Prostituée pendant plus de 20 ans à Stockholm, Pye Jakobson a fondé Rose Alliance, l'organisation suédoise des travailleurs du sexe. Pour elle, la pénalisation des clients est une "fausse bonne idée". Un modèle suédois que Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, voudrait exporter en France.
Le rendez-vous a été fixé à la station de métro Gullmarsplan au sud de Stockholm. A 15h30 pétantes, elle nous envoie un texto : "C'est moi, avec la robe verte et bleue, je vous attends !" Pye Jakobson a 42 ans. Ce grand bout de femme est un subtil mélange de force, de douceur et de patience. De celles qui savent ce qu'elles veulent et qui se battent.
Pye Jakobson s'est prostituée pendant plus de 20 ans. Et comme elle n'est pas du genre à faire les choses à moitié, elle a fondé Rose Alliance, l'organisation suédoise des travailleurs du sexe. Elle a pris sa retraite il y a un an, spécifie-t-elle en coinçant un peu de "snus" (poudre de tabac) contre sa gencive.
En prenant place à la table du pub le plus proche, elle nous fait comprendre qu'elle est "busy busy". Cependant, quand elle a su qu'une journaliste du continent voulait l'interroger sur la loi suédoise, elle a immédiatement bousculé son emploi du temps. Pye Jakobson a des priorités. Lutter contre cette législation made in Stockholm, qui tente de s'exporter en France, en est une.
"Les clients ont peur, il faut se cacher pour travailler"
Le parlement suédois a, en effet, adopté en 1999 un arsenal légistatif pénalisant les clients, et non plus les travailleurs du sexe. La Suède a ainsi été le premier pays au monde à punir les consommateurs de sexe tarifié. Aujourd'hui, 13 ans plus tard, le bilan de cette loi reste pourtant controversé.
Pye Jakobson détaille les conséquences de ce qu'elle qualifie de "fausse bonne idée". Elle agite de plus en plus vite les bras, laissant impertinemment entrevoir son tatouage, plus guère dissimulé par son décolleté.
Les travailleurs du sexe doivent se cacher pour continuer de travailler. Les clients ont peur, il faut donc les rassurer en leur garantissant la plus grande des discrétions (quelques précautions valent mieux que 6 mois de prison).
"Nous allons vous sauver du mal"
Cependant, pour la militante inépuisable, le pire, ce n'est pas ce problème de sécurité, c'est la morale qui transpire au travers de cette législation.
La loi suédoise dit très clairement aux femmes qui se prostituent:
Toutes les travailleuses du sexe sont des victimes. Vous avez envie de continuer ? C'est parce que vous êtes tellement perdue que vous n'avez pas conscience de votre aliénation. Chacun a le droit de disposer de son corps, mais pas vous. Vendre des services sexuels est mal. Nous allons vous sauver, avec ou contre vous".
Et ça, Pye Jakobson qui se revendique féministe, ne l'admet pas. Bien sûr, toutes les travailleuses du sexe ne sont pas épanouies. Bien sûr, la traite des femmes est une catastrophe. Mais les autres alors ?
"Eh bien, on les considère comme des aveugles ou des exceptions. Moi, on me dit que je ne suis pas "représentative".
"J'ai toujours 2 seins et 2 jambes"
Et quand on lui demande si, vraiment, vendre son corps ne lui a jamais posé de problème, si pour elle, il n'y a aucun lien avec la domination masculine, elle préfère rire en affirmant qu'après 24 ans dans le métier elle a toujours ses 2 seins et ses 2 jambes, elle n'a jamais "vendu son corps", mais uniquement "des services".
Et puis, les mauvaises expériences avec les hommes, elle les a eu dans des bars avec des piliers de comptoir, pas dans le cadre de la prostitution. Pye Jakobson veut pouvoir utiliser ses ressources, intellectuelles ou physiques, librement, même s'il s'agit de son sexe.
"Nous n'avons pas forcément besoin d'un psy"
On ne demandera jamais à un plombier pourquoi il aime fouiner dans les toilettes des autres. On se dit que c'est un boulot comme un autre, qu'il faut bien que quelqu'un le fasse et on ne va pas le psychanalyser pour autant. Ça devrait être la même chose pour nous. Nous n'avons pas forcément un problème ! ".
Pye Jakobson prend le temps, en commandant une autre bière, de nous éclairer sur le fonctionnement de la société suédoise.
Une société qui infantilise les citoyens, les femmes en particulier. On choisit pour elles. Vendre des services sexuels n'est pas chose convenable. Alors la Suède va vous sortir de là. Que vous le vouliez ou non. Et si vous ne voulez vraiment pas dire que vous détestez ce que vous faites, elle vous punira".
Entre autres : en vous retirant vos enfants et en vous expulsant de votre appartement.