Les Chinois se passionnent pour les pigeons voyageurs. Ils misent des sommes rondelettes sur les courses d'endurance des volatiles et achètent à des prix astronomiques les meilleurs pigeons européens. Enquête.
Un pigeon voyageur français a remporté l'été dernier la "Barcelone 2012". L'oiseau a parcouru les 1 044 kilomètres entre Barcelone (Espagne) et Nieurlet (Pas-de-Calais) en moins de 16 heures, soit à 60 km/h de moyenne.
La performance n'est pas passée inaperçue en Chine. Des colombophiles chinois ont offert au propriétaires du champion plus de 100 000 euros pour le volatile de course.
Des pigeons aux enchères
Comme beaucoup de ses congénères, le pigeon poursuit aujourd'hui sa carrière en Asie.
Belgique et Pays-Bas, sont les royaumes les plus réputés dans le cercle de la colombophilie mondiale. Le premier surtout, où les élevages de pigeons-voyageurs sont le must.
Cette internationalisation du commerce profite aux gros éleveurs. A l’image de l’ancien propriétaire de Special Blue, un pigeon qui a remporté les courses les plus prestigieuses. Il a vendu au total 245 têtes de plumes pour près de 2 millions d’euros ces dernières années. Au kilo, c’est bien plus cher qu’un cheval de course.
Une spéculation orchestrée par le vendeur belge Pigeons Paradise, qui vend aux enchères les emplumés et agite les pigeonniers de Belgique. Avant le Special Blue, il y avait eu le Prince Bleu, charmant pigeon acheté par le chinois Guo Weichen pour la modique somme de 156.000 euros, ou encore Euro-diamond, un véloce volatile emporté aux enchères par un Japonais pour 170.000 euros.
Voler pour la gloire et l'argent
Si le Japon et Taiwan aiment aussi les pigeons, c’est la Chine qui affole les compteurs. Sa fédération colombophile compte près de 300.000 adhérents, et les acheteurs chinois viennent massivement s’approvisionner en champions chez les Belges. Plus de la moitié des ventes sont réalisée avec la Chine, confirme le site Pigeons Paradise.
Des acheteurs chinois ne sont cependant pas des pigeons. Leurs emplettes en Europe sont vite rentabilisées. Car en Chine, contrairement à en Europe, les courses sont ouvertes aux paris. Un bon concurrent peut donc faire gagner beaucoup d’argent à son propriétaire, d’autant que les parieurs sont légions.
Tous les pigeons ne concourront pas. Certains clients achètent pour le plaisir d’avoir un champion élevé à l’étranger, comme un Japonais achèterait une carpe koï.
Les Chinois accordent beaucoup d'importance au prestige. Même s'ils ne sont pas éleveurs et qu'ils ne pourront pas participer à des concours, ils veulent acheter un pigeon de luxe, comme un amateur d'art aimerait s'offrir un Rubens ou un Rembrandt"
explique Marc De Cock, un éleveur belge. Et pour ses clients asiatiques, il bichonne ses bestioles de luxe, qui disposent d’une douche, d’un solarium et d’une "sorte de sauna pour pigeons"…
Mafia et rapts
Le business est tel qu’il attire les mafieux. Le Royaume de la colombophilie (la Belgique) a ainsi frisé l’hystérie en 2009, lorsque la mafia chinoise s’en est pris à ses pigeons. A l’époque, on découvre les corps de 14 volatiles, sans vie, dans une forêt. Ils ont été subtilisés à l’un des meilleurs éleveurs du pays, dans la région d’Anvers. A chacun, il manquait… une patte.
Les mafieux se contentent en effet de récupérer la bague, fiche d’identité du pigeon : ils la revendent ensuite à prix d’or, ou la replace simplement sur un mauvais pigeon, qu’ils revendent au prix d’un bon. "Un oiseau de peu de valeur passera alors pour un as", résumait au moment de l’affaire le président de la fédération colombophile belge, Pierre De Rijst. "Les colombiculteurs [belges] sont obligés de passer à la vidéosurveillance", concluait-il alors.
Aujourd’hui on parle moins des rapts de pigeons. Mais la fuite, aussi légale fut-elle, de leurs meilleurs oiseaux vers la Chine atteint une communauté colombophile sceptique.
Les quelque 40.000 "coulonneux" de Belgique ont le sentiment de voir s’envoler une part de leur savoir-faire, eux qui ont déjà du mal à passer le flambeau de cette tradition aux jeunes générations. Alors que leurs pigeons s’essaient à la mondialisation, les petits éleveurs du plat pays veulent déjà les ramener à la maison.
Article initialement publié le 25 février 2012