Le vote des étrangers a provoqué une nouvelle cacophonie gouvernementale. Manuel Valls traine lourdement des pieds, Cécile Duflot pousse à la roue, et Matignon confirme l'engagement présidentiel. Reste à trouver une solution pour modifier la constitution. L'idée d'un "référendum à l'Italienne" fait son chemin. La France ne serait ainsi plus en Europe dans le camp, minoritaire, du refus.
L'appel publié dans Le Monde des 77 députés rappelant la promesse électorale de François Hollande d’accorder "le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans" et demandant sa mise en application "rapidement" a engendré une nouvelle discorde gouvernementale.
Manuel Valls n'a pas manqué de répondre dans le même quotidien que le droit de vote pour les étrangers qui ne sont pas citoyens de l'Union européenne n'était ni une "revendication forte dans la société française", ni un "élément puissant d'intégration" et qu'il était donc urgent de ne pas se presser. Une fin de non recevoir aux députés socialistes signataires de l'appel. Ils avaient prévu cette réticence du ministre de l'Intérieur et sa volonté de temporiser:
A celles et ceux qui nous disent que c'est trop tôt, et qu'il faut prendre son temps, nous répondons que c'est en commençant maintenant que nous aurons la possibilité de prendre notre temps pour faire cette réforme. Le Conseil de l'Europe, le Parlement européen, la Commission européenne, le Conseil européen, tous appellent la France à étendre aux résidents légaux le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales. De nombreux pays européens nous montrent déjà l'exemple. Nous sommes d'avis que la réforme doit intervenir rapidement, pour se donner les moyens de l'appliquer lors des prochaines municipales".
Cécile Duflot a abondé dans ce sens. Pour la ministre du Logement "C'est une nécessité, c'est une promesse du président de la République, ce sera fait l'année prochaine"
Elle est, pour une fois, sur la même longueur d'onde que le ministre en charge des relations avec le Parlement, Alain Vidalies, qui a affirmé que "l'engagement présidentiel serait tenu avant la fin de la législature et probablement au cours de l'année 2013 pour les élections de 2014".
Dans l'opposition Jean-François Copé, secrétaire général de l'UMP, il demande au chef de l'Etat de "clarifier ses intentions", au moment où se "multiplient les pratiques communautaristes".
Référendum à questions multiples
Mais au-delà des ces jeux de rôles sur l'échiquier politique on ne peut plus convenus, reste à savoir comment une telle réforme peut être inscrite dans le marbre constitutionnel. Elle nécessite une refonte de l'article 3 de la Constitution française qui stipule que :
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques".
Or la majorité présidentielle n'a pas des 3/5 des voix au Congrès réunissant les députés et sénateurs nécessaire à une révision de la Constitution.
Reste une autre solution, le recours au référendum. Avec le risque d'un rejet. 61% des Français se déclaraient favorable au droit de vote des étrangers en novembre 2011. Mais c'était avant les élections présidentielles alors que le rejet de Nicolas Sarkozy battait son plein.
Aujourd'hui c'est au tour de François Manuel Valls n'a ainsi pas manqué de prévenir qu'il fallait
bien évaluer les conséquences d'un référendum, pas seulement en termes de résultats, mais aussi de déchirure dans la société française".
Une solution envisagée à l'Elysée comme à Matignon serait de noyer le poisson en organisant un référendum à questions multiples sur le modèle de l'Italie. Avec, par exemple, une ou deux questions qui font consensus dans l'opinion, plus celle sur le vote des étrangers. La fin du cumul des mandats serait une bonne question sans risque. Ainsi si l'élargissement du droit de vote aux non-européens était retoqué, le verre serait à moitié plein et ce serait sans grande conséquence politique.
Qui plus est, François Hollande pourrait se prévaloir du refus des Français pour justifier que sa promesse électorale soit passée à la trappe.
En Europe, une majorité de pays a pourtant déjà ouvert ses urnes aux étrangers, mais selon des critères divers.
Il y a ceux qui l'octroient à tous les étrangers (Irlande, pays scandinaves) et ceux qui sélectionnent les citoyens étrangers pouvant voter: les Brésiliens du Portugal, ou les Indiens du Royaume-Uni. Il y a, aussi, ceux qui font mine de la faire (République Tchèque) et ceux qui se demandent si c'est bien constitutionnel (Grèce)…
Tour d'horizon du droit de vote des étrangers sur le sol européen :
1. Pays où le droit de vote strictement national
Dix pays de l’UE refusent le droit de vote aux étrangers : la France, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne, la Roumanie, l’Autriche, la Lettonie, la Bulgarie, Malte et Chypre. Dix pays, et dix débats.
ALLEMAGNE
Prévu dans le programme du SPD-Verts en 1998, le droit de vote des étrangers au niveau local n’a pas vu le jour, faute de majorité qualifiée pour le groupe des sociaux-démocrates et Verts au Sénat. La domination de la droite au Bundesrat, qui représente les lander, a ensuite empêché le projet de renaître.
ITALIE
En Italie, Romani Prodi, alors chef du gouvernement, a bien tenté de faire passer le droit de vote aux résidents étrangers, en 1997, mais il s’est heurté à la Commission des affaires constitutionnelles. Pourtant, même Gianfranco Fini, à la droite de la droite, estimait onze ans après, en 2008, alors qu’il était président de la chambre des députés, que "ce n'est pas une idée folle, ni criminelle, les étrangers doivent avoir des droits et des devoirs".
Et le ministre de l’Intérieur de l'époque, Roberto Maroni, de relancer le débat un an plus tard : "La Constitution dit que le droit de vote dans notre pays, ce sont les citoyens italiens et européens qui l'ont, pas les extracommunautaires. Si on veut, on peut changer la Constitution, mais on ne peut pas dire qu'on ferme les yeux". Des déclarations donc, mais en 2011, toujours pas de droit de vote pour les étrangers en Italie.
2. Pays où le vote est ouvert à tous les étrangers
IRLANDE
Les Irlandais font figure de pionniers en Europe : c’est en 1963, avec le Local Elections Act, qu’ils accordent le droit de vote aux étrangers aux scrutins locaux. Un droit doublé d’une conditionnalité particulièrement souple, puisqu’avoir résidé six mois sur le territoire irlandais suffisait, avant que cette clause de résidence soit complément effacée en 1992, en faisant le seul pays de l'Union européenne à ne pas imposer de condition de résidence aux aspirants électeurs.
Onze ans après le Local Election Act, l’Irlande faisait un pas de plus en 1974, et rendait cette fois accessible, non seulement le droit de vote, mais aussi l’éligibilité à tous ses résidents, quelle que soit leur nationalité.
Les citoyens britanniques ont, eux, le privilège depuis 1985 de pouvoir également voter aux élections nationales (hors présidentielle et référendum).
DANEMARK, FINLANDE, SUEDE
Les pays scandinaves ont été parmi les plus prompts à élargir les droits électoraux aux étrangers. La Suède (1975), le Danemark et la Finlande (1991) autorisent les étrangers à voter aux élections locales pour peu qu’ils y aient résidé 3 ans pour les deux premiers, et 2 ans en Finlande. A noter qu’en Suède les étrangers peuvent participer aux élections dites "intermédiaires", mais aussi aux référendums nationaux, une exception en Europe.
L'accès au droit de vote des étrangers dans les pays scandinaves s'accommode, en outre, d'un petit arrangement entre amis : le Conseil nordique. Selon cet accord, signé par les Danois, les Suédois et les Finlandais avec leurs homologues non membres de l'UE, l'Islande et la Norvège, les ressortissants de ces cinq pays peuvent voter là où ils habitent, sans condition de durée de résidence.
PAYS-BAS, BELGIQUE, LUXEMBOURG
Les étrangers peuvent voter aux élections locales aux Pays-Bas depuis 1985, s’ils justifient 5 ans de présence sur le territoire national. Idem au Luxembourg, mais depuis 2003 seulement. La Constitution belge de 1998 prévoyait un élargissement des droits électoraux sans distinction de nationalité ou de niveau d’élection, et ce à partir 1er janvier 2001.
La Belgique a finalement franchi le pas en 2004, mais en limitant l’accès au vote des étrangers aux seules élections locales. Pour faire son devoir civique (le vote est obligatoire en Belgique), deux conditions: résider sur le territoire depuis plus de 5 ans, et signer une déclaration spécifique au préalable.
Dans cinq autres Etats-membres de l’UE, les étrangers ont le droit de vote, un droit à chaque fois circonscrit aux élections municipales: l’Estonie (depuis 1993), la Hongrie (1994), la Slovaquie (2001), la Slovénie et la Lituanie (2002).
Last but not least, la Grèce s’est jetée à l’eau, à l’occasion des municipales l’année dernière. C'est le treizième pays à rejoindre le club, mais il n'est pas sûr qu’il y reste: la loi votée en mars 2010 fut jugée anticonstitutionnelle un an plus tard, au motif que la Constitution grecque accorde le droit de vote au seul "peuple grec". Le vote des résidents étrangers en Grèce est ainsi suspendu à la décision de la Cour suprême.
Au total, le droit de vote de tous les étrangers, sans distinction, est donc un principe acquis dans 12 pays de l’Union européenne. Quatre autres, parmi lesquels l’Espagne ou le Royaume-Uni, choisissent ceux à qui ils accordent ce privilège.
3. Pays où le vote dépend de la nationalité
ESPAGNE
L’Espagne est régulièrement présentée comme l’une des bonnes élèves du droit de vote des étrangers. Pourtant, les apparences sont trompeuses, car le système fonctionne sur la réciprocité : un étranger peut voter en Espagne si son pays d’origine accorde lui-même ce droit aux ressortissants espagnols. En d’autres termes, un Chilien vivant en Espagne peut voter aux municipales, parce qu’un Espagnol vivant au Chili le peut lui aussi.
Mais sans traité, pas de vote. L’Espagne a donc signé des accords avec la Norvège, l’Islande, la Nouvelle Zélande, et plusieurs pays américains : Argentine, Colombie, Pérou, Trinité et Tobago, Chili, Equateur, Cap Vert, Paraguay, Bolivie et Uruguay. Manque donc à l’appel… le Maroc. Première communauté étrangère d’Espagne, les 800 000 marocains qui y résident sont donc exclus du système électoral espagnol, victimes de la réciprocité. Alors que celle-ci est en passe de se mettre en place (le Maroc a intégré dans sa Constitution de juillet 2011 le droit de vote des étrangers), l’Espagne s’interroge et voit ressurgir "la peur du vote maure", comme le titrait le quotidien El Pais dans son éditorial du 21 juillet dernier.
PORTUGAL
Comme l’Espagne, le Portugal choisit parmi ses étrangers qui peut voter ou non. Ils sont classés dans plusieurs catégories. Les Brésiliens sont les mieux traités : ils jouissent d’un statut spécial d’égalité des droits politiques et peuvent voter aux élections locales, régionales et législatives après 5 ans de vie sur le territoire. Viennent ensuite les étrangers lusophones qui, pour peu qu’ils aient résidé plus de deux ans au Portugal, sont autorisés à voter aux seules élections locales.
Ce dispositif ne concerne, en fait, que les Cap-Verdiens et les Brésiliens présents depuis moins de 5 ans.
Troisième et dernière catégorie: les ressortissants de pays ayant signé un traité de réciprocité avec le Portugal : Israël, la Norvège, l’Argentine, le Pérou et l’Uruguay. Ils sont autorisés à glisser leurs bulletins dans les urnes (locales) après 3 ans de séjour en terres portugaises. Pour les autres, donc, pas de vote.
REPUBLIQUE TCHEQUE
En matière de réciprocité, la République Tchèque en fait encore un peu moins: sur le papier, elle octroie depuis 2001 le droit de vote aux étrangers dont le pays d’origine a signé avec elle un accord, mais dans les faits, elle n’a signé d’accord avec personne. Une réciprocité de façade qui empêche donc aux étrangers de voter, et les premières élections municipales de 2006 théoriquement ouvertes aux étrangers ne l’ont donc été…qu’aux ressortissants de l’UE.
4. Cas particulier : le Royaume-Uni et le Commonwealth
Le Royaume-Uni fait figure de cas particulier au sein de l’UE, car il n’applique, ni la réciprocité, ni le vote pour tous ou personne. Il a, en effet, choisi d’ouvrir le vote à certains de ses étrangers en regardant son passé : les ressortissants de l’ensemble du Commonwealth et d’Irlande bénéficient donc d’un statut particulier et peuvent voter, fait rare, à toutes les élections.
"Un Indien ou un Nigérian peut ainsi voter (et être élu) au parlement national", remarque ainsi Hervé Anders, chercheur à l’unité Migration et recherche de l’université de Nice, dans sa thèse sur le droit de vote des étrangers.
En revanche, les résidents britanniques originaires d’un pays autre que l’UE ou le Commonwealth n’ont aucun droit politique. En d’autres termes, les étrangers se partagent entre ceux qui peuvent voter à tous les scrutins, et ceux qui ne peuvent à aucun.
Et ces derniers sont les plus nombreux. Les ressortissants du Commonwealth représenteraient 35% des étrangers vivants au Royaume-Uni, et les Irlandais 17% : reste donc la moitié des étrangers de l’île britannique privés du droit de voter. A l’heure actuelle, aucun projet de changer la loi n’est en cours, et ce modèle hybride devrait perdurer, même si le vice-Premier Ministre Nick Clegg ne serait pas contre une extension du droit.