On ne badine pas avec les droits d'auteur en Allemagne. Alors qu'en France l'Hadopi vient de condamner son premier internaute, outre-Rhin ils sont déjà des milliers à payer de très lourdes amendes.
A la suite d'une une plainte déposée par l'Hadopi, la "Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet", Alain Prévot, un charpentier de 39 ans de Belfort est le premier internaute français a être condamné pour téléchargement illégal. Il a écopé la semaine dernière d'une amende de 150 euros. C'est cher payé pour avoir téléchargé quelques chansons de Rihanna.
Mais Alain Prévot peut au moins se dire qu'il a la chance de ne pas habiter à 50 kilomètres plus à l'Est de Belfort, en Allemagne. Outre-Rhin, la note aurait été beaucoup plus salée.
Comme des milliers d'internautes en Allemagne, Stefan, jeune Suisse installé à Berlin s'est fait piéger.
Après avoir téléchargé 'The Tree of Life' de Terrence Malick, j'ai reçu une lettre d'un cabinet d'avocats en charge des droits d'exploitations d'une télévision munichoise me demandant de payer dans les plus brefs délais une amende de 1000 euros, sans négociation possible".
Ce n'est pourtant pas pour ce téléchargement illégal que Stefan doit régler cette somme astronomique, mais pour "avoir propagé" l'œuvre sur Internet.
Si on suit ce raisonnement, j'aurais très bien pu avoir le DVD, le mettre en ligne, et le faire partager à mes proches!"
s'insurge Stefan.
Autre particularité : son fournisseur d'accès à Internet (FAI) a donné toutes les informations du téléchargement au cabinet d'avocats : dates, horaires, durée du chargement, et surtout adresse IP, la carte d'identité de l'internaute. Pour Stefan c'est "une violation de la vie privée" impensable dans son pays natal.
Un système complexe
Si Hadopi mène la danse dans l'Hexagone, le respect du "copyright" est une affaire beaucoup plus complexe outre-Rhin. Films, musiques, logiciels, livres audios…chaque support possède sa propre association de défense des droits d'auteur. La plus controversée de toutes? La Gema, l'équivalent allemand de la Sacem. En augmentant les tarifications des droits pour les boîtes de nuit, elle a suscité un véritable tollé en Allemagne, et surtout à Berlin, où la vie nocturne est intense.
Techno-parades de protestation, pancartes dénonçant le diktat des majors sur les portes de cafés, bon nombre d'Allemands se rebellent contre cette institution, omniprésente et omnipotente dans leur quotidien numérique. Sa restriction de la diffusion d'un nombre important de vidéos Youtube, ou l'interdiction du (pourtant légal) lecteur audio Grooveshark est dénoncée de toutes parts.
Stefan a finalement fait appel à un avocat spécialisé dans la défense des internautes et n'a pas payé l'amende. Il a suffit d'une menace de poursuites judiciaires de sa part pour procédure abusive et divulgation de données personnelles pour que la partie adverse renonce à le poursuivre.
Une simple lettre, qui m'a quand même coûté 300 euros d'honoraires".
Le règlement à l'amiable est fréquent. Max, un entrepreneur français, n'a pas eu cette chance:
En 2008, j'ai reçu une injonction du tribunal, et malgré l'aide d'un avocat, j'ai été condamné à une amende de 752 euros".
Le parti Pirate désarmé
Au cours de sa mésaventure, Stefan contacte le parti Pirate. Devenu un phénomène politique depuis ses succès aux élections locales en 2011, le PP défend les libertés numériques et souhaite la refonte du droit d'auteur. Malgré l'obtention d'une quinzaine de sièges au parlement local de Berlin, les pirates reconnaissent les difficultés à combattre le système actuel.
Sur le plan juridique, hélas, on ne peut rien faire"
explique le porte-parole de la section berlinoise. "Nous sommes avant tout une force d'opposition, et notre seul moyen d'action est de faire pression, pour le mise en place d'un autre système où l'artiste déciderai de l'avenir de ses œuvres".
Et les données privées divulguées par les FAI ? "nous sommes bien sûr contre!"
Le système allemand est considéré comme l'un des plus sévères d'Europe. Parmi les jeunes adultes, les plus actifs sur les réseaux illégaux, la peur de se faire attraper et magouilles informatiques cohabitent. Mais pour Stefan "l'avenir, c'est le streaming !". Encore faut-il que le streaming d'œuvres protégées ne soit pas considéré comme illégal.
En France comme en Allemagne les organismes chargés de la protection des droits d'auteur considèrent qu'avec le streaming, les flux de données sont, même si ce n'est pas de manière pérenne, bel et bien stockés dans la mémoire vive de l'ordinateur de l'internaute spectateur. L'internaute détient donc, le temps du visionnage, une œuvre protégée. Néanmoins, la jurisprudence demeure de part et d'autre du Rhin, très partagée sur cette interprétation.