Socialiste version Mélenchon, Emil Roemer se voit déjà chef du gouvernement néerlandais à l'issue des élections dans deux semaines. Il est désormais en tête dans les sondages. Son programme: la taxation des riches et le refus de la rigueur imposée par Bruxelles. Sa gouaille et son franc-parler séduisent les Néerlandais.
Non, ce n'est pas un être chimérique, issu de l'hybridation de Jean-Luc Mélenchon et de François Hollande : Emil Roemer -prononcez "Roûmeur" – qui caracole en tête des sondages politiques depuis des semaines, est un homme politique néerlandais de gauche, la vraie, dit-il, pas celle des sociaux-démocrates. Les élections législatives se tiendront le 12 septembre prochain suite à la chute du gouvernement en avril dernier mis en minorité par le populiste Geert Wilders. Et le SP -Socialistische Partij, Parti Socialiste – emporterait, dans les sondages tout au moins, le plus grand nombre de sièges au Parlement.
Roemer sera-t-il bientôt premier ministre pour autant ? Il s'y prépare sans aucune ambiguïté :
Maintenant, c'est à notre tour de gouverner ! "
Une déclaration fracassante, presqu'un cri de guerre, dans un pays où les socialistes n'ont jamais été au pouvoir depuis la fondation du royaume. Seul le centre-gauche avec les travaillistes du PvdA a participé à des gouvernements.
"On my dead body !"
Emil Roemer, Branbançon de 50 ans, adjoint au maire en charge des finances de la ville de Boxmeer, séduit les foules. Sa gouaille, son franc-parler, son style direct – que ses ennemis taxent volontiers de populisme – tout cela charme et convainc.
Lors d'un récent débat télévisé, alors que le présentateur lui demandait s'il paierait l'amende due par les Pays-Bas à l'Europe en cas de dépassement de 3 % de déficit budgétaire annuel, il a répondu du tac au tac : "on my dead body" ! Il faudra d'abord passer sur mon cadavre ! Le Néerlandais moyen, convaincu que ses impôts servent de plus en plus à nourrir les crises grecques et espagnoles, exulte.
La droite, elle, ne s'en remet pas ! Afshin Elian, un des éditorialistes politiques de l'hebdomadaire très conservateur Elsevier – jamais avare de déclarations tout en nuances – déclarait il y a quelques semaines que l'élection de Roemer signerait "l'entrée des soviets aux Pays-Bas".
Une presse qui ne ménage pas ses coups : elle n'a pas hésité à remettre en cause la gestion "désastreuse" des finances de Roemer à Boxmeer, information aussitôt démentie par la ville. L'affirmation du candidat de gauche que les Néerlandais les plus riches se sont enrichis davantage ces dernières années a été immédiatement contrée par un institut économique, chiffres à l'appui : les élites néerlandaises auraient "souffert" de la crise autant que le citoyen lambda, sinon proportionnellement plus…
La récente perte de 8 sièges du SP dans un sondage télévisé rassure cependant la classe dirigeante :
Les Pays-Bas sont beaucoup trop modérés pour la dictature du SP"
titrait Elsevier, cette semaine. Ouf, on respire !
Pour autant, les jeux sont loin d'être faits. Les Pays-Bas ne sont pas la France: aucun parti n'aura une majorité suffisante pour gouverner seul. L'alternance gauche-droite à la française ou à l'anglaise n'existe pas. Les Pays-Bas ressemblent plutôt à la Belgique: un pays de compromis, qui élabore (bricole ?) des coalitions gouvernementales plus ou moins réussies. Parfois, aussi, ils s'embourbent dans des alliances impossibles, comme le Belge Di Rupo qui doit composer avec six partis différents. Ou comme les coalitions violettes, aux Pays-Bas, entre 1994 et 2002, qui ont laissé un souvenir indélébile d'immobilisme. Et qui ont ouvert la voie aux populistes Pim Fortuyn et Geert Wilders ! Si donc, le parti socialiste devait confirmer sa victoire, il devrait de toute façon mettre de l'eau dans son vin et composer avec la ligne des autres partis de la coalition.
Bipolarisation croissante
Le dernier sondage de Maurice De Hond – le plus écouté des sondeurs politiques – attribue au SP 35 sièges sur les 150 qui composent le Parlement (Tweede Kamer) : soit une impressionnante progression de 20 sièges depuis les dernières élections ! Mais, le VVD – parti libéral, leader de la coalition sortante – serait le deuxième parti du pays avec 32 sièges. Soit un de plus que lors des élections qui l'ont porté au pouvoir…
Malgré tout, à eux deux, les futurs vainqueurs ne peuvent mathématiquement pas constituer une majorité. Et les autres partis sont, plus que jamais, largement devancés, confirmant ainsi une tendance à la bipolarisation de la vie politique néerlandaise.
Tout oppose ces deux partis.
- Le Parti socialiste veut conserver l'âge de la retraite à 65 ans alors que les Libéraux veulent allonger le temps de travail.
- Le SP prône une relance de l'économie par un "plan spécial d'investissement" d'inspiration keynésienne alors que le VVD veut avant tout "assainir les finances" et "alléger les charges des entreprises".
- Au niveau de l'emploi, le VVD souhaite réduire la durée du préavis et le montant des indemnités de licenciement. Le SP désire, pour sa part, "renforcer la protection du travailleur" en temps de crise.
- Les Libéraux tirent à boulets rouges sur la sécurité sociale néerlandaise jugée trop généreuse alors que les socialistes veulent un filet de sécurité plus large pour les plus faibles.
- Le VVD est massivement pro-européen, alors que le Parti socialiste refuse les "diktats de Bruxelles".
On n'en finirait pas d'énumérer tout ce qui divise les deux camps !
Coalition de plus en plus introuvable
Et les autres ? Les autres sont loin derrière ! A tel point qu'on ne voit pas très bien avec qui le futur "chef de gouvernement" va pouvoir gouverner. Le PvdA est aussi le grand perdant annoncé par les sondages de ces élections. Ce parti travailliste à l'anglaise perdrait douze sièges par rapport aux élections précédentes ! Douze sièges qui sont allés au SP, nettement plus à gauche. Les travaillistes pardonneront-ils à leur "allié naturel" de leur avoir vampirisé leur électorat ? Ce serait un peu comme si François Hollande avait été devancé par Jean-Luc Mélenchon dans un duel au second tour des présidentielles, contraignant le PS à gouverner avec le Front de Gauche…
Autre composante de la vie politique néerlandaise, le CDA – parti résultant de la fusion de formations protestantes et catholiques modérées – perdrait, lui, sept sièges. La cohabitation dans le gouvernement sortant a profondément divisé les ailes droite et gauche de ce parti à tel point que le CDA a évité de justesse la scission lors de son dernier congrès, il y a quelques semaines !
Le parti populiste de Geert Wilders – le PVV – serait, lui aussi, en recul de six sièges. Wilders – n'écoutant personne au sein de son propre parti – a laissé tomber le discours anti-immigrés pour se lancer dans des diatribes féroces contre l'Europe. Et a perdu ainsi le contact avec sa base. Quant à son obstination à vouloir interdire l'abattage rituel, elle lui a aliéné la sympathie des électeurs – et des donateurs – de confession juive. Un soutien pourtant crucial pour l'homme qui nomme Israël sa "seconde maison"…
Egalement en perte de vitesse, les écologistes obtiendraient cinq sièges de moins. Les autres partis, comme le Parti Pirate ou le Parti des Animaux, récoltent des miettes.
Une coalition est-elle possible ? Mathématiquement, la coalition sortante récolterait 64 sièges, soit 12 de moins que le minimum requis. Et après la "trahison" de Wilders, on voit mal comment ses anciens alliés pourraient lui accorder quelque confiance…
Wilders proposait une alliance avec les Libéraux et les Socialistes, mais l'idée même est tellement ridicule qu'elle n'a suscité aucun commentaire de la part des partis visés.
Un besoin urgent de rêve et de vision politique
Une des rares combinaisons capables d'offrir la majorité serait une alliance VVD (libéraux), CDA (chrétiens), D66 (centristes) et PvdA (travaillistes). Mais même si du point de vue mathématique, cette coalition emportait une courte majorité – 78 sièges sur 150 – on ne voit pas très bien comment réconcilier les positions économiques et européennes des uns et des autres. De plus, cet attelage gouvernemental supposerait d'ignorer, si elle se confirme, la victoire des socialistes…
Le défaut des rares combinaisons possibles à l'heure actuelle est ce besoin d'alliances politiques larges. Un compromis gouvernemental entre partis si différents engendre inexorablement un quasi-immobilisme pour la totalité de la législature. Or, ce dont les Néerlandais rêvent pour l'instant, c'est de changement ! Ils réclament un gouvernement avec une vision politique qui restaure l'espoir et la fierté d'un peuple d'aventuriers et de bâtisseurs. Un peuple qui vit à présent dans la crainte du lendemain et la nostalgie du passé, tout en maudissant le présent. Une position insoutenable à long terme. Aux Pays-Bas comme ailleurs…