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La BCE indépendante défie l’orthodoxie allemande

jeudi, 6 septembre, 2012 - 16:33

La Banque centrale européenne va racheter la dette des pays européens tant qu'elle l'estimera nécessaire. Un passage en force de Mario Draghi face à l'Allemagne. Mais Berlin qui a toujours plaidé pour l'indépendance de la banque européenne est pris à son propre jeu.

Les marchés financiers ont applaudi l'annonce par Mario Draghi que la Banque centrale européenne allait intervenir de manière illimitée sur le marché de la dette des Etats de la zone euro. La BCE ne se fixera "pas de limite quantitative". Autrement dit, l'institut monétaire va racheter la dette des pays en difficulté tant qu'elle l'estimera nécessaire. Le président de la BCE brise un tabou: de fait, elle interviendra ainsi comme préteur en dernier ressort.

Il tord le bras de la puissante Bundesbank, la banque centrale allemande. Pour la "buba", Mario Draghi outrepasse son mandat, cette intervention sans limite pour enrayer la crise de la dette étant, pour elle, une décision politique, puisqu'elle revient à mobiliser l'argent des contribuables européens, notamment des Allemands, pour aider les pays en difficulté. Cela revient à socialiser les dettes, ce qui "doit se faire en passant par les parlement ou les gouvernements et non par l'action des banques" affirme la banque centrale allemande.

Merkel pas si fachée que ça

Une ligne rouge que Mario Draghi a franchie en se contentant de "noter" qu'un "membre de la BCE a voté contre" les décisions prises par l'institution qu'il dirige. Ce "membre" étant, sans l'ombre d'un doute, le représentant de la Bundesbank.

Angela Merkel, comme l'ensemble des dirigeants européens, a respecté le "pacte du silence". Face à l'urgence de la situation, ils s'abstiennent de commenter les décisions de la BCE, mais n'en pensent pas moins. La France, qui défend le principe d'une politique active de sauvetage de la Grèce, de l'Espagne et des autres pays malades de leur surrendettement, se félicite sans nul doute de cette décision le la BCE. Quant à la Chancelière, elle reste d'autant plus volontiers muette, qu'elle n'est peut-être pas si fâchée que ça… 

Certes, le geste fort de Mario Draghi est contraire à l'orthodoxie économique rhénane reposant sur le postulat que tout rachat de dette est porteur d'un risque d'inflation. De plus, la chancelière sait qu'elle ne peut se permettre d'apparaitre comme favorable à une aide aux pays "du club Med" alors qu'une majorité d'Allemands y est hostile. Cela risquerait de lui coûter la chancellerie l'année prochaine, lors des élections législatives.

Signes de fatigue

C'est pourtant l'avenir de l'euro qui est en jeu et l'Allemagne aurait, plus que tout autre pays, beaucoup à perdre dans sa disparition, la monnaie unique étant le bras monétaire des exportations allemandes en Europe. Le retour à une monnaie nationale qui serait surévaluée par rapport aux autres devises européennes, ferait flamber les prix des produits made in Germany.

Et les Allemands qui ne veulent pas payer pour la Grèce en seraient les premières victimes. Par ailleurs, l'économie allemande commence à enregistrer de sérieux signes de fatigue, contrecoup de la stagnation éco ou de la récession chez ses voisins européens.

Mais, surtout, Berlin est un peu gêné aux entournures vis-à-vis des décisions prises par la BCE. La Bundesbank peut, certes, affirmer que la BCE a outrepassé ses droits, mais si c'est le cas, ce n'est pas la première fois depuis le début de la crise qui frappe l'Europe. Cela fait des mois et des mois qu'elle rachète de la dette sans que cela émeuve grand monde.

Aujourd'hui, seule l'urgence dicte sa loi. Et n'est ce pas l'Allemagne qui a, il y a près de vingt ans, lors du Traité de Maastricht instituant la Banque centrale européenne, exigé son indépendance totale vis-à-vis des Etats ?



Qui décide à la BCE ?

Les décisions de politiques monétaires sont prises à la majorité simple du Conseil des gouverneurs de la BCE dont chaque membre dispose d'une voix. Ce conseil est composé des six membres du directoire qui comprennent le Président (l'Italien Mario Draghi) et le vice-président (le Portugais Manuel Ribeiro Constâncio) de la BCE. Actuellement, un siège étant vacant, les trois autres membres du directoire comprennent un Allemand (l'ancien secrétaire au budget Jörg Asmussen), un Belge (Peter Praet) et un Français (Benoît Coeuré). Outre le directoire, le conseil des gouverneurs compte les présidents ou gouverneurs des 17 banques centrales nationales des pays membres de la zone euro.

Sur les 22 membres actuels, le conseil des gouverneurs compte donc deux représentants Allemands (Jörg Asmussen et Jens Weidman, le président de la Bundesbank), deux représentants français (Benoît Coeuré et Christian Noyer, le gouverneur de la banque de France), deux Italiens (le président Mario Draghi et Ignazio Visco, le gouverneur de la banque d'Italie) ainsi que deux Belges et deux Portugais. La BCE ayant annoncé que sa décision d'aujourd'hui avait été prise à l'unanimité moins une voix (contre), il ne fait aucun doute que cette voix est celle du président de la Buba, Jens Weidman. Ce n'est pas la première fois qu'un représentant de l'Allemagne s'oppose à une décision de la BCE: en 2011, Jürgen Starck avait démissionné du directoire.

Ce qui est intéressant aujourd'hui, ce n'est pas seulement le vote d'opposition du président de la Bundesbank. C'est aussi le vote favorable de son compatriote Jörg Asmussen. Sa qualité d'ancien secrétaire d'Etat au budget d'Angela Merkel ne doit pas pour autant amener à conclure que la chancelière allemande soutient l'initiative de la BCE.

Car Asmussen appartient au parti social-démocrate SPD. Mais cela préfigure bien, en revanche, le changement d'orientation de la politique européenne de l'Allemagne si le SPD devait remporter les élections législatives.




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