections jugées encore importantes pour élire des figures politiques visibles et souvent connues (le député et le maire).
- Enfin, les autres élections (régionales, cantonales, européennes) sont jugées non décisives et intéressent dans l’ensemble très peu les électeurs, puisque ces dernières années les taux d’abstention ont frôlé ou même dépassé les 50 % : abstention de 49 % aux élections régionales de 2010, de 56 % au 1er tour aux élections cantonales de 2011 et de 59 % aux élections européennes de 2009.
On estime généralement que cette abstention est, soit de nature politique (elle exprime alors une défiance vis-à-vis du système politique et des principaux partis), soit de nature sociale (elle est plutôt le fait des catégories populaires, à faibles revenus et faiblement diplômées).
Elle n’en pose pas moins de nombreuses questions sur l’état de la démocratie représentative, sur la représentativité réelle des différents courants politiques, ou encore, sur la nature du mode de scrutin.
Alternance généralisée
Le second point est le rejet quasi systématique des gouvernements sortants en Europe depuis le déclenchement de la crise économique en 2008. Des alternances se sont ainsi produites dans la plupart des pays européens qui se sont rendus aux urnes pour renouveler leur parlement. Ce fut le cas récemment lors des élections parlementaires qui se sont déroulées au Royaume-Uni (2010), en Irlande (2011), au Portugal (2011), en Grèce (2011), en Espagne (2011), en Slovénie (2011) ou en Slovaquie (2012).
La défaite de Nicolas Sarkozy s’inscrit en grande partie dans cette tendance. Elle a été, en effet, largement le résultat de la crise économique, de la montée du chômage et de sa façon, souvent perçue comme injuste, de tenter de la conjurer en prônant l’adoption d’un "modèle allemand".
Le troisième et dernier point est la montée souvent spectaculaire en Europe des suffrages en faveur d’une droite radicale qui exploite le désarroi de certaines populations touchées par la crise et, plus généralement, la crise du modèle multiculturaliste, reconnu par Angela Merkel et David Cameron ces dernières années, et qui, à la différence de l’extrême droite classique, aspire à accéder aux responsabilités.
Le score de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle (17,9 %) et des candidats FN et d’extrême droite au premier tour des législatives (13,8 %) en sont les symptômes les plus évidents, tout comme l’orientation nouvelle donnée au parti nationaliste par la fille de Jean-Marie Le Pen, avec sa volonté de "dédiaboliser " le parti, de participer à la recomposition de la droite de l’après-Sarkozy et d’accéder au pouvoir.
La gauche regagne du terrain
En apparence, la France semble néanmoins être en rupture par rapport à une autre tendance européenne, celle de la domination idéologique et politique des partis conservateurs, en ayant donné l’ensemble des pouvoirs – présidentiel, parlementaire, régional, départemental, municipal pour la plupart des grandes villes – à la gauche.
Sans parler de grand retournement, il semble bien que l’on assiste cependant ces derniers temps à un certain rééquilibrage des forces en faveur des partis progressistes en Europe. Si la droite dominait allègrement la vie politique européenne ces dernières années en emportant la plupart des élections générales, c’est moins le cas depuis un an. La gauche l’a emporté dans plusieurs pays (Irlande, Danemark, Slovénie, Slovaquie) ou lander allemands (notamment en Rhénanie-Westhalie, le land le plus peuplé avec une population supérieure à celle des Pays-Bas).
Même si on ne peut parler de vague rose européenne, l’élection de François Hollande est donc très certainement le symptôme de ce rééquilibrage des forces politiques actuellement à l’œuvre en Europe et qui est perceptible dans le débat sur la croissance de ces dernières semaines.
En définitive, même si les spécificités françaises restent très fortes (hyperprésidentialisation du système politique, culture politique conflictuelle, forte bipolarisation) et s’il n’existe pas à proprement parler de vie politique européenne, la "normalité" politique française par rapport au reste de l’Europe apparaît évidente au terme des élections présidentielle et législatives.